Les parents s’inquiètent beaucoup lorsqu’ils pensent que leur enfant a une infection d’oreille; ils croient que ces infections sont très dangereuses. C’est pour-quoi ils amènent souvent leur enfant pour consulter leur médecin de famille.
Lors d’une clinique matinale typique du mercredi, Mme Gauthier, une mère de 31 ans, mariée, de race blanche, amène sa fille Anne de 3 ans pour vous consulter. La mère dit qu’Anne se plaint de douleurs à l’oreille gauche et qu’elle tire sur cette oreille depuis 2 jours. Elle n’a pas eu de toux et son nez ne coulait pas, mais elle pourrait avoir fait un peu de fièvre.
Anne est née à la suite d’un accouchement vaginal normal et c’est une enfant en bonne santé. Son dossier indique qu’elle n’est venue à votre clinique que 2 fois, une fois pour une otite moyenne (traitée par antibiotiques) et l’autre pour des douleurs abdominales. Elle n’a pas d’antécédents d’hospitalisation ou de maladie grave.
Épidémiologie et population à risque
L’otite moyenne aiguë (OMA) est, dans la grande majorité des cas, une maladie infantile; il est rare de voir un adulte en souffrir. Après le rhume, c’est la deuxième cause la plus courante des visites d’enfants chez leur médecin de famille (MF)1. Environ 30 % des enfants de moins de 3 ans voient leur MF chaque année en raison d’une OMA, et au moment d’atteindre leur troisième anniversaire, de 80 % à 90 % des enfants ont déjà eu une OMA2. La fréquence atteint son sommet entre 6 et 15 mois; après 5 ans, le taux d’incidence baisse rapidement. Le fait de fréquenter une garderie ou une maternelle augmente considérablement le risque d’OMA; parmi les autres facteurs de risque, on peut mentionner le fait d’être de race blanche, de sexe masculin, d’avoir des amygdales et des végétations adénoïdes hypertrophiées, des OAM antérieures, l’allaitement à la bouteille, l’utilisation d’une sucette ou d’une tétine, le tabagisme des parents, des antécédents familiaux d’OMA3 et la présence d’anomalies anatomiques du nasopharynx comme une fente palatine4 et le syndrome de Down5.
Anne fait partie du groupe d’âges le plus susceptible aux OMA, et il est documenté qu’elle a antérieurement eu une crise d’OMA. Anne est de race blanche, mais n’a pas de caractéristiques anatomiques anormales qui la prédisposeraient à une OMA. Vous ne savez pas si sa mère fume, si l’enfant va à la garderie ni si sa famille est portée à faire des infections d’oreille.
De quel autre problème pourrait-il s’agir?
L’otite moyenne aiguë est de loin la cause la plus fréquente d’otalgie chez l’enfant, mais vous prenez le temps d’envisager d’autres possibilités, la plupart bénignes mais certaines potentiellement graves: un corps étranger, une rhinite causant un blocage des trompes d’Eustache, les oreillons, une otite externe, une sensibilité des ganglions cervicaux, une douleur à l’articulation temporo-mandibulaire, une douleur à la colonne cervicale, des tumeurs pharyngiennes, une mastoïdite, une méningite, un mal de dents et des douleurs aux sinus.
La Figure 1 illustre que l’otite moyenne, l’otite externe et le rhume sont les causes les plus fréquentes d’otalgie chez les enfants. En soins primaires, les autres causes sont rarement vues.
Étant donné qu’Anne est autrement en bonne santé et qu’elle ne prend pas de médicaments, il est probable que son otalgie soit due à une otite moyenne aiguë ou à une infection des voies respiratoires supérieures.
Avant de l’examiner, vous vous demandez s’il y a d’autres signaux d’alarme.
