Le Conseil de la Section des résidents (SDR) du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) est formé de représentants de chacun des programmes de formation au pays; collectivement, nous représentons tous les résidents en médecine familiale au Canada. Nous avons pour mandat d’améliorer l’expérience de la résidence en médecine familiale et d’influer positivement sur la prestation des soins de santé aux Canadiens1. En tant que section du Collège, nous croyons qu’il y a un besoin insatisfait dans la formation en médecine familiale dans le domaine de la santé mondiale. Ainsi, le présent article a pour but de préconiser la mise en œuvre d’un cursus bien soutenu en santé mondiale, dont bénéficieront à la fois les résidents en médecine familiale et les patients.
La prestation de soins dans la perspective de la santé mondiale est nécessaire pour les médecins et les professionnels de la santé. La santé mondiale désigne un large éventail de problèmes de santé rencontrés par les médecins dans le monde entier. On oublie souvent de reconnaître son importance pour nous aider à apprendre à fournir des soins de qualité aux patients, probablement parce qu’on confond souvent la définition de la santé mondiale avec celles de la santé internationale et de la santé publique, et qu’on les utilise indifféremment l’une pour l’autre. Koplan et ses collaborateurs se sont penchés sur cette question dans le Lancet en 2009:
La santé mondiale est un domaine d’étude, de recherche et de pratique qui donne la priorité à l’amélioration de la santé et à l’équité en matière de santé pour tous les gens dans le monde. La santé mondiale insiste sur les problèmes de santé, les déterminants et les solutions au niveau transnational. Elle met à contribution de nombreuses disciplines, dans le domaine des sciences de la santé et au-delà, et favorise la collaboration interdisciplinaire. C’est une synthèse de la prévention sur le plan populationnel et des soins cliniques sur le plan individuel2.
Il importe de souligner que la santé mondiale n’implique pas seulement d’aller à l’étranger comme bénévole dans les régions frappées par une catastrophe ou dans des pays à faible revenu, mais elle comporte aussi de représenter et de soigner les populations mal desservies au Canada, comme les sans-abri, les réfugiés, les immigrants et les communautés éloignées.
Les résidents diplômés en médecine familiale devraient être des médecins compétents, accomplis, qui ont la capacité de travailler dans n’importe quel milieu de soins primaires. Au Canada, la formation spécialisée en médecine familiale repose sur les 7 rôles CanMEDS-Médecine familiale (CanMEDS-MF): expert en médecine familiale, collaborateur, gestionnaire, communicateur, promoteur de la santé, érudit et professionnel3. Nous croyons que pour pratiquer efficacement dans les milieux de la santé mondiale, il faut bien connaître chacun de ces rôles; la participation à des initiatives en santé mondiale offre donc aux résidents une avenue pour acquérir ces habiletés. Par exemple, un expert en médecine familiale devrait connaître les besoins de santé distincts des différentes populations canadiennes, y compris les immigrants et les réfugiés, les Autochtones et les populations des quartiers défavorisés4. Un bon communicateur devrait être capable de reconnaître les besoins des patients qui sont analphabètes, semi-alphabétisés ou alphabétisés dans une langue autre que l’anglais5. De tels exemples existent pour chacun des rôles CanMEDS-MF5. Nous ne sommes pas les seuls partisans de cette notion; le groupe de travail sur le cursus en santé mondiale dans la formation en médecine familiale de l’Ontario a récemment reconnu la concordance entre les compétences en santé mondiale et le cadre d’enseignement CanMEDS-MF, et a identifié des compétences avancées pour la santé mondiale dans chacun de ces rôles6.
Nous reconnaissons que dans un programme de résidence de 2 ans, il est souvent difficile d’inclure tous les sujets potentiels des programmes pédagogiques formels. Nous ne suggérons pas de prolonger la durée de la formation postdoctorale en médecine familiale, mais plutôt de mettre en évidence certains segments préexistants dans le cursus actuel qui intègrent les concepts de la santé mondiale et offrent des possibilités d’une formation plus poussée. Idéalement, l’enseignement de la santé mondiale devrait commencer au niveau prédoctoral et être approfondi durant toute la résidence.
