La religion demeure un élément important dans la vie de beaucoup de nos patients, malgré une hausse de l’athéisme et même de l’antithéisme dans les médias scientifiques et populaires1. Un sondage Harris-Décima en 2008 a révélé que 72 % des Canadiens croyaient en Dieu2. On s’intéresse de plus en plus à l’intégration de la spiritualité, de la religion et de la médecine: on compte plus de 1 600 études publiées sur la relation entre la religion et la santé mentale et physique3,4.
Le concept général de la spiritualité concorde bien avec la perception des soins holistiques en médecine familiale. Par contre, pour plusieurs de nos patients, spiritualité est synonyme de religion. Quoiqu’on les désigne souvent indifféremment, la religion et la spiritualité sont différentes. Elles peuvent s’éclairer réciproquement, mais elles sont distinctes. Les religions entraînent parfois des identités, des attentes et des comportements très diversifiés. C’est très différent de la notion plus amorphe, moins délimitée et plus nébuleuse de la spiritualité. Dans bien des scénarios sociaux, la religion divise les gens et nous hésitons donc souvent à en discuter. Mais quelle est la pertinence de la religion en rapport avec les soins à nos patients et leur guérison? Les médecins sont-ils plus à l’aise avec le concept de la spiritualité et moins avec celui de la religion? Est-ce peut-être une autre dimension dans l’interaction patient-médecin et comment peut-on le mieux l’aborder?
Depuis les tout débuts de l’histoire de l’humanité, l’homme cherche une explication transcendante de l’existence. L’historique varié des grandes religions du monde à travers les âges et toutes les cultures en fait foi éloquemment. La religion tente de répondre à l’éternelle question: Quel est le but de l’existence? La réponse semble avoir 2 volets. Le premier est la relation de l’homme avec le divin, que beaucoup appellent Dieu. Cette relation va au-delà de notre réalité corporelle pour se rendre jusqu’au monde du spirituel avec ses notions d’infini et d’éternel. Le deuxième but de l’existence se concentre sur nos relations avec autrui, en insistant sur l’importance de devenir des membres utiles et productifs de la société et ainsi contribuer à notre bien-être personnel et à celui des autres.
Religion et santé
La contribution de la religion à la santé et au bien-être est matière à controverse. L’histoire révèle comment la religion a contribué directement aux guerres, à la souffrance et à la destruction. Pourtant, quelle que soit la dévastation issue de la religion, elle a été aisément dépassée par celle faite par des convictions purement humaines. Les horreurs, particulièrement celles survenues au dernier siècle, du fascisme, de l’impérialisme, du communisme, du socialisme, du capitalisme et du racisme, viennent tout de suite à l’esprit. C’est toutefois loin d’être un endossement enthousiaste de la contribution positive de la religion à la santé de la famille humaine1.
Malgré cette analyse plutôt désolante, les exemples montrant que la religion aide les gens à vivre une vie riche de sens abondent. La religion influence les personnes et les groupes à porter secours à. Les concepts chrétiens de l’agape et du caritatif, et leur contrepartie comme la zakat dans l’islam et les autres notions semblables dans toutes les grandes religions, témoignent d’une préoccupation envers la contribution au bien-être d’autrui. Cela a donné lieu à des activités, en particulier en éducation et en soins de santé, qui ont bénéficié à des millions et des millions de gens.
Si nous acceptons l’hypothèse que la religion contribue positivement à la condition humaine, il peut être utile de comprendre comment.
Il n’est pas clair quels sont éléments essentiels de la religion à cet égard. Les éléments intrinsèques de sa relation avec Dieu importent-ils le plus? Ou serait-ce les éléments extrinsèques des pratiques religieuses et de la relation avec la communauté? La cohésion sociale pourrait atténuer les conflits et promouvoir la santé. Presque paradoxalement, l’altruisme, la philanthropie et le souci d’autrui pourraient être des éléments clés du savoir prendre soin de soi. Peut-être que l’interaction entre la relation très intime et personnelle avec Dieu n’évolue pleinement que lorsqu’elle s’exprime concrètement dans l’assistance à autrui et la contribution significative à la société.
