Jean Gendron, Jean Gendron, pourquoi est-ce que je pense à vous à mon retour du travail après une longue journée occupée? Votre nom me hante. Pourquoi? Oui, je sais que vous prenez trop d’oxycodone. Oui, je sais que vous souffrez de douleurs chroniques. Mais pourquoi est-ce que je pense à vous après ma journée de travail?
Combien comptons-nous de Jean Gendron dans nos pratiques? Combien de fois nous retrouvons-nous à réfléchir à une rencontre clinique après les heures de bureau? Tellement de rencontres ne se terminent pas réellement après avoir rédigé une ordonnance ou envoyé un patient passer une analyse de laboratoire ou une radiographie. Ces expériences peuvent nous toucher de bien des façons mystérieuses, émouvantes ou dérangeantes. Dans notre emploi du temps surchargé en tant que médecins de famille, il n’y a pas beaucoup d’endroits ou d’occasions de faire le point sur ces expériences personnelles et professionnelles profondes.
Depuis quelques années, je trouve qu’une rencontre avec des collègues pour converser me permet de métaboliser davantage émotionnellement ces expériences et m’empêche de les laisser s’insinuer trop profondément dans ma vie personnelle.
Michael Balint, un psychanalyste britannique, a créé une structure à l’intention des médecins de famille pour leur permettre de réfléchir en toute confiance à ces rencontres cliniques qui nous émeuvent de façon parfois étonnante1. Un groupe Balint est une réunion périodique entre médecins de famille, prévue pour discuter avec un animateur ou un leader formé à cette fin de sujets qui préoccupent l’esprit des médecins, et ce, en dehors de leurs rencontres cliniques habituelles. Un groupe Balint peut avoir plusieurs objectifs. Le présentateur peut trouver des façons plus utiles de voir un patient et d’interagir avec lui et, de son côté, le groupe peut apprendre à voir le cas sous plusieurs angles (clinicien, patient, relation). Le but est d’améliorer la capacité des médecins de fournir des soins centrés sur la relation et de composer activement avec cette relation en comprenant mieux comment ils sont touchés par le contenu émotionnel des soins qu’ils dispensent à certains patients.
Un groupe Balint compte de 6 à 10 membres et 1 ou 2 animateurs ou leaders. La composition du groupe engendre un sentiment de partage des expériences et c’est pourquoi il y a des arguments en faveur et contre la participation à un groupe Balint par des membres d’une même pratique familiale. Le déroulement d’une rencontre d’un groupe Balint comporte la présentation d’un cas (de mémoire) pendant 3 à 5 minutes environ, suivie d’une discussion de 1 heure ou plus. Toutes les discussions du groupe sont confidentielles (comme en psychothérapie); on crée un environnement de sécurité propice à l’expression de sentiments négatifs ou difficiles. Le leader d’un groupe Balint a pour rôle de favoriser un climat de sécurité, d’acceptation et de confiance, d’établir et de faire respecter les normes du groupe en laissant chaque membre parler tour à tour et de faciliter le cheminement du groupe pour qu’il saisisse bien le cas du présentateur. Ce rôle exige de bien comprendre la dynamique de groupe et d’utiliser son propre style et sa personnalité pour faire avancer le groupe.
De nombreuses données probantes dans les ouvrages spécialisés démontrent que la participation à un groupe Balint améliore les capacités des participants à faire face aux situations, leur disposition psychologique et leur habileté à être centrés sur le patient2,3. Pour moi, ce qui a commencé comme un essai de 3 mois avec des collègues que je connaissais est devenu une aventure de 20 ans durant laquelle des amitiés durables se sont nouées. Au fil des ans, nous avons discuté de toute une gamme de sujets: le patient «difficile», les erreurs, l’équilibre entre la vie professionnelle et familiale, les crises personnelles et la maladie, les problèmes au bureau, les étudiants en médecine, le «système», les joies de la pratique et le caractère unique de la relation avec nos patients.
Lorsque je mentionne mon groupe Balint à des médecins de famille ou quand je présente un colloque à des collègues universitaires, je vois de l’envie dans leurs yeux quand je décris le soutien collégial qui m’est apporté. Je me demande pourquoi ce genre de possibilité existe si peu dans le milieu canadien de la médecine familiale. Dans la plupart des programmes de résidence en médecine familiale aux États-Unis, les groupes Balint font partie de la formation4,5. Je crois qu’on ne compte que de rares groupes Balint universitaires au Canada. En Grande-Bretagne, des groupes de professionnels des soins primaires dont les discussions se fondent sur la narration sont maintenant accessibles dans de nombreuses pratiques familiales communautaires.
On peut adapter un groupe Balint à n’importe quel milieu clinique ou d’enseignement. Pourquoi pas ici? Pourquoi pas maintenant? Je mets au défi les programmes de formation universitaire en médecine familiale de réfléchir à ces questions et j’encourage mes collègues médecins de famille à envisager de se joindre à un groupe Balint ou à en créer un comme outil de résilience personnelle et professionnelle.
Acknowledgments
Je tiens à remercier les membres de mon propre groupe Balint pour l’expression de leurs perceptions et leur soutien au cours des 20 dernières années. Je remercie aussi le Fonds du développement professionnel du Département de médecine familiale et communautaire de l’University of Toronto, en Ontario, et le Département de médecine familiale Ray D. Wolfe du Mount Sinai Hospital à Toronto.
Footnotes
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This article is also in English on page 245.
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Intérêts concurrents
Dr Roberts a reçu un soutien financier de la part du Fonds de développement professionnel du Département de médecine familiale et communautaire de l’University of Toronto, en Ontario, pour la préparation de ce commentaire.
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Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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