Les programmes de médecine familiale partout au pays ont déjà commencé à élaborer des moyens créatifs pour incorporer les concepts de la santé mondiale dans l’enseignement formel. Un sondage national réalisé par le Conseil de la SDR a révélé qu’au moins 88 % des programmes de médecine familiale avaient une certaine forme de cursus formel en santé mondiale; par ailleurs, la plupart des facultés consacrent moins de 10 heures à ce sujet durant les 2 années de formation7. Ce sondage est un questionnaire semestriel rempli par les membres du Conseil de la SDR, qui compte 2 résidents de chaque programme de médecine familiale au pays et qui a pour but d’identifier les similarités et les différences entre les programmes sur le plan national. Le Tableau 1 donne certains exemples des pratiques éducatives actuelles en santé mondiale. Des journées scientifiques, des tournées d’enseignement, des cas fondés sur des problèmes étudiés en petits groupes et des modules en ligne comptent parmi les méthodes pour incorporer la santé mondiale dans les exigences pédagogiques de base. Un tel apprentissage didactique et fondé sur des cas établit le fondement voulu pour renforcer les connaissances et les habiletés acquises par la pratique clinique.
Expériences cliniques
Tous les stagiaires en médecine familiale devraient pouvoir accéder aisément à des expériences cliniques optionnelles qui insistent sur l’acquisition des compétences clés en santé mondiale. Cela concerne tout travail impliquant un service à des populations marginalisées qui est effectué selon les principes de la justice sociale ou de la viabilité environnementale. Des expériences optionnelles locales sont actuellement offertes dans divers domaines, allant de pratiques ciblées auprès de nouveaux immigrants ou de jeunes de la rue jusqu’aux soins aux patients atteints du VIH, en passant par la pratique des services complets dans les communautés nordiques et éloignées. Toutefois, pour que les apprenants profitent au maximum de ces expériences, il devrait y avoir une composante de service-apprentissage structuré, une approche selon laquelle un service communautaire significatif est intégré à l’enseignement et à la réflexion8 pour améliorer l’apprentissage et encourager la responsabilité sociale9.
Les résidents ont souvent recours à des expériences cliniques sous forme de stages internationaux comme moyens de travailler auprès des populations mal desservies. Dans le sondage national du Conseil de la SDR, on a déterminé que de 10 % à 30 % des résidents en médecine familiale participent à des stages optionnels internationaux7. Les apprenants qui ont suivi un stage dans des pays en développement signalent des compétences et une confiance accrues, une plus grande sensibilité aux problèmes de coûts, une moins grande dépendance à la technologie et une meilleure appréciation de la communication transculturelle10. Cela met en évidence le rôle des stages optionnels internationaux pour aider les résidents à devenir des gestionnaires, des communicateurs et des collaborateurs efficaces3. L’expérience internationale favorise aussi une plus grande sensibilisation aux déterminants de la santé et incite les résidents à jouer des rôles de promoteurs de la santé tant au pays qu’à l’étranger.
En dépit du nombre accru de résidents en médecine familiale qui suivent des stages optionnels à l’étranger, la présence de programmes de santé mondiale ayant un appui institutionnel dans les départements de médecine familiale au Canada est plutôt sporadique. Par exemple, une formation structurée préalable au départ et un débreffage après le voyage sont impératifs pour assurer la sécurité, la sensibilité culturelle et la réflexion autodirigée. Un aspect essentiel de la formation préalable pour les étudiants est un enseignement et une formation entourant l’éthique de la santé mondiale, et on oublie souvent cet aspect lorsqu’il n’existe pas de programme structuré en place. Sans une formation appropriée, les étudiants ne seront pas préparés à faire face aux dilemmes éthiques uniques rencontrés dans le travail en milieux de santé mondiale, et ils risquent de causer des préjudices aux patients et aux collectivités avec qui ils travaillent11. Si aucune faculté de médecine au Canada n’empêche les résidents d’entreprendre des stages optionnels dans des pays en développement, à l’heure actuelle, seulement 1 exige une formation obligatoire préalable au départ pour tous les résidents en médecine familiale qui voyagent à l’étranger7. D’autres ont des relations sur une base continue avec certaines communautés où les professeurs et les résidents passent périodiquement du temps clinique. On présume que les participants font des préparatifs au département avant de se rendre dans ces collectivités, mais on n’a pas de données confirmant que les résidents qui voyagent ailleurs reçoivent un soutien semblable. D’autres facultés n’ont rien en place, même si elles autorisent les résidents à aller à l’étranger7. Ce manque de soutien des établissements constitue une lacune importante.
La situation en formation médicale prédoctorale est bien différente et offre des possibilités de collaboration. Selon un sondage réalisé en 2009 par la Fédération d’étudiants en médecine du Canada, 9 des 14 facultés de médecine qu’elle représente ont des bureaux centralisés de santé mondiale et des employés rémunérés qui les administrent12. La plupart de ces bureaux offrent une formation préalable au départ aux étudiants en médecine et, dans les facultés où il n’y a pas de soutien institutionnel, des séances sont organisées par les stagiaires eux-mêmes avant leur départ13. Les préoccupations concernant l’éthique et la sécurité entourant les stages à l’étranger restent les mêmes après le diplôme. La mise en commun des ressources pour offrir un soutien institutionnel aux étudiants et aux résidents et pour bâtir la mémoire à long terme du corps professoral présente des possibilités considérables. Le manque de soutien aux résidents pour répondre à ces préoccupations pourrait ne pas être dans l’intérêt des stagiaires ni dans celui des collectivités hôtesses et pourrait constituer un obstacle au potentiel d’apprentissage.
Mentorat
Tout comme il faut des programmes en santé mondiale appuyés par les établissements, il faut aussi des mentors en la matière. Le mentorat est le processus par lequel une personne expérimentée offre des conseils, du soutien et de l’encouragement à une personne moins expérimentée14. Le processus de réflexion sur les expériences en santé mondiale et d’intériorisation des connaissances, des habiletés et des attitudes est facilité davantage en présence de mentors15. La relation mentor-protégé peut être établie de manière formelle ou informelle; avant tout, la relation doit être reconnue par les 2 parties16. Les mentors donnent l’exemple d’attitudes et de comportements positifs lorsqu’ils traitent les indigents et suscitent l’enthousiasme à l’égard de l’abolition des iniquités en matière de santé. Un intérêt accru du corps professoral pour la santé mondiale accroît la participation des résidents17.
Comme exemple de programme national de mentorat, on peut mentionner le projet initié par des étudiants par l’intermédiaire de la Fédération d’étudiants en médecine du Canada, appelé le Projet de mentorat en santé mondiale. Ce programme jumelle des étudiants en médecine avec des chefs de file qui travaillent en santé mondiale, en réponse au manque de cursus normalisé en santé mondiale au pays. Dans un récent sondage ultérieur à un projet de mentorat, 88 % des mentorés et 81 % des mentors eux-mêmes croyaient que c’était une expérience valable18. On pourrait élaborer un programme pancanadien de mentorat semblable, selon les mêmes principes, grâce auquel les professeurs et les résidents chefs de file dans ce domaine seraient encouragés à servir de mentors auprès des résidents juniors et des étudiants en médecine à mesure qu’ils acquièrent de l’expérience et des connaissances en la matière. La création d’un groupe d’intérêts en santé mondiale au niveau postdoctoral, dirigé par des résidents, pourrait servir à cette fin. La Coalition canadienne pour la recherche en santé mondiale a déjà élaboré un module sur la façon d’établir un programme de mentorat19. La prochaine étape importante se situerait dans une collaboration entre tous les intervenants et les départements universitaires pour assurer un accès uniforme à ce programme aux résidents de toutes les régions du pays.
Le mentorat est aussi une composante clé afin de susciter l’intérêt des résidents pour la recherche et la contribution à des pratiques fondées sur la médecine factuelle dans un contexte de santé mondiale. Les chercheurs en soins primaires ont un rôle important à jouer, étant donné que de nombreux problèmes de santé qui affectent les populations mal desservies peuvent être réglés plus efficacement au niveau de la prévention et de la promotion de la santé. Les médecins de famille ont la possibilité d’identifier les pratiques exemplaires et les méthodes fondées sur des données probantes pour prévenir et régler les problèmes de santé au niveau de la communauté qui sont applicables à différentes populations mondialement. Puisque tous les résidents en médecine familiale sont tenus de participer à une activité scientifique durant leur résidence, l’appui à des projets reliés à la santé mondiale est un moyen simple de favoriser le développement d’une expertise scientifique dans ce domaine.
Les médecins de famille jouent un rôle fondamental dans la prestation des soins aux populations marginalisées et mal desservies. Conscients de cette réalité, nous, en tant que résidents de toutes les régions du pays, cherchons des possibilités de nous impliquer et d’acquérir de l’expérience en santé mondiale. Nous encourageons fortement nos départements de formation postdoctorale et le CMFC à identifier la santé mondiale comme sujet clé dans l’élaboration du cursus en médecine familiale et ainsi nous préparer à être des médecins accomplis qui peuvent pratiquer auprès de n’importe quelle population. À mesure qu’évolue notre système de formation médicale pour répondre aux besoins en matière de santé au 21e siècle, il est essentiel d’avoir un cursus formel qui intègre des expériences d’apprentissage en santé mondiale, sur les plans régional et international.
Footnotes
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This article is also in English on page 143.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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