
En cet avant-dernier mois comme directeur général et chef de la direction, ma rubrique Signes vitaux portera sur certains des défis actuels et futurs auxquels le système de santé du Canada, la médecine familiale et le Collège sont confrontés.
La médecine familiale occupe une place essentielle et fermement établie dans le système de santé canadien, notamment dans la médecine universitaire et la pratique, comptant environ 40 % des postes de résidents de première année dans les 17 facultés de médecine et représentant un peu plus de 50 % de tous les médecins au pays. Les Canadiens disent sans cesse combien ils valorisent le fait d’avoir un médecin de famille et que leur plus grande préoccupation est d’avoir de la difficulté à en trouver un ou à obtenir un rendez-vous en temps opportun (situation en partie attribuable à 2 décennies de mauvaise planification des effectifs médicaux, mais qui s’améliore dans bien des communautés).
Les médecins de famille sont essentiels aux soins primaires au Canada, mais ils fournissent aussi d’importants soins secondaires et tertiaires, un fait souvent ignoré et sous-estimé par ceux qui les associent uniquement aux soins primaires ou croient qu’ils sont interchangeables avec d’autres professionnels de première ligne. Les médecins de famille sont des docteurs en médecine ayant la formation voulue pour faire une investigation et un diagnostic différentiel complets pour chaque problème qu’ils rencontrent. Leurs 6 à 7 années de formation médicale leur permettent de fournir des soins ou de demander une consultation et d’ensuite comprendre et soutenir les niveaux de soins plus avancés de leurs patients.
Starfield et ses collaborateurs ont démontré que meilleur est l’accès à des soins complets, globaux et continus fournis par des médecins de soins primaires, meilleurs sont les résultats sur le plan de la santé1. Pendant des années, le Canada figurait au premier rang quant à l’accès aux médecins de famille et aux résultats en matière de santé. Ce n’est probablement pas juste une coïncidence que le fléchissement des 10 dernières années dans les résultats sur le plan de la santé des Canadiens se soit produit parallèlement aux difficultés grandissantes d’accéder à un médecin de famille. Garder la médecine familiale et les Canadiens en santé pendant bien des années encore est une priorité que notre pays doit aborder en collaboration.
Changements dans la pratique
Pour répondre aux besoins changeants de la population, la portée de la pratique des spécialités médicales et des professions de la santé a continuellement évolué. Ces changements se sont habituellement accompagnés d’une résistance de la part des professions et d’une tension entre elles. Cette génération n’est pas différente, et ce qui se produit au Canada arrive aussi dans les autres pays où le chevauchement des champs de pratique crée de la concurrence pour les soins aux patients, au lieu d’une collaboration souhaitable entre professions et d’un meilleur accès pour les patients.
L’élargissement des champs de pratique doit être mieux compris pour ce qu’il est: l’ajout de 1 ou plusieurs services à ceux déjà approuvés comme services de base que peut offrir un professionnel de la santé donné. Cependant, un professionnel de la santé, quel qu’il soit, qui se voit permettre de fournir des services élargis dans le contexte de sa pratique, n’a pas soudainement acquis le compendium complet du savoir et des habiletés d’une autre profession et ne devrait pas avoir l’autorisation de se présenter au public comme si c’était le cas. Les patients ont besoin des soins et des services que peuvent contribuer de nombreuses professions de la santé différentes, mais ils ont besoin que celles-ci travaillent ensemble en équipes solides, appuyées par le système, et non pas en silos concurrents.
Il ne faut pas se méprendre et croire que le chevauchement des champs de pratique se limite à ce qui existe entre les médecins et d’autres professionnels de la santé. Il faut aussi se préoccuper des tensions qui se développent entre médecins qui acquièrent des compétences additionnelles pour offrir des services qui sont aussi fournis par des collègues d’autres spécialités médicales. Tout comme les champs de pratique élargis ne transforment pas des pharmaciens ou des infirmières en médecins, ils ne font pas non plus en sorte que des médecins de famille ayant des compétences additionnelles en chirurgie deviennent des chirurgiens spécialistes, ni que des internistes généraux avec des compétences avancées en santé mentale se métamorphosent en psychiatres. Pour être reconnus en bonne et due forme comme spécialistes pleinement qualifiés dans ces domaines au Canada, il faut d’abord avoir suivi une formation postdoctorale dans la spécialité en cause et réussir les examens du certificat du Collège royal.