La plupart des études sur ce sujet utilisent la participation à des cérémonies religieuses comme mesure de la religiosité extrinsèque5. Les études qui examinent les éléments intrinsèques sont plus difficiles à évaluer (et plus rares) que celles qui évaluent l’implication religieuse, en raison de l’absence d’un consensus sur le terme spiritualité et de la difficulté à mesurer un concept intangible6.
Une recherche documentaire a révélé que 80 % des études pertinentes ont montré une association positive entre l’implication religieuse (à l’aide de divers critères de mesure de la participation religieuse) et l’état de santé, alors que 15 % révélaient des associations neutres et 5 % des associations négatives7. Les études sur la pratique religieuse et la santé mentale ont cerné des pourcentages semblables (83 % positives, 14 % neutres et 3 % négatives)8. La religiosité a aussi été associée à une plus grande longévité6. Une étude américaine en 1998 (n = 232) examinait la relation entre la pratique religieuse et le rétablissement après une chirurgie cardiaque. Six mois après la chirurgie, 11 % des patients qui ne pratiquaient pas étaient décédés, tandis qu’aucun des 37 patients «profondément religieux» n’était mort9.
D’autres sont plus critiques à l’endroit des données. L’analyse par Sloan et ses collaborateurs en 1999 a fait valoir que les problèmes méthodologiques étaient multiples dans les études existantes, notamment l’omission de faire un contrôle en tenant compte de comparaisons multiples et en fonction de variables confusionnelles et de covariables. Ils concluent que les données probantes sont faibles et incohérentes4. Dans un sondage Gallup en 2010 (n = 550 000) qui tenait compte d’un certain nombre de variables démographiques et géographiques10, les gens qui se considéraient très religieux n’obtenaient des points que légèrement plus élevés à l’indice de la santé physique que ceux qui n’étaient pas religieux (78,0 par rapport à 76,6)10.
En dépit des déficiences dans la plupart des études, certaines font bel et bien un contrôle en fonction des variables confusionnelles et laissent entendre qu’il y a une relation de cause à effet entre la pratique ou le respect de la religion et l’état de santé11. La pratique religieuse exige qu’on assiste aux cérémonies et pourrait être simplement associée à la mobilité, un marqueur de la santé. Matthews et ses collaborateurs mettent en évidence des études qui font valoir une relation inverse entre la pratique et les incapacités6. Ils examinent l’hypothèse que la pratique religieuse entraîne simplement des comportements propices à la santé. Pourtant, en faisant des ajustements tenant compte de tels comportements, les effets positifs de la religion demeuraient valides6.
Discussions spirituelles avec les patients
Comment abordons-nous nos patients religieux? La religion est-elle seulement une autre variable ou un marqueur culturel pour d’autres facteurs qui expliquent mieux la variabilité dans la maladie et la santé? Est-ce suffisant pour les médecins de connaître les divers éléments culturels des nombreuses religions, d’avoir une sorte de compétence culturelle? Comment évaluons-nous et aidons-nous ceux qui n’appartiennent pas à une religion en particulier et pour qui la dimension spirituelle de la santé importe quand même?
Le pourcentage de patients qui souhaitent qu’on s’enquiert de leurs croyances spirituelles varie considérablement (de 4 % à 80 %) selon le milieu12 et la gravité de leur maladie13–15. Une étude américaine multicentrique réalisée en 2003 (n = 456) indiquait que le tiers des patients en soins primaires souhaitaient qu’on les questionne à propos de leurs convictions religieuses durant les visites périodiques, mais pas au détriment de leurs préoccupations d’ordre médical12.
Dans un sondage téléphonique aléatoire aux États-Unis en 2002 (n = 1 052), alors que 69 % des répondants ont dit qu’ils voudraient avoir des discussions sur le plan de la spiritualité s’ils étaient gravement malades, seulement 3 % souhaiteraient en discuter avec leur médecin5. Les patients en clinique externe (n = 177) ont exprimé en plus grande proportion leur désir de discuter de spiritualité avec leur médecin: 66 % ont dit que des questions à propos de la religion augmenteraient leur confiance envers le médecin et près de 50 % ont rapporté que les convictions religieuses du médecin influenceraient leurs décisions médicales13.
Il n’existe pas d’études canadiennes connues se penchant sur les points de vue des médecins à propos des discussions entourant la religion dans leur pratique. Ce qui est évident dans les données américaines, c’est que même si les médecins croient fortement que la religion ou la spiritualité a une influence sur la santé16,17, ils discutent rarement de religion avec leurs patients18–21. Parmi les raisons mentionnées figurent le manque de temps, le manque de formation en anamnèse religieuse, des préoccupations au sujet de la projection de leurs croyances personnelles, la difficulté d’identifier les patients réceptifs, l’éducation des médecins, la culture et leur propre manque de spiritualité20,21.
Sloan et ses collègues reconnaissent les effets positifs et négatifs d’un dialogue axé sur la religion. Ils identifient diverses questions d’éthique entourant les implications de la religion comme traitement médical auxiliaire et maintiennent que ce pourrait constituer un abus de pouvoir et d’autorité de la part du médecin s’il semble imposer ses convictions au patient. Ils énoncent la possibilité que les discussions religieuses soient en réalité nuisibles, car relier la religion avec la santé pourrait renforcer le blâme de soi et l’idée que la maladie est due à un manque de foi4. Rumbold fait aussi valoir que les soins spirituels pourraient être improductifs, parce que la spiritualité renforce l’autonomie et qu’elle pourrait être atténuée par l’implication d’un médecin22. Il poursuit en disant que les experts se seraient emparés de cet aspect de la vie22.
Des interventions productives dans ce domaine exigent un degré élevé de maturité personnelle et spirituelle23. Pour l’atteindre, il faut que le médecin réfléchisse à son approche à l’endroit de la religion et à la dimension spirituelle de la santé. Une plus grande attention à ce chapitre dans la formation préclinique semble logique, de façon à ce que l’apprenant explore les dimensions éthiques de concert avec les autres domaines culturels pertinents.
L’évaluation spirituelle devrait chercher à cerner les réflexions, les souvenirs et les expériences qui confèrent sa cohérence à la vie d’une personne22. Il n’est pas nécessaire que ce soit un processus inquisiteur ou envahissant. Il s’agit d’ouvrir un autre chapitre dans l’histoire de la vie d’un patient. Cela nous aide à comprendre comment et pourquoi les patients abordent leur vie de telle manière et à acquérir une compréhension plus profonde de la façon dont ils interprètent les défis auxquels ils sont confrontés. Cette évaluation peut faciliter l’alliance thérapeutique de manière utile et inattendue. Le fait même de reconnaître une dimension spirituelle à la santé fait savoir au patient que nous sommes attentifs à ses besoins, à ses aspirations et à ses inquiétudes dans cette arène.
Mais cette démarche comporte un certain danger. Si nous entrons avec maladresse dans le cheminement spirituel ou religieux d’autrui avec des analyses et commentaires insensibles, partiaux et inutiles, nous ferons plus de mal que de bien. Un autre avertissement prend particulièrement son sens véritable dans ce domaine : médecin connais-toi toi-même. Nous serons appelés à examiner notre propre vision du monde en ce qui a trait à la religion et à nos préjugés inhérents.
Une meilleure compréhension de la façon dont la religion peut influencer notre santé a d’importantes conséquences sur la formation, la pratique et la recherche. Si vous adoptons la notion que la religion peut contribuer au bien-être de la personne et, par le fait même, de la société, les médecins de famille pourraient trouver utile de comprendre et d’encourager ses effets heuristiques. Nous sommes ainsi mis au défi de faire une recherche plus approfondie à ce sujet, surtout au Canada. Cela ajoute une autre dimension à la relation médecin-patient et nous demande de regarder nos communautés sous un nouvel angle.
La religion est un important aspect de la vie de tant de gens dans notre monde. Peut-être pourrions-nous contribuer à ce qu’elle soit à la fois utile et bonne pour la santé?
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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The English translation of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2012 issue on page 249.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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