Chaque Québécois souhaite trouver «son» médecin de famille, mais les finissants en médecine de famille boudent les cabinets. La façon d’enseigner la continuité des soins dans les unités de médecine familiale (UMF) contribue-t-elle au manque d’intérêt pour ce secteur d’activité chez les résidents? Voici la réflexion d’une omnipraticienne nouvellement certifiée.
UMF et manque d’intérêt pour la continuité des soins
Tout juste sortis de l’externat, les nouveaux résidents en médecine familiale se voient projetés dans un univers de suivi de clientèle complètement nouveau pour eux. Du jour au lendemain, ils se retrouvent à rencontrer des patients qui ont de multiples pathologies, alors que la base de l’examen médical périodique leur est encore inconnue. Cette situation est anxiogène et engendre un sentiment d’incompétence. Le nouveau résident y trouve par conséquent bien peu de satisfaction.
Lors d’une première consultation, il faut débroussailler le dossier antérieur du patient, souvent bien garni et tenu par plusieurs résidents auparavant. Une large proportion de patients fréquentant les unités de médecine familiale (UMF) ont de nombreuses pathologies, une liste chargée de médicaments et un contexte psychosocial lourd. Certains d’entre eux doivent être suivis à domicile. Dans les centres universitaires, il n’est pas rare que plusieurs problèmes soient suivis par différents spécialistes, ce qui complique la revue du dossier. Finalement, quelques patients ont même un soupir d’exaspération lorsqu’ils constatent que leur médecin a encore changé. Le défi est donc de taille pour un débutant!
Dans le bureau, le nouveau résident doit apprendre à gérer son temps. Il fait le tour des antécédents familiaux pour la dixième fois depuis que le patient est suivi à la clinique. Il a l’impression qu’il doit tout connaître de son patient, puisque son superviseur le bombardera de questions: Dernier bilan? Dernière mammo? Ostéodensitométrie dans le passé? Et la recherche de sang dans les selles?
Généralement, en début de résidence, les résidents doivent réviser leur cas avant de laisser quitter le patient. Il y a parfois de l’attente pour la supervision parce que tous les superviseurs sont occupés, ce qui contribue à prendre du retard dans les rendez-vous. Parfois, la durée de la supervision s’étend longuement pour gérer les plaintes des patients. Résultat: les patients sont mécontents d’attendre, le résident a l’impression de tout bâcler parce qu’il est toujours pressé, l’enseignement est sous optimal, voire limité, et les journées n’en finissent plus. Lorsque le patient quitte le bureau, le résident a l’impression d’avoir à peine compris sa problématique. Il a bien sûr renouvelé quelques médicaments, mais sans toujours être convaincu de leur nécessité.
À la fin de la clinique, il faut rédiger les notes, remplir les formulaires, gérer les résultats de laboratoire et retourner les appels de la journée. Par manque de ressources, les résidents doivent souvent télécopier eux-mêmes leurs demandes d’examen ou les renouvellements de prescriptions aux pharmacies. Il y a aussi les tâches plus «classiques» qui s’ajoutent: gardes, autres stages, cours, présentations, projets académiques, et encore les gardes. L’horaire devient extrêmement chargé très rapidement. Malheureusement, quelques UMF ajoutent des bureaux ou des cours de soir, sans décharger le reste de l’horaire. Sans grande surprise, la prise en charge est souvent perçue comme une tâche lourde, peu stimulante et peu valorisante dès le départ.
Un conflit soutenu par les règles gouvernementales
La promotion de la médecine familiale porte beaucoup sur la diversité de la pratique: urgence, hospitalisation, soins aux enfants, soins aux personnes âgées, santé des femmes, santé mentale et bien plus. Les jeunes médecins à la recherche d’adrénaline iront certainement vers une pratique à la salle d’urgence ou à la salle d’accouchement avant d’investir dans une pratique en cabinet, dans le but entre autres d’éponger leurs dettes rapidement. De plus, les activités médicales particulières (AMP)* poussent les finissants vers une pratique hospitalière, puisque la continuité des soins n’est pas reconnue comme AMP dans plusieurs régions. Dans ce cas, on exige que le médecin suive un nombre minimum de patients vulnérables. Finalement, les plans régionaux d’effectifs médicaux donnent la préférence aux médecins qui souhaitent travailler en milieu hospitalier. Encore une fois, certains candidats n’ont pas réussi à obtenir un poste à Montréal en 2010 alors qu’ils souhaitaient faire principalement de la prise en charge. Le gouvernement souhaite un médecin de famille pour chaque Québécois, mais n’agit pas dans ce sens en imposant toutes ces contraintes aux omnipraticiens.
Existe-t-il des solutions?
Le travail en cabinet permet une grande latitude sur le plan de l’horaire, favorise la conciliation travail-famille et crée un sentiment de valorisation. Pour intéresser les jeunes médecins à la prise en charge, nous devons d’abord limiter les irritants liés à la continuité des soins durant la formation dans les UMF.
