J’ai récemment rempli un certificat de décès pour Marie. Elle avait 42 ans. J’ai inscrit la cause du décès comme étant le cancer métastasique du col de l’utérus. Je crois avoir commis une erreur. Je crois vraiment que Marie est morte de pauvreté.
Marie était mère de 2 enfants qu’elle élevait seule après s’être séparée d’un conjoint abusif à la suite de la naissance du deuxième enfant. Elle s’est démenée pour joindre les 2 bouts avec l’aide sociale, puis en faisant des ménages et la vaisselle au salaire minimum, essayant de faire vivre sa jeune famille, mais avec une huitième année, les choix d’emplois sont limités. Étant donné ses longues heures de travail et ses lourdes responsabilités familiales, les visites chez le médecin de famille se faisaient rares. Elle ne comprenait pas non plus l’importance des tests de Papanicolaou.
Donc, même si, techniquement, elle est morte du cancer, sa pauvreté et ses circonstances sociales représentaient davantage qu’un simple facteur de risque du cancer du col, une maladie évitable et traitable quand elle est détectée à temps. Pourquoi n’ai-je pas écrit pauvreté comme cause du décès? Serait-ce que mon attitude et ma formation me disaient que la pauvreté n’était pas une raison acceptable ou un facteur important ayant contribué à son sort?
Je sais bel et bien que le déterminant social le plus important de la santé est le revenu1. Au Canada, 24 % des années-personnes de vie perdues sont attribuables à la pauvreté (au deuxième rang juste après les néoplasmes à 31 %2). Grandir dans la pauvreté est associé avec une morbidité et une mortalité accrues à l’âge adulte, causées par exemple par le diabète, la santé mentale, les AVC, les maladies cardiovasculaires, les maladies gastro-intestinales, les maladies du système nerveux central, la cirrhose, les blessures et les homicides2. Dans la ville prospère de Toronto, en Ontario, le taux de mortalité infantile est de 60 % plus élevé dans les quartiers à faible revenu2. Je sais aussi que les peuples des Premières Nations, les personnes de couleur, les femmes de toutes origines, les membres de la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle et transgenre sont les plus à risque3.
Nous procédons tous périodiquement au dépistage du diabète, de l’hyperlipidémie, du cancer lorsque les données probantes existent, de l’hypertension, de la dépression, du tabagisme et de la toxicomanie et, pourtant, combien d’entre nous essaient de dépister l’immense problème de la pauvreté, l’un des facteurs de risque les plus importants de mauvaise santé et de mortalité?
La plupart d'entre nous, nous croyons qu’en tant que médecins de famille, nous ne pouvons pas systématiquement faire grand-chose contre la pauvreté4. En fait, il serait contraire à l’éthique de dépister une maladie ou un problème pour lequel on ne peut offrir aucune intervention. Mais de plus en plus de données probantes viennent appuyer le dépistage, ce qui devrait nous sensibiliser davantage à la nécessité d’aborder la question pour améliorer les résultats sur le plan de la santé3,5.
Les médecins de famille et leurs équipes de soins primaires, en tant que professionnels de la santé de première ligne, occupent une position idéale pour dépister la pauvreté et tenter de l'atténuer5. À mesure que les données à l’appui se font plus convaincantes, le dépistage de la pauvreté doit devenir partie intégrante de notre pratique au quotidien, comme le dépistage du tabagisme. Il y a 30 ans, le dépistage du tabagisme n’était pas courant. Pouvez-vous vous imaginer maintenant ne pas poser de questions sur la cigarette ou ne pas offrir d’interventions à ceux qui souhaitent cesser de fumer? Changer la culture de la pratique peut prendre des années. C’est un problème médical, pas seulement de moralité ou de charité. Les médecins de famille et le CMFC doivent mieux faire comprendre qu’il faut percevoir la pauvreté comme un problème évitable et traitable. La représentation des intérêts de nos patients, sur une base individuelle et organisationnelle, compte parmi les importants rôles et les responsabilités essentielles de CanMEDS-MF6.
Pour aider à dépister la pauvreté, des médecins de famille ont créé un outil de dépistage clinique de la pauvreté, validé et fondé sur des données probantes5. La pauvreté existe partout au Canada et n’est pas toujours apparente. Nous ne pouvons présumer de rien d'après les vêtements de nos patients l’emploi qu’ils occupent. Le dépistage doit être fait auprès de tous3,5. Il suffit de poser la question: «Avez-vous parfois de la difficulté à boucler votre budget à la fin du mois?» (sensibilité de 98 % et spécificité de 60 % pour les gens sous le seuil de la pauvreté5). L’outil propose quelques suggestions pour aider à atténuer le problème de la pauvreté (p. ex. obtenir des crédits d’impôt et des suppléments de revenu, aider dans les demandes de prestations d’invalidité), qui peuvent toutes être adaptées à votre région3.
Il faut faire plus de recherche sur les façons dont les équipes de soins primaires peuvent dépister la pauvreté et intervenir dans ces cas fin de mieux comprendre comment améliorer plus efficacement les résultats en matière de santé. Pouvons-nous élaborer des indices de la qualité de l’équité sur le plan de la santé et les incorporer dans la pratique au quotidien? En identifiant les patients et les familles qui vivent dans la pauvreté (en particulier ceux qui ne sont pas « si évidents ») et en étiquetant la pauvreté dans le milieu de la pratique clinique (pas seulement comme un déterminant social sous-jacent de la santé), nous pouvons maximiser les interventions médicales et sociales qui pourraient sauver la vie de nos patients. Mon souhait pour l’avenir des soins de santé au Canada? En toute naïveté, j’espère ne jamais à avoir à écrire pauvreté comme cause ayant contribué au décès. Jamais!
Acknowledgments
Je tiens à remercier D Gary Bloch du St Michael’s Hospital à Toronto, en Ontario, de son aide dans la préparation de ce message.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada