Selon les croyances populaires, l’industrie mondiale du tourisme médical connaît une expansion rapide, les compagnies de tourisme médical prolifèrent et les patients voyagent autour du monde pour recevoir des soins médicaux. Tant les chercheurs du domaine de la santé que les journalistes présument que l’industrie canadienne du tourisme médical connaît une croissance dramatique et que les entreprises de tourisme médical reçoivent un défilé de patients cherchant à recevoir une arthroplastie du genou et de la hanche, des traitements contre le cancer, la thérapie de la «libération», des injections de cellules souches, des services de reproduction assistée, une chirurgie cosmétique et d’autres interventions1,2. Des reportages décrivent des compagnies de tourisme médical qui aident leurs clients à éviter les longues files d’attente canadiennes pour des soins à accéder à des interventions non disponibles dans les hôpitaux canadiens et à obtenir des traitements abordables à payer de leur poche3,4. Ces entreprises envoient des résidants du Canada dans des hôpitaux et des cliniques de pays comme le Costa Rica, Cuba, la République dominicaine, l’Inde, le Mexique et la Thaïlande5,6. Par ailleurs, aussi convaincante qu’elle puisse paraître, cette représentation désormais coutumière de la mondialisation des soins de santé et de l’expansion de l’industrie du tourisme médical omet des éléments importants concernant les entreprises canadiennes qui font la promotion des voyages médicaux transnationaux. Les entreprises de tourisme médical au pays ne connaissent pas toutes une croissance rapide du nombre de leurs clients. Au contraire, environ la moitié des compagnies de tourisme médical établies au Canada depuis 2004 ne sont plus en affaires.
Entreprises liquidées
J’ai commencé à étudier les entreprises canadiennes de tourisme médical en 2006. Me fondant sur des reportages médiatiques, des recherches répétées dans Internet et des conversations avec plusieurs facilitateurs de voyages à des fins médicales, ainsi que sur des Canadiens qui se sont fait soigner en Inde, aux États-Unis et ailleurs, dès 2007, j’étais en mesure d’identifier 15 entreprises de tourisme médical exploitées au Canada7. (J’ai aussi trouvé des agences de voyage qui faisaient la promotion de voyages vers des établissements de santé en Inde et en Thaïlande). En 2011, environ 18 entreprises ayant leur siège social ou des succursales affiliées au Canada avaient essayé de faire le marketing des soins médicaux dans des établissements de santé au Costa Rica, en Inde, en Thaïlande et dans d’autres destinations internationales. Sept autres compagnies organisaient des voyages médicaux régionaux et transfrontaliers aux États-Unis, ainsi que dans des cliniques privées au Canada. En regroupant ces 2 types d’entreprises, on peut dire que le Canada compte environ 25 entreprises de tourisme médical qui font la promotion de diverses interventions médicales. Deux autres compagnies se limitent au marketing de la «thérapie de la libération» pour la sclérose en plaques en Inde et 3 entreprises spécialisées en perte de poids commercialisent la chirurgie bariatrique et cosmétique au Mexique, en plus de promouvoir d’autres stratégies d’amaigrissement. Ces dernières envoient des Canadiens dans des établissements médicaux internationaux, mais elles ne se présentent pas comme des entreprises de tourisme médical complet. En plus de ces compagnies opérationnelles, à ma grande surprise, 25 autres entreprises de tourisme médical canadiennes n’ont pas survécu en tant que compagnies actives.
