
Vous arrive-t-il que l’un de vos patients vous indispose? Vous savez ce genre de patient qui présente une ribambelle de malaises et de mal-être tous aussi insolubles les uns que les autres et qui, revendicateur et renfrogné, s’attend à ce que le soulagiez voire le guérissiez miraculeusement de tous ses maux. Ou, de perdre un patient auquel vous étiez attaché? Vous savez, cette dame souffrant d’un cancer du sein qui s’est vaillamment battue contre la maladie, femme sublime qui au fil des rencontres est devenue une amie, presque une sœur. Vous l’aimiez tant et elle vous manquera tellement. Ou, ce bambin frappé par une automobile qui, malgré tous les soins que vous lui avez apportés, est décédé pendant votre dernière garde à l’urgence. Comme ce fut difficile d’annoncer cette terrible nouvelle à ses parents, anéantis de douleur et de chagrin. Ou, d’être attiré par l’un de vos patients? Oh! Suprême tabou. Vous savez, de cet attrait inexorable qu’on ne peut confier à personne, car il est immédiatement confronté au mur de la tolérance zéro?
Que faites-vous alors de vos émotions?
Peut-être en parlez-vous à des collègues de travail? Peut-être racontez-vous votre journée à votre conjoint ou à vos proches, une fois rentré à la maison? Peut-être vous confiez-vous à votre meilleur ami?
Peut-être?
Toutefois, il se peut bien aussi qu’assailli par tant d’émotions, vous ne faisiez rien. Simplement encaisser. Vous endurcir. Endurer en silence. N’est-ce pas ce qu’on attend d’un bon médecin de famille : qu’il soit fort, vaillant et à l’abri de tout soupçon? Dans le langage académique, on parle plutôt d’expertise et de compétences. Jusqu’au jour où tout cela devient trop difficile et que pointe le spectre de l’épuisement professionnel ou pire, celui du cynisme. Pas surprenant dès lors que plusieurs médecins de famille finissent par restreindre leur champ de pratique et réduisent leurs activités médicales.
Devant tant d’émotions relationnelles, il est justifié de se demander si les médecins de famille n’auraient pas droit à une « aire de repos ».
Or, en page 246 de ce numéro, Michael Roberts nous propose une réflexion intitulée « Les groupes Balint. Un outil de résilience personnelle et professionnelle »1. Inventés par Michael Balint, psychanalyste anglais, il y a plus de 50 ans, les premiers Groupes Balint ont débuté dans le cadre de la formation postgraduée des médecins omnipraticiens. Essentiellement, il s’agit, à partir d’un cas de patient rapporté par un médecin, de reconnaître les difficultés relationnelles afin d’améliorer les soins aux malades et de clarifier le travail des médecins. A noter qu’il ne s’agit pas de psychothérapies individuelles ni collectives, pas plus qu’un lieu de jugement, puisque la relation médecin-malade reste au centre du travail associatif2. Le but est de permettre aux médecins d’échanger et de réfléchir sur ces événements de la vie professionnelle qui peuvent les toucher et d’améliorer la relation médecin-patient.
Depuis lors, plusieurs variantes du Balint ont été instaurées dont le Balint pédagogique et le psychodrame-Balint. Ce dernier met en œuvre deux techniques conjointes : le Balint et le psychodrame. Par l’introduction du jeu psychodramatique, il est demandé au soignant non seulement de raconter, mais aussi de mettre en scène des moments de la relation soignant-soigné et de la revivre sous le regard des autres participants, lesquels sont appelés à s’impliquer dans l’échange3,4.
Dans son commentaire, Roberts affirme que les bienfaits des Groupes Balint sont démontrés5,6. De plus, il rapporte que ces groupes sont fort répandus dans les milieux académiques américains. Il cite un sondage, réalisé auprès des programmes de résidence en médecine familiale américaine, selon lequel près de la moitié comptait un Groupe Balint et 65 % affirmaient que la participation à de pareils groupes était nécessaire7.
Au Canada, les groupes Balint, à quelques exceptions près (D. Berkson, communication personnelle, février 2012), ne font pas partie du cursus de formation des résidents en médecine familiale. Ils ne figurent pas davantage parmi les articles publiés dans notre journal. Surprenant! Serions-nous plus « résistants » que les autres?
A notre avis, les médecins de famille canadiens auraient certainement besoin d’un lieu d’échange, futil les Groupes Balint ou une autre formule, permettant de discuter de leurs patients et de la relation médecin-malade.
Un genre d’aire de repos.
Footnotes
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This article is also in English on page 243.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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