La recherche démontre que si les services des autres professions de la santé sont précieux, c’est la continuité des soins dispensés par son propre médecin de soins primaires ou de famille qui se traduit par les meilleurs résultats en santé des populations1.
Par ailleurs, pour obtenir ces résultats, les médecins de famille doivent offrir aux patients une gamme complète de services médicaux, et utiliser toutes leurs connaissances et habiletés en diagnostic et en procédures qu’ils ont acquises pour obtenir leur diplôme. La façon dont les médecins de famille sont formés, maintiennent leur savoir et leurs habiletés et ce qu’ils décident d’inclure dans leur pratique détermine la valeur de ce qu’ils peuvent offrir et offriront à la population canadienne. Les patients ont besoin de médecins de famille qui épousent les 4 principes de la médecine familiale dans leur pratique, notamment être des cliniciens compétents.
Le CMFC offre la Certification dans une seule spécialité au Canada: la médecine familiale. Au cours de la prochaine décennie, le Collège offrira probablement plus de possibilités au moyen de la résidence ou de voies d’admissibilité par la pratique aux médecins de famille ayant des intérêts particuliers ou des pratiques ciblées, afin qu’ils obtiennent des certificats de compétence avancée dans des domaines cliniques précis. De tels certificats ne sont pas des certifications primaires ni des désignations de spécialistes. La principale responsabilité de notre Collège, et ce pour quoi il est imputable, est et devrait rester de former et de produire des médecins de famille qui dispensent des soins complets, globaux et continus. Les compétences avancées dans un domaine donné peuvent ajouter à la valeur offerte par ces médecins de famille, mais cette valeur sera perdue si un trop grand nombre se retrouvent dans des pratiques ciblées pour offrir uniquement des soins dans le domaine de leur intérêt particulier. Nous avons besoin que la plupart des médecins de famille intègrent des compétences avancées dans une pratique à large portée. L’un des principaux objectifs clairement énoncés par le Conseil d’administration du CMFC dans son approbation d’une nouvelle section pour ceux ayant des intérêts particuliers était que notre Collège joue un rôle plus actif pour renverser la tendance d’un trop grand nombre de médecins de famille qui pratiquaient seulement dans leur domaine d’intérêt particulier. Pour ce faire, d’autres organisations que le Collège, dont les ordres de médecins, les responsables des privilèges hospitaliers et les facultés de médecine, doivent faire leur part. Les nominations et les promotions dans certains secteurs cliniques par les facultés de médecine devraient être offertes à des médecins de famille qui ont des habiletés particulières dans ces secteurs, tout en les encourageant à maintenir une pratique de soins complets dans la communauté. Les hôpitaux qui exigent un engagement à plein temps des médecins de famille qui aspirent à une nomination à l’hôpital ou à l’urgence devraient abolir ces politiques et permettre à ces médecins de maintenir au moins une pratique familiale à temps partiel dans la communauté.
Les équipes, dans lesquelles des médecins de famille qui dispensent des soins complets travaillent avec des collègues ayant des intérêts particuliers et offrent la gamme complète des services en médecine familiale, représentent l’une des meilleures solutions aux inquiétudes quant au rétrécissement du champ de pratique. La vision du Centre de médecine de famille du CMFC (CMF) épouse cette approche. Plusieurs nouveaux modèles de soins primaires émergent un peu partout au Canada et intègrent certaines des recommandations du CMF. Si elle est appuyée par les principaux intervenants, la vision du CMF offre au Canada la possibilité d’atteindre les objectifs d’amélioration des soins de santé en 3 volets (soins de qualité aux patients, populations en santé et système rentable)2 de l’Institute of Healthcare Improvement et de devenir un leader mondial dans l’accès à des soins primaires et secondaires en temps opportun, efficaces et bien coordonnés.
