Je suis un peu tous ceux que j’ai rencontrés.
Alfred, Lord Tennyson, «Ulysses» (traduction libre)
Le 1er novembre 1995, j’assumais les fonctions de directeur général associé du Collège pour ensuite devenir, le 1er mars 1996, directeur général et chef de la direction. C’est comme si c’était hier que je préparais mon premier article de Signes vitaux pour Le Médecin de famille canadien. Et voici mon 202e et dernier article. Les commentaires et les suggestions du sujets dont vous m’avez fait part ont été extraordinaires et m’ont inspiré de continuer. Merci de votre appui incessant! Vous êtes tous un peu ce que j’ai écrit!
Partager une même vision
La possibilité d’agir en tant que directeur général du CMFC m’intéressait en raison de tout ce que j’avais appris à propos du Collège durant mes années passées au Comité de direction de la Section de l’Ontario et au Conseil d’administration national, combiné à ce que j’en étais venu à apprécier, en tant que médecin de famille en pratique active et enseignant, au sujet du rôle vital exercé par les médecins de famille pour soigner la population du Canada et former nos futurs médecins. J’ai compris que c’était la création de notre Collège en 1954 qui avait sauvé la pratique générale et familiale à une époque où presque tous les nouveaux diplômés choisissaient l’univers grandissant des spécialités du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (CRMCC). Dès 1996, grâce au leadership exceptionnel exercé par le Collège et nos dirigeants universitaires de toutes les régions du Canada, la médecine familiale s’était développée et avait acquis de la maturité pour devenir une discipline crédible et jouer un rôle essentiel dans les soins aux Canadiens. Depuis, le monde, y compris le Canada, a eu la possibilité d’apprendre de la recherche effectuée par Starfield et d’autres chercheurs que c’est l’accès à des médecins de famille dispensant des soins complets, globaux et continus qui est le facteur de prédiction le plus convaincant de meilleurs résultats sur le plan de la santé de la population. Mais la pratique familiale n’aurait pas pu prouver sa valeur et être présente pour faire cette contribution vitale si elle n’avait pas été sauvée d’une potentielle obscurité grâce aux efforts de ceux qui ont fondé et bâti notre Collège. Ils ont reconnu à quel point il était crucial pour la médecine familiale d’ancrer ses racines au sein de la médecine universitaire en tant que discipline crédible, comme une spécialité égale aux autres. Ils ont compris que pour se démarquer comme des professionnels de la santé valorisés dans les grandes et petites collectivités du pays, les médecins de famille devaient avoir une place respectée dans le milieu de la médecine universitaire. En dépit des remarquables travaux réalisés entre 1954 et 1996, en commençant par l’établissement de normes et d’exigences pour la formation médicale continue et, ensuite, pour la formation postdoctorale, la recherche et les études prédoctorales, il restait à relever de nombreux défis concernant la viabilité et la croissance de la médecine familiale en tant que discipline. Inspiré par les accomplissements historiques du Collège et de ses leaders (Victor Johnston, Donald Rice et Reg Perkin) et de la discipline (sous l’égide de personnes comme Ian McWhinney), j’ai décidé de faire bifurquer ma carrière de pratique de première ligne et d’enseignant, que j’adorais profondément, pour relever les stimulants défis du Collège et des travaux qu’il restait encore à faire.
Malheureusement, certains médecins de famille considèrent les engagements passés et actuels du CMFC envers la médecine familiale universitaire—et estiment que faire partie du Collège—sont accessoires par rapport à ce qu’ils font dans leur pratique au quotidien. Cette perception est bien loin de la réalité. C’est parce qu’elle s’est établie et a continué à tailler sa place dans le monde des facultés de médecine et de la médecine universitaire que la médecine familiale est reconnue et continuera de l’être par les étudiants, les pairs en médecine et la population en général comme étant la discipline crédible et vitale et la spécialité qu’elle est. C’est parce qu’elle fait partie de l’univers médical universitaire que la médecine familiale au Canada s’est sortie d’une quasi extinction pour devenir, comme elle l’est aujourd’hui, le premier choix le plus populaire parmi les diplômés des facultés de médecine au Canada pour leur formation postdoctorale et leur cheminement professionnel (35 % ont opté pour la médecine familiale comme premier choix en 2012 et 40 % de tous les postes de première année de formation postdoctorale au Canada sont actuellement en médecine familiale)1. C’est pourquoi les médecins de famille représentent un peu plus de 50 % de tous les médecins en pratique active au Canada aujourd’hui. C’est en raison du rôle important que le CMFC exerce dans l’établissement des normes et l’agrément des programmes pour l’éducation formative et l’apprentissage permanent qu’il est considéré par les gouvernements, d’autres intervenants et le public comme un groupe de représentation crédible et digne de confiance—la voix—des médecins de famille et de leurs patients. Et c’est parce que les médecins de famille sont considérés par les Canadiens comme des médecins bien formés et dévoués envers une discipline qui épouse l’apprentissage continu et une philosophie de soins centrée sur le patient que tous les sondages publics réalisés réitèrent constamment combien la population du Canada valorise le fait d’avoir son propre médecin de famille et que l’inquiétude principale est qu’environ 12 % de la population n’a toujours pas de médecin de famille.