Des compagnies de tourisme médical établies dans différentes régions du Canada - exploitées selon des modèles d’affaires distincts et démontrant divers degrés de savoir-faire commercial et de spécialisation en marketing - ont échoué malgré la croyance généralisée quant à la croissance rapide des voyages médicaux et à l’émergence d’un marché mondial pour les services de santé. Même si les partisans des voyages médicaux se targuaient de l’arrivée du consommateur médical mobile, 2 entreprises de tourisme médical canadiennes spécialisées en «tourisme dentaire» ont fait surface et ont disparu, 1 compagnie canadienne a cessé de faire la promotion de transplantations du cœur et du foie effectuées en Colombie et 22 autres compagnies canadiennes de tourisme médical ont disparu du marché des voyages médicaux - 13 en Ontario, 7 en Colombie-Britannique, 4 au Québec et 1 en Alberta. La seule entreprise établie dans le but d’envoyer des Canadiens à l’étranger et d’attirer des citoyens américains vers les établissements médicaux du Canada compte parmi les compagnies de tourisme médical qui sont disparues de la carte. On ne sait pas vraiment si la compagnie a déjà réussi à attirer des patients internationaux dans les établissements de santé canadiens ou à envoyer des Canadiens dans des hôpitaux et des cliniques au-delà des frontières du Canada8. Certains Canadiens voyagent effectivement à l’étranger pour des soins médicaux et il y a des raisons de croire que leur nombre augmente. Reconnaissant cela - quoiqu’il importe de signaler qu’il n’y a pas de données fiables disponibles pour établir combien de Canadiens vont se faire soigner chaque année à l’étranger, ni pour savoir à quel rythme le voyage médical à l’étranger augmente - ce qu’on ignore généralement, c’est qu’en l’espace de quelques années après le démarrage de leur entreprise, environ la moitié de toutes les compagnies canadiennes de tourisme médical avaient fermé leurs portes.
Peu de caractéristiques identifiables permettent de faire une distinction entre les compagnies de tourisme médical qui fonctionnent et celles qui échouent. Les entreprises qui avaient des portails web peu élaborés ont fait faillite; des compagnies ayant des sites web d’apparence professionnelle et des stratégies avisées de marketing ont connu le même sort. Les 2 compagnies de tourisme dentaire au Canada, peut-être parce que les interventions en chirurgie dentaire doivent s’échelonner sur plusieurs visites plutôt qu’être effectuées en 1 seule, n’envoient plus de patients à l’étranger pour des soins. L’élément qui se démarque le plus chez les entreprises de tourisme médical qui ont cessé leurs activités est que 14 d’entre elles commercialisaient des interventions médicales dans un seul pays de destination. Peut-être que ces entreprises ont fait erreur en mettant l’accent sur le choix et le consumérisme médical, tout en n’offrant à leurs clients que l’accès à un seul établissement médical ou à des traitements dans un seul pays.
Certains promoteurs des voyages médicaux semblent avoir élargi leur clientèle. Plusieurs entreprises de tourisme médical se sont distinguées de leurs compétitrices en s’arrangeant pour toujours avoir une couverture médiatique et en élaborant des stratégies sur les médias sociaux pour tirer profit des possibilités gratuites de marketing offertes par YouTube, Facebook et Twitter. Au lieu de conclure que l’industrie tout entière est davantage fondée sur des trucs de marketing plutôt que sur la demande réelle des clients, peut-être que ce qui se passe, c’est que quelques compagnies commencent à dominer le marché canadien des voyages à des fins médicales. Même si l’industrie se consolide et témoigne d’une évolution allant des petites entreprises en démarrage à des compagnies ayant plus de maturité, le haut taux d’échec des entreprises canadiennes de tourisme médical est considérable. Cette réalité semble avoir échappé aux médecins de famille et autres médecins canadiens, aux chercheurs dans le domaine de la santé, aux journalistes et aux éventuels clients des entreprises de tourisme médical.
Avertissements
Plusieurs avertissements se dégagent du démarrage et de la fermeture relativement rapide de nombreuses entreprises de tourisme médical au Canada. D’abord, les médecins de famille auxquels font appel leurs patients pour explorer les options de soins médicaux à l’extérieur du Canada devraient insister pour qu’ils soient prudents et évitent de prendre des décisions hâtives en se fondant sur des renseignements limités. Les médecins de famille devraient encourager leurs patients à faire preuve de diligence et à en apprendre le plus possible au sujet des compagnies qu’elles envisagent d’utiliser. Toutes les compagnies n’ont pas de longs antécédents de réussite en matière d’arrangements de soins médicaux dans des établissements de santé établis ailleurs qu’au Canada. De même, si des soins postopératoires sont nécessaires une fois les patients revenus au Canada, les clients potentiels de compagnies de tourisme médical doivent comprendre que bon nombre de ces entreprises ne survivent pas à leurs activités. Si des soins postopératoires sont requis ou si des poursuites sont envisagées en raison de soins sous-optimaux à l’étranger, il y a des risques que certaines de ces compagnies aient fermé leurs portes et ne répondent pas aux réclamations de leurs clients. Les médecins de famille consultés par des patients qui explorent la possibilité d’aller à l’étranger pour des soins de santé et veulent discuter de cette option devraient leur conseiller de se renseigner sur ce qui suit à propos de l’entreprise de tourisme médical: a-t-elle fait l’objet de plaintes par des consommateurs; est-il probable qu’elle reste en activité pendant que les patients sont à l’étranger pour recevoir des soins et après leur traitement; a-t-elle assez de fonds pour demeurer en activité; la compagnie a-t-elle des modèles d’affaires prévoyant l’arrangement des soins préopératoires et postopératoires, le choix d’établissements de destination fondé sur une évaluation indépendante de la qualité des soins et de la sécurité pour les patients, la fourniture de renseignements sur la santé de manière honnête et rigoureuse, y compris la discussion des risques et des bienfaits du traitement, l’offre d’une assurance voyage et médicale au cas où des problèmes surviendraient pendant que le patient reçoit son traitement à l’étranger9,10?
La plupart des médecins de famille se sentiront dépourvus pour aider leurs patients qui envisagent diverses options de voyage à des fins médicales et de naviguer dans l’industrie canadienne du tourisme médical. Jusqu’à ce que les compagnies de tourisme médical canadiennes soient mieux règlementées et aient des antécédents plus établis et publiquement vérifiables, les médecins de famille trouveront difficile de donner des conseils éclairés à leurs patients et de les aider à faire la distinction entre les facilitateurs de tourisme médical de grande qualité et dignes de confiance au pays et les entreprises instables qui quitteront bientôt le marché.
Deuxièmement, les médecins de famille et leurs patients doivent comprendre qu’il y a beaucoup de «roulement» dans l’industrie du tourisme médical. Quand ils examinent les risques du tourisme médical, les chercheurs du domaine de la santé insistent habituellement sur les risques de recevoir des soins médicaux sous-optimaux, de contracter des maladies infectieuses ou de recevoir des soins postopératoires inadéquats. En plus de ces risques pour la santé, il faut aussi soulever les risques financiers, lors des discussions entre médecins et patients à propos du recours à des facilitateurs de tourisme médical pour organiser des soins de santé transnationaux. Les compagnies de tourisme médical vont et viennent; beaucoup d’entre elles ont une présence impressionnante dans Internet, mais emploient peu de personnel et ont, au mieux, une modeste présence en «briques et mortier». Comme les protecteurs des consommateurs recommandent d’utiliser une carte de crédit quand on achète un forfait de voyage, les clients éventuels d’agences de tourisme médical devraient envisager d’en faire autant, plutôt que de payer l’achat comptant. Des clients d’une entreprise de tourisme médical canadienne lui ont apparemment versé des fonds pour une intervention médicale effectuée dans un centre aux États-Unis. L’entreprise de tourisme médical aurait gardé ces fonds et n’aurait pas payé les services de santé fournis dans l’hôpital en question11. L’hôpital américain a par la suite entrepris des poursuites contre les patients pour se faire rembourser. Entre-temps, l’entreprise de tourisme a cessé ses activités, son bureau a été placardé et les appels des clients en colère n’ont pas été retournés. Les 2 propriétaires de la compagnie ont subséquemment été accusés de fraudes multiples. De tels cas sont proba blement rares, mais ils montrent que les patients peuvent être exposés à des risques financiers lorsqu’ils concluent un marché avec des compagnies de tourisme médical. Les médecins de famille devraient conseiller à leurs patients de prendre toutes les mesures voulues pour réduire leurs risques financiers lorsqu’ils consultent de telles entreprises.
