Il est impossible qu’un phénomène si naturel, si nécessaire et si universel que la mort ait été conçu par la Providence comme une malédiction envers l’humanité.
Jonathan Swift (traduction libre)
Il y a quelques semaines, une de mes patientes âgée de 65 ans m’a parlé de ses problèmes à prendre soin de sa mère de 89 ans. Même si elle a une sœur qui habite dans les environs, elle est la principale aidante de sa mère depuis les dernières années. Au cours des 3 derniers mois, sa mère a été hospitalisée 3 fois et elle était à l’hôpital au moment où ma patiente m’a consulté. Elle a un type de cancer indolent et à lente progression, mais elle souffre aussi d’une néphropathie et d’insuffisance cardiaque congestive; elle a besoin d’oxygène à domicile pour respirer. Juste avant sa plus récente hospitalisation, elle a enfin accepté certains soins à domicile, atténuant ainsi un peu pour ma patiente le fardeau grandissant des soins. Elle veut revenir à la maison après son séjour à l’hôpital, mais ma patiente s’épuise et sa mère revient toujours encore plus frêle à chaque fois. «Votre mère devient plus frêle, lui ai-je dit. Avez-vous discuté ensemble du type de soins qu’elle aimerait recevoir en approchant la fin de sa vie?» Ce n’est pas la première fois qu’on me répond par la négative dans une telle situation. Ce qui me désole tout autant, c’est que le médecin de famille de sa mère n’ait pas soulevé cette question avec elles.
Dans la société occidentale, la notion de mort consciente est très puissante et c’est un idéal auquel aspirer grâce aux influents travaux de Dre Elizabeth Kübler-Ross. Mais ce concept de la mort comme étant d’abord un processus de déni, puis de rationalisation et enfin d’acceptation s’est dégagé de travaux auprès de patients conscients, souvent plus jeunes, se mourant habituellement du cancer. Chez les aînés, la trajectoire est souvent différente. Dans un récent article, Van den Block et ses collaborateurs ont démontré que la plupart des gens âgés en Belgique meurent encore à l’hôpital et qu’ils y sont admis au moins 1 fois dans les 3 mois précédant leur décès. De ceux qui sont admis, au moins 72 % mourront à l’hôpital1. La situation est probablement semblable au Canada.
La description par Lunney et ses collègues des 4 «trajectoires » de la mort inclut la mort consciente et la mort soudaine, mais aussi 2 autres: l’incapacité à long terme avec exacerbations périodiques et l’imprévisibilité du décès, qui caractérisent la mort causée par une insuffisance chronique d’un organe ou d’un système, ou encore les lacunes dans les soins autonomes et une lente progression vers la mort causée par la fragilité ou la démence2,3. Dans notre société vieillissante, il est probable que de nombreuses personnes feront l’expérience de l’une ou l’autre des 2 dernières trajectoires.
La difficulté d’avoir une belle mort dans de telles circonstances sera d’autant plus grande que de nombreux patients n’auront pas discuté de leurs volontés concernant les soins en fin de vie avec les membres de leur famille et encore moins auront eu de telles discussions avec leur médecin. Dans l’étude Framingham Heart4 auprès de 220 répondants en centre d’hébergement communautaire dont l’âge moyen était de 88 ans, 70 % ont dit avoir discuté avec quelqu’un de leurs volontés concernant les soins en fin de vie, mais seulement 17 % en avaient parlé avec un médecin ou un autre professionnel de la santé. Dans les 2/3 des cas, ils avaient un mandataire pour les soins de santé, et 55 % ont répondu avoir un testament biologique, une proportion plus élevée, je crois, que dans la plupart des pratiques familiales. La majorité (80 %) des participants ont dit préférer recevoir des soins pour assurer leur confort en fin de vie mais, constatation troublante dans cette étude, plus de la moitié d’entre eux étaient prêts à endurer des interventions pour prolonger leur vie et leur état de santé stressant pour éviter la mort4.
On a identifié de nombreux obstacles qui empêchent les Canadiens d’avoir ces conversations difficiles5, mais des données probantes convaincantes corroborent que des discussions à propos des directives préalables au sujet des soins accroît la satisfaction des patients et de la famille à l’endroit des professionnels de première ligne6 et que la planification à l’avance des soins améliore les soins en fin de vie, de même que la satisfaction du patient et de la famille et réduit le stress, l’anxiété et la dépression chez les proches survivants7. Dans leur étude sur les ordonnances de ne pas réanimer, Robinson et ses collègues ont observé que les patients identifiaient leur médecin de famille parmi les personnes avec lesquelles ils préféraient discuter de telles décisions8.
Même si la façon dont mourront les personnes âgées présente de nombreux défis pour elles, leur famille, les professionnels de la santé et le système de santé, il est possible d’au moins entamer une conversation sur les soins en fin de vie et, peut-être, d’éviter des interventions qui s’avéreront inutiles et des états de santé inutilement pénibles avant le décès. C’est une conversation que nous, les médecins de famille, sommes bien placés pour amorcer et poursuivre avec nos patients et leur famille.
Footnotes
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