Symptômes d’alarme
On ne croit pas qu’Anne ait été en contact avec des personnes atteintes de maladies infectieuses graves; elle ne va pas à la garderie. La maman ne pense à aucun jouet ou petit objet qui aurait disparu et la douleur n’est pas apparue soudainement. Anne n’a pas été inhabituellement somnolente et n’a pas eu de forte fièvre. La douleur se limite à l’oreille d’un seul côté.
Signes d’alarmes
Anne ne présente pas de démangeaisons, de raideur au cou ou de somnolence inhabituelle; elle semble alerte. Il n’y a pas d’écoulement à l’oreille et elle n’a pas l’air particulièrement malade.
Vous posez d’autres questions - la mère ne fume pas, la famille n’est pas sujette à des infections d’oreille. Mme Gauthier dit que sa fille ne s’est pas plainte de douleurs au cou, aux sinus ou à la gorge. Anne n’a pas eu de vomissements.
Examen clinique
Anne est calme, mais alerte, et vous semble plutôt bien. Sa température est de 37,8°C; son nez coule; sa gorge a une apparence normale et il n’y a pas d’enflure aux ganglions du cou. À l’examen otoscopique, vous voyez que sa membrane tympanique gauche est plus rouge et moins réfléchissante que la droite, mais elle n’est pas bombée ni rétractée et il n’y a pas de liquide derrière le tympan. Il n’y a pas de perforation ni d’écoulement. Vous ne voyez pas de corps étranger à l’examen. Il n’y a pas d’enflure en avant des oreilles; il n’y a pas de sensibilité aux mastoïdes, aux articulations temporomandibulaires ni aux sinus maxillaires. Ses dents et sa bouche semblent normaux et vous remarquez durant l’examen qu’Anne bouge librement son cou.
Vous êtes maintenant assez certain qu’il n’y a pas de causes sérieuses à l’otalgie (ou à tout le moins détectables à ce stade-ci). Vous commencez à penser que c’est probablement une OMA.
Dans quelle mesure êtes-vous sûr de votre diagnostic?
Il est difficile de diagnostiquer en toute confiance une OMA; il n’y a pas de critères standards de diagnostic en soins primaires. La plupart des études se servent d’une combinaison de symptômes et de signes pour diagnostiquer une OMA6–9. Comme le démontre le Tableau 16–9, certaines caractéristiques font qu’une OMA est plus ou moins probable.
Votre patiente a mal à l’oreille, sa membrane tympanique est opaque et elle a eu antérieurement une OMA, tous des faits qui augmentent les chances que ce soit une OMA. D’autre part, sa température corporelle légèrement élevée, la présence d’un rhume et la légère rougeur du tympan n’augmentent pas cette probabilité.
Vous décidez que votre jeune patiente a probablement une OMA. Maintenant, vous devez penser à la prise en charge.
Y a-t-il probabilité d’aggravation?
L’évolution naturelle de l’OMA a été déterminée à la suite des expériences de milliers de sujets de groupes avec placebo dans des études sur des antibiothérapies10,11.On estime que dans 80 % à 85 % des cas d’OMA, la fièvre et la douleur chez les enfants se résorbent en 2 ou 3 jours; après 7 jours, on peut s’attendre à ce que tous les symptômes et les signes (sauf un épanchement à l’oreille moyenne) aient disparu. Ces études auprès d’enfants ayant une OMA ont démontré que très peu d’enfants traités développaient des complications, mais que la situation était aussi la même chez les enfants ayant reçu un placebo10,12. Très peu de complications suppuratives se sont produites, que ce soit dans les groupes avec intervention ou dans ceux avec placebo. Les complications de l’OMA, comme la mastoïdite et la méningite, autrefois modérément communes, sont maintenant extrêmement rares dans les pays développés. L’administration d’antibiotiques ne prévient pas ces complications.