Troisièmement, les partisans d’une expansion de l’industrie canadienne du tourisme médical qui font la promotion d’un plus grand nombre d’options de soins médicaux transnationaux auprès des Canadiens devraient comprendre que si les obstacles à l’établissement d’une entreprise de tourisme médical ne sont pas nombreux, l’entrée facile dans ce marché n’est pas synonyme de succès commercial. Peut-être que certains Canadiens demeurent inquiets de la qualité des soins qu’ils pourraient recevoir à l’étranger, hésitent à recevoir un traitement loin de leur communauté et de leurs proches, craignent de contracter des infections pendant qu’ils se font soigner ou se préoccupent de la continuité des soins et du suivi12,13. Quelles que soient les raisons, ce ne sont pas toutes les compagnies de tourisme médical qui se bâtissent une clientèle suffisante. Ceux qui préconisent le développement de l’industrie canadienne du tourisme médical devraient être avertis à l’avance qu’environ la moitié de ces entreprises ferment leurs portes quelques années après leur démarrage. Il est possible que certaines compagnies de tourisme médical au Canada se soient établies parce que les entrepreneurs ont sous-estimé les défis que représente la transformation du concept commercial de faire le marketing des soins de santé transnationaux en une entreprise commerciale viable et prospère.
Quatrièmement, les décideurs dans le secteur de la santé au Canada doivent comprendre que le marché du tourisme médical canadien est fluide et, à de nombreux égards, étonnamment turbulent. Les entreprises de tourisme médical apparaissent souvent sur la scène publique à grands renforts de communiqués de presse et de reportages médiatiques, pour disparaître aussitôt14. Les entreprises en faillite n’annoncent pas leur disparition. Il est possible que les rapports hyperboliques tant des promesses que des périls du tourisme médical soient faits sans tenir compte d’un environnement où la prolifération des compagnies de tourisme médical ne s’est pas accompagnée d’une demande considérable pour le voyage international à des fins médicales ou encore qu’elle se soit produite dans un contexte où un nombre modeste d’entreprises attirent la plupart des Canadiens prêts à recevoir des soins médicaux internationaux électifs et capables de les payer de leur poche.
Succès exagéré
Certains Canadiens cherchent un accès accéléré aux traitements. D’autres, comme le révèlent les reportages sur les personnes qui vont à l’étranger pour une «thérapie de la libération», voyagent pour avoir accès à des interventions qui ne sont pas effectuées au Canada15,16. Une autre cohorte de voyageurs vont à l’étranger pour des interventions - les transplantations de reins et la maternité de substitution sur une base commerciale en sont 2 exemples évidents - qui sont illégales au Canada17,18. Les différents types de voyageurs à des fins médicales méritent tous l’attention des chercheurs dans le domaine de la santé; il y a de nombreuses raisons pour investiguer les diverses facettes éthiques, sociales, cliniques, économiques et sur le plan de la santé publique des voyages médicaux19. Par ailleurs, il faut aussi éviter d’exagérer la réussite des compagnies de tourisme médical et de vanter à l’excès le phénomène social du tourisme médical. Un rapport complet sur l’industrie canadienne du tourisme médical exige qu’on signale aussi les faillites commerciales et pas seulement les entreprises qui réussissent à commercialiser leurs services dans les sites web, les blogues et les plates-formes des médias sociaux. Les chercheurs du secteur de la santé commencent à comprendre comment, où et pourquoi l’industrie du tourisme médical s’est développée. Les chercheurs qui s’intéressent à l’industrie canadienne du tourisme médical devraient aussi explorer pourquoi, dans un pays ayant une longue histoire d’insatisfaction à l’égard des longs délais d’attente pour diverses interventions médicales, environ la moitié des entreprises de tourisme médical établies au Canada ont quitté le marché des voyages à des fins médicales. Les médecins de famille canadiens à qui s’adressent des patients qui envisagent d’aller à l’étranger pour des soins médicaux ont particulièrement besoin des résultats d’une recherche examinant toutes les facettes de l’industrie canadienne du tourisme médical.
Footnotes
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the April 2012 issue on page 371.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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