L’union fait la force
Le CMFC n’a pas fait et ne peut pas faire ce qu’il fait tout seul. De nombreuses organisations sœurs qui travaillent de concert avec le CMFC sont responsables d’avoir sauvé et renforcé la médecine familiale au Canada. En 1954, le CMFC était créé à la suite d’une résolution de l’Association médicale canadienne (semblable à celle approuvant la création du CRMCC 25 ans plus tôt), et l’Association médicale canadienne et ses associations provinciales et territoriales font preuve d’un engagement ferme et important envers la pratique familiale et la collaboration avec le CMFC. L’Association des facultés de médecine du Canada et les 17 facultés de médecine canadiennes ont accueilli des leaders en médecine familiale dans des postes clés de direction en médecine universitaire, y compris de nombreux médecins de famille qui occupent des postes de doyens de faculté de médecine, de vice-doyens à l’éducation médicale prédoctorale et postdoctorale, renforçant le message que la médecine familiale est une discipline respectée et crédible et une spécialité égale à toutes les autres. Le leadership de l’Association des facultés de médecine du Canada dans son projet sur l’Avenir de l’éducation médicale au Canada et son appui au nouveau cursus Triple C axé sur le développement des compétences du CMFC (qui insiste sur la nature complète et globale, la continuité et le fait qu’il soit centré sur la médecine familiale) s’inscrivent dans ce partenariat essentiel continu. L’année dernière, le conseil du CRMCC a endossé à l’unanimité notre vision du Centre de médecine de famille pour l’avenir de la pratique familiale au Canada, un concept qui prévoit une pratique en collaboration entre les médecins de famille, d’autres spécialistes de la médecine, des infirmières et d’autres professionnels de la santé qui suivent leur formation et pratiquent en collaboration pour donner le meilleur accès possible aux soins à chaque personne au Canada. L’appui reçu de l’Association canadienne des infirmières en médecine était et continuera d’être essentiel pour réaliser la vision du Centre de médecine de famille. Les relations entretenues avec la Fédération des ordres des médecins du Canada et le Conseil médical du Canada ont été exceptionnelles dans les projets pour définir plus clairement et harmoniser les exigences—et les examens—pour l’obtention et le maintien par les médecins d’un permis d’exercice sans restriction et de la Certification en médecine familiale. Les liens que nous avons noués et les échanges périodiques auxquels nous participons avec nos partenaires internationaux en médecine familiale, par l’intermédiaire de WONCA et avec l’American Academy of Family Physicians et l’American Board of Family Medicine, se sont révélés très fructueux. Les dirigeants de ces organisations et d’autres associations sœurs, qui respectent la médecine familiale et prêchent par l’exemple dans leurs aspirations à obtenir les meilleurs résultats possible sur le plan de la santé grâce à des modèles progressistes et en véritable collaboration de formation et de pratique, ont été d’importantes sources d’inspiration pour moi durant toutes mes années passées au Collège. Les équipes auxquelles j’ai pris part, autant au sein du CMFC qu’avec de nombreux partenaires et intervenants de l’extérieur, m’ont offert des possibilités inestimables de croissance professionnelle et personnelle, et m’ont permis de développer des amitiés et des liens qui, je l’espère, dureront toujours.
Malgré tous ces appuis, il reste cependant que ce sont les médecins de famille eux-mêmes—dans leurs rôles en tant que médecins de première ligne dispensant des soins de grande qualité à leurs patients, comme enseignants, chercheurs et collaborateurs au système de santé, et comme professionnels engagés à se conformer aux normes d’apprentissage permanent de notre Collège—qui ont joué un rôle clé dans le renforcement de la médecine familiale au Canada. Pour le Collège, la récompense s’est manifestée par le fait que le nombre de membres a doublé au cours de la dernière décennie pour atteindre actuellement plus de 28 300 membres. L’engagement des membres du CMFC envers les buts et les principes de notre Collège, et leurs efforts pour nous aider à améliorer constamment nos activités garantissent le maintien continu du rôle essentiel de la médecine familiale au Canada pendant bien des années encore.