Bien que les médecins continueront toujours d’être essentiels dans les soins primaires en équipe, en définitive, la réussite de ces plus récents modèles dépendra d’équipes interprofessionnelles efficaces prévoyant un rôle central pour les infirmières et les autres professionnels de la santé. En 2008, le Conseil du CMFC a approuvé un exposé de principes qui envisageait que chaque personne au Canada aurait accès à un médecin de famille dans un milieu où elle aurait à la fois un médecin de famille et une infirmière, ainsi qu’un accès, au besoin, à d’autres professionnels. Cette vision s’est maintenant élargie pour former le concept du CMF. L’objectif est d’améliorer l’accès aux soins par les populations desservies en soutenant le travail en collaboration entre médecins de famille et infirmières au sein de pratiques familiales centrées sur le patient. Il faudrait appuyer fortement ces modèles comme étant l’avenir de la pratique familiale au Canada.
Éducation, formation et apprentissage continu
La durée de 2 ans de la résidence en médecine familiale au Canada est de loin la plus courte dans les programmes de formation du monde industrialisé. La plupart des autres pays développés ont des programmes de 3 à 5 ans et offrent des possibilités de formation en compétences avancées pendant la formation de base ou par la suite. Cependant, on peut s’attendre à des changements en raison de la transition par de nombreuses disciplines dans le monde d’une formation temporelle à une formation axée sur le développement des compétences. Le Canada, notamment le CMFC et la discipline de la médecine familiale, sont à la fine pointe de ce mouvement. Les résidents, de fait tous ceux qui aspirent à une Certification en médecine familiale, devront démontrer leur compétence dans un menu de domaines clairement définis. Les compétences seront définies tant pour la médecine familiale de base que pour les habiletés avancées.
En plus d’assurer que le cursus postdoctoral en médecine familiale comporte des possibilités pour que les résidents acquièrent la compétence dans les éléments fondamentaux traditionnels, il faut aussi insister sur des domaines qui n’ont pas toujours été prioritaires. Chaque diplômé en médecine familiale devrait être à l’aise avec les dossiers médicaux électroniques et l’usage approprié des médias sociaux. Avec les progrès en génomique, en pharmacogénétique et en médecine individualisée, les patients auront des décisions plus difficiles à prendre sur le plan éthique en matière de santé et de vie, et auront souvent besoin des conseils d’un expert en médecine à qui ils font confiance, habituellement leur médecin de famille. Les programmes de résidence en médecine familiale et de développement professionnel continu (DPC) doivent donner des occasions aux médecins de famille d’acquérir des habiletés et des connaissances dans ces domaines. Les cursus des facultés de médecine et les programmes de résidence en médecine familiale au Canada doivent aussi se concentrer sur les soins aux populations, les besoins de nos peuples autochtones et le rôle essentiel des déterminants sociaux de la santé. La médecine familiale doit devenir une composante centrale du système de santé public du Canada. Qu’il s’agisse de l’immunisation, de la prise en charge des éclosions de maladies infectieuses ou de la prévention des maladies chroniques, les obstacles qui existent actuellement entre la santé publique et la médecine familiale doivent être éliminés. Il faut commencer à édifier ce rôle et cette capacité dès les études de médecine et la formation postdoctorale, et l’acquisition des connaissances et des habiletés reliées à ces responsabilités devrait faire partie des exigences de base.
Dans l’esprit du nouveau Cursus Triple C, tous les programmes de résidence en médecine familiale au pays devront assurer que les soins et la formation sont complets, globaux et continus, et que toutes les expériences sont centrées sur la médecine familiale. Une expérience en psychiatrie doit insister sur la formation d’un futur médecin de famille, pas d’un futur psychiatre. Dans la mesure du possible, les expériences cliniques devraient se dérouler dans un milieu de pratique familiale. Les compétences essentielles clairement définies s’harmoniseront aussi avec les rôles CanMEDS–Médecine familiale. Cette insistance sur les compétences et les rôles fera partie intégrante de l’examen et des voies d’admissibilité par la pratique menant à la Certification en médecine familiale (CCMF) et des programmes Mainpro et du Maintien de la Certification.
Triple C mettra aussi au défi les programmes de résidence d’effectuer des évaluations continues des compétences durant toute la formation postdoctorale et offrira des possibilités en temps opportun de combler les lacunes. Si la plupart des résidents répondront aux exigences après 2 ans, d’autres pourraient avoir besoin de plus de temps de formation. Il faudra peut-être élaborer des expériences post-résidence supervisées (comme des stages d’apprenti) et les ordres de médecins (ODM) décerneraient alors des permis particuliers pour ces médecins tandis qu’ils travaillent à acquérir toutes les compétences essentielles et à obtenir leur CCMF. Certains croient que tous les résidents en médecine familiale, et pas seulement ceux qui ont besoin de remédiation, devraient compléter au moins 1 an de pratique après la résidence avant d’avoir la CCMF. Une période d’intervalle en pratique pourrait aussi être considérée obligatoire pour être admissible à un programme en compétences avancées. Il faut d’abord consulter d’autres intervenants, dont les étudiants en médecine, les résidents, les facultés de médecine, le corps professoral, les ODM et les responsables du financement du système, avant de prendre des décisions à cet égard.
Le CMFC continuera de jouer un rôle important dans l’établissement des normes et l’agrément des programmes de résidence, de la formation médicale continue et du DPC, et en tant qu’organisme de certification dans la spécialité de la médecine familiale. Ceux qui ont démontré avec succès qu’ils ont acquis les compétences essentielles exigées des médecins de famille recevront la Certification et ils devront les maintenir durant toute leur carrière en satisfaisant aux exigences du CMFC. À l’heure actuelle, des ODM au Canada émettent un permis d’exercice sans restrictions si les médecins se conforment à divers critères, notamment avoir la Certification du CMFC ou du Collège royal. L’engagement envers le DPC durant toute la carrière est vital. Il est temps que les ODM rendent obligatoire le Maintien de la Certification pour obtenir un permis sans restrictions.
Étant donné que de 70 % à 80 % des services de santé au Canada sont dispensés par des médecins de famille en milieu de soins primaires, il est urgent de faire de la recherche de pointe sur l’efficacité des soins médicaux de première ligne, en particulier dans des domaines comme la prévention et la prise en charge des maladies chroniques. Le Réseau canadien de surveillance sentinelle en soins primaires compte plus de 300 médecins de famille qui fournissent de précieux renseignement sur les maladies chroniques. Il faudrait que l’Agence de la santé publique du Canada renouvelle le financement versé au CMFC pour superviser cette initiative et qu’on accorde considérablement plus de soutien aux résidents en médecine familiale, aux programmes de formation et aux médecins actifs du pays dans leurs projets de recherche.
Ressources humaines en médecine et dans le secteur de la santé
Des pénuries de médecins, d’infirmières et d’autres professionnels de la santé ont incité la création de divers groupes de travail sur les ressources humaines en santé (RHS) au cours des dernières décennies. Le CMFC et chacun de ces groupes d’étude ont recommandé la formation d’un organisme national de surveillance des RHS pour prévenir des pénuries futures. Malgré tout, rien n’a beaucoup avancé. Nulle part ailleurs la pénurie de RHS ne s’est-elle fait sentir de manière aussi aiguë qu’en pratique familiale: de nombreux Canadiens sans médecin de famille créent de longues listes d’attente de rendezvous et de consultations, entraînant des effets néfastes sur la santé de la population. Si certaines stratégies ont été mises en œuvre pour éviter une récurrence, nous ne savons toujours pas de combien de médecins et d’infirmières nous avons besoin durant la prochaine décennie, mais nous savons bel et bien qu’une future stratégie sur les RHS doit faire mieux pour bien préparer les médecins à répondre aux besoins de nos populations rurales, éloignées, plus vulnérables et mal desservies.
Vents politiques
Rien ne suscite plus d’émotions chez les Canadiens qu’un débat sur le financement public par rapport au financement privé du système de santé. Même si le Canada a été moins touché que d’autres pays par les aléas de l’économie mondiale, il n’a pas été épargné. Les pressions sur les gouvernements qui en résultent pour qu’ils maintiennent leur engagement envers les programmes financés par le public dans les domaines de la santé, de l’éducation et des services sociaux se sont révélés immenses.
Malgré tout, les propositions d’entamer plus ouvertement un débat public sur l’avenir de l’assurance-santé, la Loi canadienne sur la santé (LCS) ou le choix de payer pour des services de santé sont considérées par certains comme un affront à nos sensibilités. Un dialogue au sujet de la meilleure façon de payer les soins de santé au Canada, y compris envisager les paiements privés, doit se produire même si ce n’était que pour mieux faire comprendre l’assurance-santé aux Canadiens. La plupart des Canadiens défendent passionnément notre régime d’assurance-santé, croyant qu’il couvre tous les services de santé nécessaires et que c’est le meilleur système au monde. La vérité est tout autre. Si l’assurance publique couvre les Canadiens pour tous les services médicaux nécessaires fournis par les médecins et les hôpitaux, seulement environ 70 % des dépenses globales en soins de santé sont incluses. En réalité, les citoyens de nombreux autres pays reçoivent plus de soutien financier public, jusqu’à hauteur de 90 % de toutes leurs dépenses en santé dans certains cas, y compris les frais médicaux et hospitaliers, les médicaments d’ordonnance, les soins dentaires et à domicile. N’est-ce pas le temps d’au moins discuter de ce genre d’option au Canada? Un peu moins d’argent versé par le secteur public pour les frais médicaux et hospitaliers (avec une couverture complète maintenue pour les plus vulnérables) et un peu plus pour les médicaments, les soins dentaires et à domicile n’entraîneraient-ils pas de meilleurs résultats en santé pour tous les Canadiens? Les bienfaits en soins préventifs au moyen d’une plus large couverture ne contrebalanceraient-ils pas les coûts? Y a-t-il un parti politique assez brave pour débattre ouvertement de la question? Le CMFC, qui a défendu ardemment l’universalité et un payeur unique, qui sont les principes fondamentaux du financement public contenus dans la LCS, ne devraitil pas préconiser un débat public plus franc, y compris une analyse complète des effets d’autres options sur les soins préventifs et l’état de santé. Et si les données factuelles confirmaient que ce n’est pas abordable pour un payeur public unique de couvrir 100 % des coûts de tous les services essentiels et que si un petit pourcentage de ces coûts était payé par ceux qui en ont les moyens, cela se traduirait par un plus large éventail de services financés par le public et un meilleur état de santé pour tous, le CMFC ne devrait-il pas appuyer un changement dans cette direction? Tout en soutenant fortement l’assurance-santé et la LCS, le CMFC pour-rait-il aussi encourager des modifications permettant le recours à d’autres sources limitées de paiement qui pourrait se traduire par un menu plus abondant de services de santé financés par le public pour tous?
Pendant que se poursuit le débat pour savoir qui paie quoi, le gouvernement fédéral procède à la décentralisation des responsabilités et de l’imputabilité pour les soins de santé vers les provinces et les territoires. La dextérité politique du premier ministre (PM) a été démontrée plus tôt cette année quand il a agi prestement pour assurer qu’il n’y aurait pas de réplique au marchandage interminable entre les premiers ministres fédéral, provinciaux et territoriaux qui s’est soldé par l’accord de Transfert canadien en matière de santé de 2004 à 2014 (et des milliards de dollars versés par le gouvernement fédéral aux provinces et territoires, sans imposer d’obligations de rendre compte des dépenses). Le PM a décidé que ces débats infructueux ne se répéteraient pas. Il a plutôt simplement annoncé le montant d’argent qui ira aux provinces et territoires de 2015 à 2025 et a assuré les premiers ministres qu’il n’y aura pas de conditions exigées du gouvernement fédéral. Les premiers ministres provinciaux se sont rendu compte qu’ils seraient imputables les uns envers les autres et envers la population de leur compétence, ce qui a déclenché un branle-bas de combat au Conseil de la Fédération (CDF) (c.-à-d. les premiers ministres et leurs représentants) pour démontrer au public qu’il peut réussir à le faire. Certains travaux préliminaires ont été complétés, mais on ne sait encore trop si le SDF pourra assurer des standards de soins pour tous les Canadiens durant cette longue période.
Si l’expérience échoue, le prix que devront payer les Canadiens sera l’érosion plus grande des normes des soins de santé et de l’accès équitable à des soins de qualité pour tous, peu importe où ils habitent, notamment le démantèlement de ce qui a défini jusqu’à présent le Canada pour bien des gens. Le CDF n’est pas un gouvernement. C’est un groupe de dirigeants gouvernementaux sans aucune responsabilité ou ni autorité au-delà de leur propre compétence. L’impératif politique pour les premiers ministres sera de satisfaire leurs propres commettants, ayant toujours à l’esprit leur réélection. Cette réalité demeure primordiale et l’emportera parfois sur l’intérêt supérieur de tous les Canadiens. Les dirigeants provinciaux et territoriaux sont déjà débordés à essayer de joindre les 2 bouts. Ils n’ont pas les ressources ni l’infrastructure pour régler les enjeux qui touchent l’ensemble du pays. Le travail qui doit être fait pour que le CDF assure que les standards des soins de santé pour tous les Canadiens soient définis et atteints ne sera donc probablement pas viable. Nous avons besoin d’un gouvernement central fort qui continue à s’enorgueillir de protéger l’accès aux soins par chaque Canadien, et qui établit et surveille les normes nationales et agit quand les provinces et territoires n’arrivent pas à les atteindre. Les provinces et les territoires devraient être responsables de la prestation des services à l’intérieur de leurs frontières, mais pas pour les normes nécessaires à un accès équitable à des soins de santé de qualité pour chaque Canadien. L’annonce par le PM que les fonds seraient transférés jusqu’en 2025 est une bonne décision, mais elle aurait dû prévoir un rôle d’autorité futur bien défini pour le gouvernement fédéral en tant que responsable de l’établissement des normes de soins de santé pour notre pays. Les dirigeants du CMFC ont récemment exprimé nos préoccupations entourant l’absence grandissante du gouvernement fédéral dans les soins de santé lors de rencontres avec des députés élus et des représentants nommés à Ottawa. Le Collège continue de préconiser un fort rôle central du gouvernement.
Même s’il y a des limites à la diminution de l’imputabilité et des pouvoirs fédéraux, la tendance vers la décentralisation ne s’arrêtera pas. Le CMFC doit se préparer à cette réalité en effectuant à l’interne ses propres changements pour renforcer davantage ses sections provinciales au pays. Chaque section doit avoir les ressources nécessaires pour agir en tant que promoteurs provinciaux de la médecine familiale, des médecins de famille et de leurs patients dans leurs régions respectives. Sur le plan national, le CMFC doit continuer à établir les normes pour l’éducation, la formation, la Certification et l’apprentissage permanent des médecins de famille du Canada. Il doit être la voix de la médecine familiale et se faire entendre clairement par le gouvernement fédéral et ses associations homologues médicales et des professions de la santé. Il doit être l’entité qui unit ses parties, notamment ses sections provinciales et les départements universitaires de médecine familiale, pour assurer que la discipline et la pratique de la médecine familiale progressent uniformément partout au Canada. Le CMFC aura pour défi de soutenir et de renforcer ses sections sans abandonner les responsabilités dont seul un organisme responsable d’établir des normes nationales peut s’acquitter. L’approche du gouvernement fédéral ne devrait pas servir de modèle au CMFC.
Pour l’avenir
Au cours des prochaines années, le système de santé, la discipline de la médecine familiale et les médecins de famille seront confrontés à des défis considérables. Le CMFC devra porter attention aux enjeux suivants : la façon de composer avec les champs de pratique en évolution chez les médecins de famille et les autres professions de la santé; le rôle des médecins de famille avec intérêts particuliers au sein du Collège; l’instauration du modèle du CMF et des soins en équipe centrés sur le patient; la mise en œuvre de la formation axée sur le développement des compétences; la nécessité pour le CMFC de renforcer ses sections provinciales; le débat pour savoir si nous avons les moyens d’avoir un système financé uniquement par le public; les transferts de pouvoirs en matière de santé du gouvernement fédéral aux provinces et aux territoires. Les médecins de famille en pratique et les patients se fieront au CMFC pour qu’il agisse comme principal porte-parole à mesure qu’on surmontera ces défis. Ces intervenants ne doivent pas seulement écouter la voix du CMFC, ils doivent aussi être partenaires dans tous les efforts du Collège.
À l’approche de 2013 et dans le futur, le CMFC est bien placé pour exercer le rôle de leadership qu’on s’attend qu’il joue dans l’avenir de l’éducation médicale pour les médecins de famille et la prestation de services de pratique familiale de grande qualité pour les Canadiens.
Footnotes
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This article is also in English on page 1312.
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