Diverses techniques ont été proposées pour réduire une dislocation antérieure de l’épaule à l’urgence. La supériorité d’une approche par rapport à une autre reste cependant à établir.
La littérature médicale1,2 reconnaît le rôle important d’une bonne relaxation musculaire pour réduire avec succès une luxation, qu’importe la méthode, mais ne donne pas d’instructions sur la meilleure façon d’y arriver. On propose habituellement une solution pharmacologique3, qui comporte le plus souvent une sédation par intraveineuse de modérée à forte. Amener un patient à un seuil rapproché d’une sédation profonde procure une bonne relaxation musculaire et accélère la réduction. Il comporte le risque d’une hypoventilation et d’une perte de perméabilité des voies aériennes. Il faut se sentir à l’aise de prendre en charge de telles complications. L’injection intra-articulaire d’un anesthésique local est une option moins risquée, quoique moins attrayante pour le patient4,5.
Certains ouvrages sur le traitement
Par le passé, les cliniciens à l’urgence étaient moins habiles dans la prise en charge de la sédation profonde et des complications des voies aériennes. La plupart des études portant sur les techniques de réduction d’une dislocation de l’épaule se fondaient sur des degrés légers à modérés de sédation ou d’analgésie. Les méthodes proposées et les données présentées dans diverses études publiées mettent en évidence le rôle d’une relaxation musculaire suffisante et de l’interaction médecin-patient et, parfois, la participation du patient dans la réussite de différentes techniques de réduction. Malheureusement, de nombreux auteurs omettent de se pencher sur ces questions dans leurs discussions et limitent leurs commentaires aux aspects techniques de l’approche.
Seulement 2 études quantitatives (malheureusement faibles sur le plan méthodologique) ont été réalisées pour comparer les techniques de réduction. En comparant les techniques de Kocher et de Milch, Beattie et ses collègues6 n’ont trouvé aucune différence dans le taux de réussite (72 % par rapport à 70 %), bien que cela soit lié de manière significative à l’âge du patient (P < ,03) et à sa masse musculaire (P < ,01). L’autre étude comparative était de nature rétrospective et partiale dans la sélection des sujets. Elle comparait la nouvelle technique «Oxford Chair» avec des méthodes traditionnelles de réduction, notamment un groupe éclectique mal défini de techniques courantes7. Le recours à la nouvelle technique réduisait le temps passé à l’urgence et l’utilisation de la sédation ou des opioïdes. On expliquait la procédure au patient, on lui administrait un mélange contenant de l’oxyde nitreux et on le «mettait à l’aise en le rassurant avec confiance»7. Cette méthode n’a toutefois eu qu’un taux de réussite de 62 %.
Les autres études publiées sur les techniques de réduction ne comportaient pas de groupes de comparaison. McNamara8 décrit une technique en position assise. Il utilise une traction active et demande à un assistant de procéder à la rotation de l’omoplate. Il signale un taux de réussite global de 79 %. Dans sa méthodologie, il explique les aspects techniques de la méthode, mais ne mentionne rien de l’interaction médecin-patient durant la procédure. La technique du bras dans le vide de Stimson9–11 mise sur le poids passif et la fatigue musculaire dans une position de décubitus ventral pour relâcher le spasme. Il n’y a pas de traction appliquée par le médecin ni de participation active du patient pour accélérer la relaxation musculaire. Ceroni et ses collaborateurs12 décrivent une technique d’autoréduction (Boss-Holzach-Matter) dans laquelle les patients exercent eux-mêmes une traction active. Dans une série d’exposés de 5 cas consécutifs réussis, Cunningham13 décrit une technique sans traction ni médicament, qui effectue la réduction au moyen d’un positionnement différent selon lequel le coude du patient est fléchi, tandis que la main est posée sur le bras du médecin qui, agenouillé au sol, masse la région de l’épaule. Le médecin s’assure de la coopération du patient et interagit avec lui en le rassurant par la parole et une rétroaction fréquente. La technique Spaso14 se sert d’une médication préalable, d’une traction verticale et du propre poids du patient en position couchée comme contre-traction. La caractéristique intéressante et peut-être la plus utile de cette méthode se situe dans le fait que le médecin est placé dans une position de faiblesse en ayant à exercer la traction contre la gravité. Cela l’empêche d’appliquer une force considérable pendant une longue période de temps.
Dans une étude par Canales Cortés et ses collaborateurs, la technique de Milch a réussi dans 83 % des cas15. La réussite était liée de manière significative au degré de contraction musculaire (P = ,002). Les auteurs ont affirmé que la collaboration du patient était essentielle à la réussite de la manœuvre15. Par ailleurs, cette constatation n’était pas statistiquement significative. O’Connor et ses collaborateurs rapportent un taux impressionnant de succès de 100 % à la première tentative au moyen de la technique de Milch sans analgésique avec 75 patients consécutifs16. Les 2 co-auteurs ont par la suite été appelés à faire toutes les réductions 24/7. Même si on pourrait attribuer leur succès à l’expérience, à la lecture de leur protocole, on se rend compte que l’attention accordée à l’interaction avec le patient, la rétroaction continue, et l’insistance sur le confort et la participation du patient étaient optimisées. Malheureusement, les auteurs ont été trop modestes dans leur discussion et ont omis d’identifier la raison probable de leur incroyable succès: la qualité de leur interaction qui s’est traduite par une meilleure relaxation musculaire.
Communication et relaxation suffisante
La diversité des méthodes qui ont été utilisées pour la réduction d’une luxation antérieure de l’épaule porte à croire que la technique elle-même n’est pas le facteur essentiel qui détermine la réussite, non plus que la traction ou les relaxants musculaires. De fait, il faut dissiper 2 mythes. Le premier est qu’il faut une traction considérable pour réduire la luxation. Quand on examine la physiologie musculaire, l’étirement se traduit par une activation des fuseaux musculaires et cause un réflexe de contraction. Pensons aux réflexes tendineux profonds qu’on recherche chez nos patient pour être convaincus que la traction, ou à tout le moins une traction considérable augmentant rapidement, ne peut être qu’improductive. Le deuxième mythe est que les benzodiazépines ont de bonnes propriétés sur le plan de la relaxation musculaire. Ce n’est vrai que si on induit un niveau altéré de conscience. Le niveau de relaxation musculaire atteignable par des moyens non pharmacologiques a été grandement sous-estimé. Selon mon expérience et celle d’autres17, les moyens non pharmacologiques sont supérieurs aux interventions pharmacologiques, sauf à des doses associées à la sédation profonde. Les patients possèdent un niveau d’ingéniosité largement inexploré et inutilisé. Le fait que ceux qui ont des dislocations récurrentes aient des scores initiaux de douleur plus élevés que ceux qui ont une luxation pour la première fois5 pointe vers le rôle des facteurs cognitifs, comme l’appréhension dans la perception de la douleur. Une bonne communication et de simples exercices de relaxation pourraient permettre une relaxation musculaire supérieure sans effets secondaires. Les cliniciens dans les études mentionnées précédemment avaient leurs propres routines de relaxation qu’ils utilisaient pour maximiser la coopération et la participation du patient. Plutôt que de considérer le patient comme une personne passive à qui une technique de réduction est appliquée, il pourrait être temps d’envisager les façons de maximiser sa participation pour améliorer la relaxation et accélérer la réduction avec le moins d’effets secondaires possible. Une telle démarche pourrait faire l’objet d’une étude comparative avec un groupe de contrôle dans lequel on utiliserait la même technique de réduction.
Il reste cependant un problème. Dans ce paradigme, le locus du contrôle dans la relation médecin-patient se transfère vers le patient. Une étude sur les soins primaires a démontré que les patients favorisent fortement un partenariat avec leurs médecins dans une approche centrée sur le patient18. Les patients sont prêts pour un changement de paradigme. Le sommes-nous?
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the November 2012 issue on page 1189.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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