Si on ne peut pas s’attendre à ce que tout le monde comprenne ce qui est fait en coulisses, il faudrait que tous sachent qu’il y a des employés très dévoués et compétents au bureau du Collège national et dans chacune de nos 10 sections provinciales. Ces personnes épousent les principes et les valeurs qui définissent notre Collège et travaillent inlassablement pour soutenir les médecins de famille et tout ce que fait le Collège au nom de ses membres. Dirigé par une équipe de cadres supérieurs du Collège, et par les directeurs généraux et les administrateurs des sections, c’est un groupe très spécial sans qui je n’aurais jamais pu m’acquitter de mes fonctions. Il s’agit, tout particulièrement pour moi, des personnes à la Direction du CMFC, avec qui j’ai travaillé le plus étroitement au quotidien. Pendant presque tout le temps où j’ai occupé ce poste, mon adjointe de direction était Judy McCracken et l’adjointe administrative, maintenant gestionnaire des réunions, était Joanne Langevin— toutes 2 m’ont : épaulé brillamment dans l’exercice des nombreuses et diverses responsabilités dont elles s’acquittaient, du jour 1 jusqu’au jour 6 146. Plus récemment, Randi Holden-Stanley et Lynda Wilson ont pris la relève et ont fait un travail superbe. Sarah Scott, qui depuis bon nombre d’années produit une grande partie des documents contextuels et alimente les réflexions dans la conduite des affaires de l’équipe de direction et du Conseil d’administration, a été pour moi une ressource et une alliée indispensable. Notre gestionnaire du Forum en médecine familiale (FMF), Cheryl Selig, et Naomi Wagschal, responsable des réunions et des expositions au FMF, ont travaillé inlassablement au fil des ans à diriger notre équipe du FMF et contribué à la croissance de l’assistance à notre Assemblée scientifique annuelle, qui est passée de 500 en 1999 à 5 000 en 2012!
Des centaines de membres ont consacré du temps à la présidence ou comme membres de notre Comité de direction national, du Conseil d’administration et de nos douzaines de comités et groupes de travail—un dévouement bénévole essentiel à la pertinence et à l’efficacité du Collège. La voix du CMFC est la voix de ses membres, qui s’exprime par ceux qui contribuent aux travaux des comités et participent aux activités du Collège national et de ses sections provinciales. L’une de mes grandes satisfactions fut la possibilité d’assister aux assemblées annuelles des sections provinciales aussi souvent que je le pouvais. J’ai pu ainsi en apprendre plus à propos de ce magnifique pays et des personnes incroyables qui l’habitent—en particulier, les centaines de médecins de familles inoubliables et leur famille qui m’ont accueilli parmi eux. Ce que j’ai appris de ces expériences a enrichi ma vie de manière incommensurable.
Sources d’inspiration
Dire que les présidents du CMFC avec qui j’ai eu le plaisir de travailler m’ont inspiré ne rend pas entièrement justice à la réalité. Chacun et chacune, à sa manière, a contribué sa compétence, sa sagesse, son élégance, son humour, sa compréhension, sa compassion et la perspective inestimable d’un médecin de famille expérimenté et qualifié au portfolio du leadership. Tous ont passé 120 jours ou plus durant son année de présidence à se concentrer entièrement au CMFC (en plus des 5 années au Comité de direction). L’une des plus grandes satisfactions de ma vie fut la possibilité de travailler avec ces personnes, et pour moi, mon épouse et ma famille, ce fut un plaisir de connaître personnellement leur partenaire de vie et leur famille. Merci à Jean-Pierre Despins, Cheri Bethune, Nick Busing, Francine Lemire, Peter Newbery, Don Gelhorn, Dominique Tessier, Peter MacKean, Rob Wedel, Alain Pavilanis, Louise Nasmith, Tom Bailey, Ruth Wilson, Sarah Kredentser, Cathy MacLean, Rob Boulay, Sandy Buchman et Marie-Dominique Beaulieu—de véritables sources d’inspiration et des amis pour toujours!
Quand j’ai commencé mes fonctions comme directeur général et chef de la direction, j’ai eu la possibilité de travailler quelques mois avec mon prédécesseur, Reg Perkin. Je pensais alors, et je le pense toujours, que je ne pourrais jamais arriver à sa hauteur. Ses contributions au CMFC et à la médecine familiale durant son mandat (de 1985 à1996) sont considérables. Reg et ceux qui l’ont précédé en qualité de directeurs généraux de notre Collège—Donald I. Rice (de 1965 à 1985) et Victor Johnston (de 1954 à 1965) —resteront toujours pour moi des sources d’inspiration, car ce sont ces hommes qui ont établi ce bureau et qui ont bâti et renforcé la fondation du Collège que nous avons aujourd’hui. Je suis fier d’avoir eu la chance de suivre leurs traces.
À compter du 1er janvier 2013, une autre personne exceptionnelle, Dre Francine Lemire, assumera les responsabilités de directrice générale et chef de la direction du CMFC. Francine a été présidente du Collège national de 1998 à 1999 et a occupé le poste de directrice générale associée au cours de la dernière décennie. C’est une personne exceptionnelle qui, quand elle était jeune femme, a dû subir une amputation en haut du genou. Sa façon de relever les défis et de surmonter l’adversité se reflète bien dans le parcours qui l’a amenée à gagner les médailles d’or et de bronze au ski de fond pour le Canada aux Jeux paralympiques d’hiver de 1988 à Innsbruck, en Autriche. Francine est un médecin de famille et une chef de file dévouée, avisée, compatissante, très compétente et expérimentée. Elle compte définitivement parmi mes sources d’inspiration et je suis fier de lui passer le flambeau comme directrice générale et chef de la direction.
Mes plus grandes inspirations dans la vie, qui ont persisté durant tout le temps que j’ai passé au Collège, me viennent de mes amis personnels et de ma famille. Mes parents, Dorothy et Danny Gutkin, m’ont inculqué les valeurs qui me sont les plus chères: l’honnêteté, la confiance, le respect d’autrui, le souci de la communauté et des moins fortunés, le dur labeur en juste équilibre avec le plaisir, le sens de l’humour, l’amour de la famille et des amis, et avoir à cœur d’être fier de tout ce que l’on fait. Ils ont toujours été de grands partisans du Collège, lisaient tous les numéros de notre revue, appuyaient la Fondation pour la recherche et l’éducation du Collège et s’intéressaient toujours aux initiatives qu’entreprenait le Collège. Ils sont tous 2 décédés en 2005, à une semaine d’intervalle. Ils me manquent à chaque jour, mais ils demeurent avec moi et leur influence persiste au Collège dans tout ce que je fais.
Ma sœur Cheryl et son conjoint Earl Barish, qui vivent à Winnipeg, au Manitoba, perpétuent l’histoire de la famille empreinte de tendresse et de soutien pour moi, ma famille et le CMFC. Ils se sont toujours enquis des activités du Collège et voulaient en savoir plus. Ils ont fait la promotion des valeurs du CMFC et de la médecine familiale auprès de leurs amis, comme s’ils en étaient membres. Ils ont aussi contribué beaucoup à notre fondation, sont des lecteurs assidus du Médecin de famille canadien et venaient me rejoindre à chaque FMF pendant que j’étais directeur général et chef de la direction, qu’importe la ville où il avait lieu. Ils s’assuraient que partout où j’allais, je n’étais pas seul.
Quand j’ai débuté dans ce poste, mes 3 filles, Leah, Maia et Michelle, avaient 10, 13 et 17 ans. C’étaient des enfants du Collège qui ont pris de la maturité et sont devenues de magnifiques jeunes femmes vivant leur propre vie. Au fil des ans et, jusqu’à ce jour, elles ont participé à de nombreux soupers avec les dirigeants et le personnel du CMFC que tenait la famille Gutkin et à de nombreuses autres activités sociales du Collège, et ont travaillé comme bénévoles, puis employées du Collège. Elles ont appris à connaître bon nombre de nos présidents, les employés du Collège et leur famille, comme s’ils avaient fait partie de la nôtre. Au cours des 10 dernières années, l’époux de Michelle, Cory, et leur fille, notre précieuse petite-fille Maddie, se sont joints au reste des Gutkin au sein de la famille du CMFC.
Avant tout, mon épouse Mary s’est tenue à mes côtés comme une leader à juste titre au sein du Collège pendant ces 17 années. Elle était le pilier à la maison; lorsque les enfants étaient plus jeunes et avaient encore besoin de leur mère, elle me permettait de me concentrer sur les obligations, y compris les nombreux déplacements, que comporte ce poste. Elle m’a donné son appui sur les plans matériel, intellectuel et émotionnel, dans l’exercice de ce rôle qui exigeait souvent d’être loin d’elle et de la maison. Elle m’a accompagné à des centaines d’activités du Collège et n’a jamais hésité à recevoir nos membres et nos employés à la maison. Mary est adorée, pas seulement par moi, mais par tous ceux au Collège qui ont eu le privilège de la connaître et de partager de nombreux moments précieux avec nous.
La possibilité qui m’a été donnée de servir en tant que directeur général et chef de la direction de ce Collège fut pour moi un immense privilège. Les membres, le personnel, mes pairs dans les organisations sœurs m’ont enseigné des valeurs et m’ont laissé des souvenirs que je chérirai toute ma vie. Je comprends mieux maintenant les récompenses dont parlait Ulysses de Tennyson qui sont données à celui qui est capable d’intégrer en soi le meilleur de ceux qu’il a rencontrés sur le chemin de la vie. Je vous remercie d’avoir partagé avec moi le meilleur de vous-mêmes et d’avoir été mon inspiration.
Footnotes
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Cet article se trouve aussi en français à la page 1408.
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