Étant donné le taux élevé de guérison spontanée, la nécessité d’un traitement aux antibiotiques de l’OMA fait l’objet de controverses. Depuis une étude marquante effectuée aux Pays-Bas, dans laquelle seulement 2,7 % des enfants qui avaient été traités par une thérapie pour soulager la douleur au lieu des antibiotiques avaient vu leur état s’aggraver plutôt que s’améliorer13, on a procédé à de nombreuses synthèses critiques des études sur les antibiotiques pour traiter l’OMA. L’une d’entre elles par Cochrane a conclu qu’il n’y a que de faibles données probantes à l’effet que l’antibiothérapie systématique améliore l’évolution et les résultats cliniques de l’OMA10. Si des antibiotiques sont donnés à tous les enfants aussitôt que possible après l’apparition de l’OMA, moins de 15 % d’entre eux (qu’on ne peut pas identifier par des caractéristiques cliniques) verront des bienfaits perceptibles et ces bienfaits seront modestes et à court terme10.
Décider du meilleur traitement
Combien dois-je traiter d’enfants pour qu’un en bénéficie?
Pour que tous les signes et symptômes aient disparu au jour 7, le nombre nécessaire à traiter (NNT) aux antibiotiques est d’environ 811. Ce qui veut dire que 7 enfants sur 8 n’ont pas besoin d’antibiotiques ou ne répondent pas au traitement. Le NNT pour réduire la fièvre et la douleur au jour 2 est d’environ 21. Le NNT pour éviter une OMA controlatérale est 17. Le NNT pour réduire la fièvre et la douleur à l’aide de l’ibuprofène ou de l’acétaminophène est d’environ 511.
Des études ont démontré que l’ibuprofène et l’acétaminophène sont aussi efficaces l’un que l’autre dans le soulagement de la douleur et de la fièvre14.
Combien d’enfants dois-je traiter avant de nuire à l’un d’eux? pour qu’on nuise à l’un d’entre eux?
Avec des antibiotiques par voie orale, le nombre nécessaire pour produire de la diarrhée, des vomissements, des douleurs abdominales ou un rash est d’environ 1110.
Quel est le meilleur antibiotique à utiliser?
Si vous décidez d’utiliser un antibiotique pour le traitement de l’OMA, l’amoxicilline demeure le choix de première intention, parce qu’elle couvre adéquatement tous les organismes bactériens qui causent habituellement l’OMA et a relativement peu d’effets secondaires. Si l’amoxicilline est contre-indiquée ou ne fonctionne pas, le choix de l’agent demeure incertain - il n’y a pas de choix précis comme meilleur agent de deuxième intention14,15. Selon une synthèse par Cochrane, même si l’échec du traitement est plus probable de se produire quand la durée de l’antibiothérapie est de moins de 7 jours par rapport à une durée plus longue, au moins 17 enfants devaient être traités pendant une période plus longue pour éviter un échec du traitement16.
Est-il sécuritaire d’attendre pour voir ce qui se passe?
La plupart des enfants qui ont une OMA guériront d’euxmêmes. Pour ceux dont ce n’est pas le cas, il ne semble pas y avoir de problème si on retarde le traitement aux antibiotiques pendant une courte période tout en offrant un soulagement des symptômes. Il existe quelques bonnes études de qualité qui démontrent que si on donne aux parents une prescription différée d’antibiotiques en leur conseillant de ne les utiliser que si l’état de leur enfant ne s’améliore pas après quelques jours, beaucoup moins d’enfants prennent des antibiotiques17.
Vous dites à la mère que sa fille a une OMA et que son état va fort probablement s’améliorer de lui-même dans un jour ou 2. Vous lui suggérez de donner à Anne de l’ibuprofène pour soulager l’otalgie et de revenir vous voir dans 2 jours. La mère vous dit qu’elle sera à l’extérieur de la ville dans 2 jours. Vous lui donnez une ordonnance différée d’amoxicilline qu’elle peut utiliser au besoin. Si, malgré la thérapie aux antibiotiques, l’état d’Anne ne s’améliore toujours pas, Mme Gauthier devrait consulter à nouveau un médecin.
Footnotes
-
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro.
-
The article is in English on page 1019.
-
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada