Jean M. a 66 ans et est veuf depuis 6 ans. Il n’a pas d’enfant et a pris sa retraite de l’enseignement à 58 ans. Depuis le décès de sa conjointe, il vit passablement dans la solitude, mais sa sœur le visite périodiquement pour combler ce vide. Au cours des 2 derniers mois, elle s’est rendu compte que Jean n’a plus d’appétit, a perdu du poids et a connu une baisse considérable de ses capacités de fonctionner. Elle le visite plus souvent, lui apporte des repas et essaie de l’encourager à manger. Tout dernièrement, elle a remarqué une odeur nauséabonde dans sa maison. Il l’attribue à ses mauvaises habitudes quant à l’entretien domestique et à l’hygiène.
Elle vient le voir aujourd’hui et trouve Jean au lit, débraillé, très faible et incapable de se lever tout seul. Elle sent que l’odeur nauséabonde dans la maison est encore pire et remarque que le devant de sa chemise sur son ventre est tout humide. Elle s’inquiète et, après beaucoup d’insistance, elle le convainc d’aller à l’hôpital et appelle une ambulance.
On l’évalue à l’urgence. Il est alerte, sa température est de 37,4 °C, sa fréquence cardiaque de 96 battements/minute et sa tension artérielle est de 102/70 mm Hg. Il semble faible et légèrement déshydraté. Un examen abdominal révèle une plaie ouverte importante avec écoulement abondant et une odeur nauséabonde, qui s’est répandue partout autour. La plaie s’étend du milieu de l’abdomen jusqu’au flanc gauche, mesure 22 cm par 16 cm. Vous vous inquiétez qu’il s’agit peut-être d’une plaie cancéreuse avancée.
Les plaies cancéreuses ou fongueuses se produi-sent quand des cellules cancéreuses envahissent l’épithélium, s’infiltrent dans les vaisseaux sanguins et lymphatiques qui l’irriguent et pénètrent dans l’épiderme. Il s’ensuit une perte de vascularité et donc d’alimentation pour la peau, menant à la mort et à la nécrose des tissus. La lésion peut être due à un cancer primaire ou à des métastases dans la peau1–3.
Les objectifs des soins pour les plaies cancéreuses vont de leur guérison jusqu’à une approche palliative et reposent sur 3 principes de base. Le principe le plus important est la prise en charge des symptômes, suivie de la prise en charge de la plaie et du traitement de la tumeur sous-jacente, si c’est possible et approprié1,4. Avant d’aborder les soins à des plaies cancéreuses, afin que les attentes soient réalistes, il faut régler et éliminer le stigmate et le blâme associés aux plaies qui ne guérissent pas5.
Pour bien prendre en charge les plaies cancéreuses, il faut régler le problème d’odeur et d’exsudat, tout en se préoccupant de la prise en charge de l’inconfort et de l’isolement que causent ces plaies6.Il faut accorder la priorité au confort et à la qualité de vie du patient.
Après une discussion avec Jean et sa sœur, il est clair que le retour à la maison serait difficile et Jean convient que la meilleure façon d’accélérer l’investigation et la prise en charge de sa plaie est l’hospitalisation. En posant plus de questions, vous apprenez que Jean a perdu 12 kg au cours des derniers mois. Ses résultats de laboratoire révèlent un taux d’hémoglobine de 98 g/l, des taux de protéines et d’albumine faibles, un taux de créatinine de 178 μmol/l et un taux d’urée de 34 mmol/l. Ces résultats confirment sa malnutrition et sa déshydratation. Jean voit un médecin du département de chirurgie plastique où sera effectuée une biopsie de la plaie et où l’on donne des suggestions sur la prise en charge de la plaie. La biopsie confirme un carcinome squameux malin. Une étude par tomographie par ordinateur révèle des métastases au foie et des nodosités intra-abdominales.
L’équipe de soins rencontre Jean et sa sœur pour discuter du diagnostic et du pronostic palliatif. Avec son consentement, on consulte le département d’oncologie pour examiner les options de traitement. Jean refuse tout traitement modificateur de la maladie et, avec son approbation, il est référé à l’équipe des soins palliatifs.
Le personnel signale des tissus nécrosés en quantité excessive et des exsudats abondants, ainsi qu’une odeur très nauséabonde dans la chambre. Son compagnon de chambre se plaint de l’odeur au personnel. Jean confie à sa sœur et à l’infirmière qu’il est très mal à l’aise et embarrassé par l’odeur et par la douleur lors du changement de ses pansements. Pour accommoder Jean et son compagnon, il est transféré à une chambre privée au service des soins palliatifs. L’équipe est bien consciente de son embarras, de sa honte et de sa sensibilité à propos de son image corporelle et de l’odeur qui se dégage de la grande plaie. On consulte la travailleuse sociale de l’équipe pour qu’elle aide le personnel à transiger avec les effets psychosociaux qu’a sur Jean sa plaie cancéreuse.
