
Ce mois-ci, le Médecin de famille canadien vous présente le débat « Les médecins de famille âgés devraient-ils prendre leur retraite? ». Racine avance plusieurs bonnes raisons selon lesquelles ils devraient y songer (page 26)1 alors que Dickie pense le contraire en soulignant leur contribution et leur expérience (page 27)2.
Avant même de répondre à cette question, il faudrait d’abord s’entendre sur ce qu’on entend par « médecin de famille âgé » et par « retraite ». Si, à prime abord, il semble plus aisé de définir la retraite comme étant simplement le fait de ne plus exercer la médecine, il convient toutefois de rappeler que tous les médecins de famille, peu importe leur âge, sont invariablement dans un processus de retraite puisque la plupart délaissent progressivement des champs d’exercice. En effet, beaucoup de médecins de famille, sinon la plupart, n’exercent plus dans les champs qui leur étaient initialement dévolus, ne faisant plus d’obstétrique ni d’hospitalisation, ni même d’urgence, préférant se consacrer à des pratiques plus ciblées et circonscrites. Conséquemment, la plupart des médecins de famille sont indéniablement dans un processus de retraite progressive.
Quant à définir ce qu’on entend par un « médecin de famille âgé », on conviendra qu’à cet égard, tout est relatif. Si je vous dis que j’ai 59 ans (pas 60 bon!), plusieurs jeunes lecteurs se diront « il n’est pas jeune le bonhomme », alors que les plus vieux croiront que je suis dans la fleur de l’âge, voire même que je ne fais pas mon âge! Nous connaissons tous des médecins de 45 ou 50 ans qui sont déjà vieux tellement leur pratique, leur attitude et leur façon de penser sont sclérosées, alors même qu’il y en a des « jeunesses » de 70 ans qui démontrent une vivacité d’esprit remarquable. Donc, ce qu’est un médecin de famille « âgé » prête certainement à discussion. De grâce, ne me répondez-pas qu’il s’agit d’un médecin ayant 65 ans.
Néanmoins, la véritable question relative à l’âge des médecins de famille et la nécessité de prendre ou non sa retraite tient bien davantage à la question de la compétence professionnelle qu’à l’âge proprement dite. Si, pour la plupart d’entre nous, avons gardé en mémoire le souvenir du bon Dr Welby, cet illustre médecin dont on nous relatait les miracles à la télévision—il est vrai qu’il ne traitait qu’un patient par semaine—force est de reconnaître qu’en vieillissant, nous en perdons tous, y compris nos capacités d’exercer la médecine. En effet, il est généralement reconnu que le fait de vieillir constitue un handicap à ce chapitre. Plusieurs données font état d’une baisse de la compétence professionnelle reliée à l’âge3,4. Toutefois, cette affirmation n’est pas aussi ferme que cela. En effet, dans une revue exhaustive de la littérature5 publiée en 2002, Eva arrive à la conclusion suivante: « … analytic processing tends to decline with age whereas nonanalytic processing remains stable ». En réalité, selon Ericsson et collab., il semble que la diminution de la performance que l’on observe avec l’âge soit davantage reliée à la réduction de la pratique régulière qu’à l’âge proprement dite6,7. De fait et paradoxalement, il semble même que les médecins âgés sont même meilleurs que les plus jeunes lorsqu’il s’agit de poser un diagnostic quand les données contextuelles sont présentes8,9. C’est sans doute ce qu’on appelle communément « le flair clinique » que semblent démontrer plusieurs médecins âgés.
Conséquemment, alors même que les besoins en services de santé ne cessent de croitre, contraindre les médecins de famille âgés à prendre leur retraite, ou exercer une telle pression sur eux qu’ils n’aient d’autres choix que de s’y résoudre, serait sûrement une erreur. En contrepartie, personne n’accepterait d’être traité par un médecin de famille incompétent, fusse-t-il le Dr Welby.
La solution repose sans doute sur une pratique plus ciblée. Alors qu’il est exceptionnel pour tout médecin de famille d’exercer dans tous les champs de la médecine familiale, ce choix apparaît moins raisonnable pour les médecins de famille âgés. Comme il est impossible dans nos vies d’exceller en tout et partout, les médecins de famille âgés devraient, à plus forte raison, limiter leur champ d’exercice à des domaines où ils excellent. Quant à ceux qui ne font pas ce choix, ils devront s’attendre à être l’objet d’une surveillance plus rigoureux des organismes de surveillance de la qualité des soins. Comme le disait Socrate, plus je vieillis, plus « Je sais que je ne sais pas »!
Footnotes
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This article is also in English on page 11.
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Intérêts concurrents
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