
Johanne (un pseudonyme) souffrait de sclérose amyotrophique latérale. Elle était tout, sauf «emprisonnée». Elle pouvait bouger les yeux: en haut pour dire oui et en bas pour dire non. Quand elle pouvait encore parler, nous avons souvent discuté des directives préalables et elle était claire à cet égard. Si vous le pouvez, avancez ma mort quand je vous dirai que je suis prête. Maintenant, avec les yeux, elle me demandait de l’aider à mourir—le plus vite sera le mieux. Elle souffrait maintenant de dyspnée marquée, traitée efficacement avec des opioïdes et des benzodiazépines, mais refusait la ventilation à 2 niveaux de pression, parce qu’elle croyait que son décès en serait retardé. Vivre ainsi, ne pas mourir à son gré, lui causait une anxiété extrême. Réfléchir à un monde où j’aurais l’option (le dilemme?) dans un avenir assez rapproché de procéder à l’assistance médicale au suicide (AMS) me cause une sérieuse anxiété.
Inévitablement, ce moment arrivera au Canada. En juin dernier, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu une décision, à la demande de Gloria Taylor, une femme souffrant aussi de sclérose amyotrophique latérale, affirmant qu’elle avait un droit constitutionnel au suicide assisté1. On lui a accordé une exemption d’une année de l’interdiction actuelle, lui permettant le suicide assisté médicalement sans que le médecin ne risque une poursuite ou une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans2. La juge a aussi suspendu la décision pendant un an pour permettre au Parlement de modifier la loi actuelle. Un appel a été interjeté auprès de la Cour d’appel de la province et la cause se rendra probablement jusqu’à la Cour suprême du Canada.
La tendance à permettre l’AMS (qui comprend l’assistance médicale au suicide et l’euthanasie) se manifeste à l’échelle mondiale4. En 2007, 76 % des Canadiens se disaient d’accord pour dire qu’une personne ayant une maladie incurable a le droit de mourir3 et, en 2010, 67 % appuyaient la légalisation de l’euthanasie5. Le Collège des médecins du Québec6, le panel d’experts de la Société royale du Canada7 et l’Assemblée nationale du Québec8 ont tous proposé des réformes législatives qui permettraient l’AMS. D’autres organisations du secteur de la santé ont publié des documents sur la question9. C’est maintenant le temps pour le CMFC de présenter à la table le point de vue spécifique des MF du Canada.
Au Canada à l’heure actuelle, la plupart des soins palliatifs et de fin de vie sont fournis par des MF, de concert avec d’autres professionnels de la santé. Le nombre de patients qui demandent l’AMS est peut-être minime, mais n’importe quel MF qui offre des soins complets, compétents et avec compassion, rencontrera quand même des patients qui envisagent l’AMS en raison de souffrances physiques, psychologiques, sociales ou spirituelles extrêmes. De nombreux MF ont les connaissances, les habiletés et l’expérience nécessaires pour offrir des opinions réfléchies et pondérées sur le sujet. Étant donné cette expertise, nos patients, leur famille et tous les Canadiens devraient raisonnablement s’attendre à ce que nous éclairions l’élaboration des politiques publiques à ce sujet. D’ailleurs, tout changement aux politiques publiques aura des répercussions importantes sur les MF qui seront appelés à mettre en œuvre ces modifications. Aurons-nous le choix? Si nous ne faisons pas entendre notre voix dans les discussions nationales maintenant, alors quand viendra une décision d’un tribunal ou une loi abolissant l’interdiction de l’AMS, nous pourrions ne pas avoir une autre chance.
Le CMFC n’est pas resté inactif. Cette année, notre Comité de programme des soins palliatifs a préparé un exposé de position sur les soins de fin de vie10. Notre Comité d’éthique s’est réuni pour présenter ses conseils au Comité de direction et au Conseil d’administration sur la façon de contribuer à la discussion publique. Il est impératif de préciser et de définir les divers éléments de ce débat. Nous devons offrir du matériel pédagogique appuyé par la recherche et les données probantes pour faciliter la compréhension, de manière à ce que les MF puissent avoir des discussions éclairées avec les patients et les familles. Il faut soutenir les travaux scientifiques par des MF qui contribuent à expliquer les implications professionnelles, juridiques et éthiques des modifications législatives. En utilisant des outils comme « The faculty handbook for teaching ethics»,11 nous pouvons aider les résidents à développer des compétences pour intégrer différentes considérations sur le plan de l’éthique dans leur prise de décisions, car c’est sûrement un enjeu avec lequel ils seront confronter durant leur carrière. Nous devons travailler aussi avec nos organisations homologues pour présenter la perspective globale des médecins dans les délibérations nationales.
J’ai aussi besoin des conseils de mes collègues et de la discipline pour décider si je peux participer à l’AMS. Johanne n’était pas ma première patiente à demander l’AMS et elle ne sera pas la dernière. Réfléchissant à ma propre anxiété, je me demande aussi ce que je voudrais si j’étais à la place de Johanne. Là aussi se trouve ma réponse.
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