Premièrement, les résidents doivent acquérir un minimum de qualifications avant de débuter un suivi de clientèle. Que ce soit par l’entremise de cours, d’ateliers ou d’observations, ils méritent des explications sur les rudiments de la prise en charge. Comment planifier une rencontre? Comment gérer les maladies chroniques? Quelles informations colliger au dossier? Comment limiter le temps de rédaction des notes? Des outils doivent être fournis pour faciliter l’apprentissage (feuilles résumé dans les dossiers, guides de pratique, etc). Il faut un soutien administratif efficace pour la gestion des rendez-vous, les photocopies, les télécopies, les demandes de résultats de laboratoire et autres tâches similaires. L’accès informatique aux résultats de laboratoire, à l’imagerie et à des sites de référence est essentiel dans les bureaux, ainsi qu’un accès accru aux dossiers et aux formulaires de prescription informatisés. Une équipe multidisciplinaire doit être intégrée à l’UMF: infirmiers et infirmières assurant un suivi conjoint des patients, psychologue ou travailleur(euse) social(e), pharmacien(ne), nutritionniste et spécialistes consultants. Sachons rendre les UMF attrayantes, comme le sont les cliniques médicales de proximité.
Une répartition équilibrée des cas
Idéalement, la gestion des rendez-vous devrait favoriser une répartition des patients les plus lourds parmi tous les résidents pour éviter qu’un d’eux ait un fardeau disproportionné. Il faut prévoir du temps pour étudier les dossiers avec l’aide d’un superviseur au besoin et attribuer les patients nouvellement inscrits de manière à permettre aux résidents d’effectuer une «réelle» prise en charge. Il faut garder des plages libres pour permettre de voir les patients ayant des affections aiguës ou pour les tâches administratives. Il faudrait planifier la durée des rendezvous en ajoutant au moins 15 minutes aux résidents qui doivent avoir une supervision avant de laisser quitter le patient. Enfin, les bureaux de soir devraient être évités ou associés à une demi-journée libre à un autre moment dans la semaine.
Supervision idéale en UMF
Sur le plan de la supervision, il faut maintenir le ratio idéal de 2 résidents par superviseur, pour éviter les délais avant la supervision lorsque le patient attend dans le bureau. Après 12 mois de résidence, les résidents seniors devraient pouvoir libérer leurs patients avant la supervision. Cette pratique améliore grandement la confiance des résidents et les aide à gérer leur temps de façon plus efficace. Ils devraient aussi participer activement à la supervision des externes.
Le gouvernement doit agir dans le sens de ses objectifs
Les universités ne sont toutefois pas les seuls acteurs dans ce manque d’intérêt pour la continuité des soins. Le gouvernement du Québec doit aussi apporter des changements majeurs dans sa gestion. Le ministère de la Santé et des Services sociaux doit ou bien reconnaître la continuité des soins comme en tant qu’AMP (ou encore abolir les AMP, ajuster les salaires des omnipraticiens à la hausse, offrir un soutien financier pour les nouveaux médecins qui souhaitent démarrer une pratique en cabinet et améliorer les incitatifs associés à la prise en charge de patients. Finalement, le financement des UMF doit être suffisant pour permettre aux universités d’offrir un milieu stimulant et une pratique intéressante aux médecins en formation. Bien que le travail soit commencé, il reste encore beaucoup à faire.
Tous les acteurs du milieu de la santé s’entendent pour dire que le manque de médecins de famille dans les cabinets est un problème crucial qui engendre des coûts inutiles, un engorgement des salles d’urgence et des unités d’hospitalisation, et un suivi inadéquat de nombreux patients malades. Un meilleur suivi des patients en première ligne demeure une piste de solution privilégiée pour améliorer l’ensemble du réseau de la santé. Il est temps de faire les changements nécessaires pour faciliter la formation des résidents en continuité des soins et rendre cette pratique attrayante.
Acknowledgments
Cette recherche a été réalisée à la demande de la direction du programme de médecine familiale de l’Université de Montréal au Québec. La table des résidents coordonnateurs s’est penchée sur les raisons qui rebutent les nouveaux médecins à s’impliquer dans la continuité des soins, mieux connue sous le nom de «prise en charge». À titre de co-représentante de cette table en 2009–2010, l’auteure a présenté les résultats de cette réflexion commune à plus de 50 enseignants et enseignantes du département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’Université de Montréal en mars 2010, de même qu’à des comités chargés de valoriser la médecine familiale. Deux ans plus tard, le sujet demeure d’actualité. Merci à Mme Johanne Carrier de la Fédération des médecins résidents du Québec pour son aide logistique.
Footnotes
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the June 2012 issue on page e308.
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↵* Les activités médicales particulières sont issues de la Loi sur les services de santé et les services sociaux1 du Québec et consistent en l’obligation pour les médecins de famille ayant 15 années et moins de pratique d’effectuer des soins dans des services jugés prioritaires (p. ex. urgence, hospitalisation, obstétrique).
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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