La mauvaise odeur des plaies est causée par les bactéries qui résident dans les tissus nécrosés. Il s’agit habituellement de microbes multiples contenant à la fois des bactéries anaérobies et aérobies. Ce sont en grande partie les bactéries anaérobies qui émettent la putrescine et la cadavérine causant les odeurs nauséabondes; elles peuvent entraîner des haut-le-cœur, des vomissements et la perte d’appétit. Certaines bactéries aérobies, comme la Proteus et la Klebsiella peuvent aussi produire des odeurs désagréables6,7. L’évaluation de l’odeur est subjective et, si une personne est exposée à une odeur sur une période prolongée, ses cellules sensorielles deviennent insensibles pour l’empêcher de percevoir cette senteur6. Il existe des outils validés pour évaluer plus objectivement l’odeur2,6,8,9.
La bonne approche pour prendre en charge des plaies cancéreuses fongueuses insiste plus sur la qualité de vie que sur la guérison. Elle doit être holistique et se classe en 2 principales catégories: la prise en charge physique et psychologique (Encadré 1) 1,2,4,6.
Encadré 1. Aspects physiques et psychologiques de la prise en charge des plaies malodorantes
Aspects physiques
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Aspects psychologiques
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Données provenant de la BC Cancer Agency1, de Morris2, de Pereira et collab.4 et de Holloway et collab.6
On s’occupe tout d’abord de la douleur causée par la plaie de Jean. On lui administre initialement un opioïde aux 4 heures et un opioïde à l’heure, au besoin, pour les percées de douleur. Le titrage se fonde sur son utilisation au besoin. L’infirmière a aussi une ordonnance d’administrer une dose sous-cutanée pour l’accès douloureux 30 minutes avant de changer le pansement. Le département de chirurgie plastique et l’infirmière clinicienne en prise en charge des plaies continuent de suivre Jean et recommandent que l’on se penche sur son autre symptôme prioritaire: l’odeur de la plaie (Encadré 2)3,7,10.
Encadré 2. Cadre de prise en charge de l’odeur
Prendre en charge la «biocontamination» causant l’odeur
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Masquer ou absorber l’odeur
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Données provenant de McManus3, de Paul et Pieper7 et de Molan10
On procède initialement à un débridement chirurgical des tissus nécrosés abondants, puis on nettoie la région à l’aide d’une solution saline, administrée sous pression avec l’aiguille d’une seringue de calibre 19. Par la suite, on utilise un pansement à base de miel médical. Les pansements à base de miel médical ont divers effets thérapeutiques qui aident au débridement des tissus et au contrôle des odeurs et ils peuvent aussi favoriser la guérison (quoique la guérison soit peu probable dans la population palliative) (Encadré 3)10,11. En raison de la taille importante de la plaie et des exsudats abondants, l’efficacité des pansements à base de miel médical est limitée. On pose un pansement hydrocolloïde absorbant et un pansement au charbon qui sont changés 2 fois par jour ou au besoin pour contrôler l’exsudat et l’odeur 2,6. On applique du métronidazole topique en poudre (aussi disponible en vaporisation ou en gel) à chaque changement de pansement 7,8,12. La chambre de Jean est bien aérée et du charbon est placé stratégiquement un peu partout dans la pièce. L’odeur de la plaie est en grande partie éliminée, ce qui soulage Jean et sa sœur. La qualité de vie de Jean en est grandement améliorée.
Encadré 3. Effets thérapeutiques des pansements à base de miel médical (Medihoney)
Voici certains des effets thérapeutiques des pansements à base de miel :
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Données provenant de Molan10 et de Pieper11
Jean reçoit fréquemment des visiteurs durant son séjour à l’unité des soins palliatifs. Son état se détériore graduellement au cours du mois suivant. Il ne peut pas retourner à la maison en raison des soins très actifs dont il a besoin. Il meurt confortablement et paisiblement. Ses symptômes physiques et psychologiques qui le dérangeaient le plus à cause de la douleur et de l’odeur ont été contrôlés jusqu’à la fin. Sa sœur exprime sa profonde gratitude pour les efforts déployés pour préserver la dignité de Jean et améliorer sa qualité de vie.
Notes
POINTS SAILLANTS
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Les plaies malignes se produisent quand des cellules cancéreuses envahissent l’épithélium et pénètrent dans l’épiderme, causant ainsi la nécrose des tissus.
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Le traitement des plaies cancéreuses insiste plus sur le maintien de la qualité de vie que sur leur guérison et comporte 2 volets : la prise en charge physique et psychologique.
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L’odeur nauséabonde que dégagent les plaies cancéreuses crée chez le patient un fort sentiment d’isolement et le dérange sur le plan émotionnel. Les problèmes de mauvaise odeur et d’exsudat peuvent être réglés, tout en prenant simultanément en charge la douleur et l’isolement provoqués par de telles plaies.
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La mauvaise odeur est causée à la fois par des bactéries aérobies et anaérobies. Pour l’atténuer, on a recours à des interventions qui contrôlent la «biocontamination» et à des mesures pour masquer ou absorber l’odeur.
Dossiers en soins palliatifs est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien et rédigée par les membres du Comité des soins palliatifs du Collège des médecins de famille du Canada. Ces articles explorent des situations courantes vécues par des médecins de famille qui offrent des soins palliatifs dans le contexte de leur pratique en soins primaires. N’hésitez pas à nous suggérer des idées de futurs articles à palliative_care{at}cfpc.ca.
Footnotes
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
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The English translation of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2012 issue on page 272.
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Intérêts concurrents
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