Se tenir au fait des récentes données probantes représente tout un défi pour les médecins en raison de la quantité considérable de nouvelles connaissances produites chaque jour1. L’apprentissage en petit groupe peut cibler des connaissances pertinentes aux apprenants et est considéré comme une méthode de formation médicale continue d’efficacité supérieure par rapport aux méthodes traditionnelles comme des cours magistraux2–4. L’apprentissage en petit groupe intègre aussi des expériences personnelles, sociales et professionnelles dans le processus d’acquisition des connaissances5.
L’approche générale d’utiliser des problèmes de patients réels comme façons de stimuler la discussion en petit groupe d’apprentissage a été instaurée par Michael et Enid Balint, en Angleterre, lorsqu’ils ont commencé à organiser des séminaires en petit groupe à l’intention des omnipraticiens à la fin des années 19506. Les séminaires Balint insistent sur la relation médecin-patient. Durant les séminaires Balint, on discute et on analyse les aspects psychosociaux de la maladie du patient et le rôle du médecin dans le but d’amorcer un changement émotionnel chez le médecin. Depuis leur création, des groupes Balint ont fait leur apparition dans de nombreux pays du monde7. Dans certains pays, ils font partie de la formation obligatoire des étudiants en médecine et, dans d’autres, ils constituent un aspect important du développement professionnel continu7.
En 1992, la McMaster University à Hamilton, en Ontario, et le Collège des médecins de famille de l’Ontario ont organisé en collaboration un programme pilote d’apprentissage en petit groupe basé sur la pratique (APGBP). Leur programme avait 2 objectifs principaux: encourager les médecins membres à réfléchir à leur pratique sur une base individuelle et inciter le groupe à apporter des changements pertinents dans leurs soins aux patients4. Cette méthode est maintenant utilisée internationalement en tant que mode de formation continue chez les MF4. Les participants sont souvent guidés par un pair formé pour être facilitateur afin de réfléchir à la discussion et de s’engager à apporter les changements appropriés dans leur pratique4,8. Ces séminaires d’APGBP diffèrent de ceux de Balint en ce sens qu’ils n’insistent pas seulement sur la relation médecin-patient.
De petits groupes de professionnels de la santé peuvent utiliser l’APGBP pour documenter, évaluer et améliorer la pratique9. Pour ce faire, on suit habituellement les étapes expliquées à la Figure 110,11. Il faut aussi évaluer les effets sur les soins aux patients en plus de ceux sur les connaissances et les habiletés de l’apprenant11,12. La présente synthèse tente de décrire et d’évaluer les formes et le contenu des programmes d’APGBP impliquant des MF, ainsi que leurs effets sur la pratique.
SOURCE DES DONNÉES
On a fait une recherche dans les bases de données Ovide MEDLINE, EMBASE et ERIC, depuis leur création jusqu’à la deuxième semaine de novembre 2011, à l’aide des expressions MeSH en anglais, seules ou combinées, continuing education, medical, professional, retraining, group processes, small group, practice based small group et teaching. On s’est limité aux articles en anglais. Les sections des références des articles cernés ont aussi été examinées.
Sélection des études
La recension initiale a produit 99 articles. On a examiné les titres et les résumés pour cerner les articles pertinents au sujet de l’étude. Les 2 chercheurs ont lu les résumés et choisi les articles qui décrivaient la forme ou le contenu des programmes d’APGBP impliquant des MF ou encore les évaluaient. Aux fins de l’étude, les MF, les omnipraticiens (OP) et les médecins de soins primaires (MSP) sont considérés comme appartenant à la même catégorie. On a identifié 10 articles. On a examiné les sections des références de ces articles et 3 autres articles ont été ajoutés à l’étude finale1,4,13–23.
SYNTHÈSE
Forme et contenu
Dans 11 études se trouvaient des renseignements descriptifs au sujet de la conception du programme, y compris la forme et le contenu. La fréquence des rencontres variait de 1 à 2 fois par mois1,4,19,22,23 et la durée moyenne de la séance était de 1 à 2 heures15,21,22. D’autres programmes étaient flexibles et permettaient au groupe de décider du lieu, de la durée et de la fréquence des séances4,21,22.
Les séances décrites le plus souvent concernaient des groupes formés par les intéressés qui discutaient de cas tirés de leur travail clinique au quotidien. Des présentations de cas étaient suivies par un examen du sujet et des discussions sur des articles en médecine fondée sur des données probantes pertinents pour cerner de possibles changements nécessaires à la pratique1,4,14,16,19,23. La taille exacte du groupe était mentionnée dans certaines études et variait généralement entre 4 et 11 membres1,4,14,16–21.
Le contenu des modules incluait notamment des discussions fondées sur un cas, des consultations enregistrées sur vidéo, des visites de pratique, des vérifications et des experts invités. La vidéoconférence était utilisée pour faciliter l’APGBP dans 2 études17,21. Un résumé de la forme et du contenu de chaque programme étudié se trouve au Tableau 11,4,13–23.
La plupart des modules d’APGBP ne regroupaient que des MF; 2 études évaluaient l’apprentissage interprofessionnel avec des MSP et d’autres professionnels de la santé14,23. Il y avait un animateur formé à cette fin dans toutes les séances. Les études examinaient la méthode de présentation et les sujets comme le diagnostic de l’ostéoporose et les lignes directrices pour la prise en charge 13 et les recommandations pour la prise en charge et la pratique concernant l’hyperplasie prostatique bénigne au moyen d’un algorithme15. Dans une étude, on a utilisé un programme d’APGBP pour former des MF en thérapie comportementale cognitive brève22 et, dans 2 autres, les programmes d’APGBP servaient à évaluer les changements dans le comportement des médecins (concernant les ordonnances fondées sur des données probantes pour l’hypertension19 ou dans la prescription de tests16). Dans une étude, on disait des petits groupes qu’ils étaient portés à se désintégrer. Les membres doivent assurer une bonne assiduité, transiger avec les problèmes interpersonnels, établir les priorités dans le plan d’action du groupe et savoir ressortir des périodes de stagnation1. On estimait que l’assiduité était influencée par des facteurs d’ordre personnel, professionnel et social14.
Le rôle de facilitateurs compétents en leadership de groupe semble très important dans les programmes d’APGBP. La plupart des études font mention de l’importance que les facilitateurs soient formés avant de commencer le programme, quoique certaines études n’aient pas élaboré sur le rôle du facilitateur. Dans une étude où l’on se servait de la vidéoconférence, le facilitateur a donné au programme une cote négative parce que la technologie compliquait la tâche de facilitation en comparaison des présentations plus traditionnelles face à face17.
Évaluation des programmes d’APGBP
L’évaluation d’un programme d’enseignement comporte celle du contenu, du processus, de la prestation et des résultats24,25. Une épreuve avant et après la participation aux programmes était souvent utilisée pour évaluer l’acquisition de connaissances17,22 et l’utilité du programme1,20,21. On se servait d’examens cliniques objectifs structurés pour évaluer les changements dans les connaissances et les habiletés quand les programmes ciblaient des tâches spécifiques13. Des questionnaires étaient utilisés pour mesurer l’intention des participants à apporter des changements dans leur pratique15,17. Dans une étude4, on examinait les feuilles de route pour décrire les changements dans la pratique et, dans une autre23, on les utilisait pour réfléchir à l’utilité et à l’expérience de la formation. Des méthodes quantitatives ont servi dans 2 études randomisées contrôlées pour démontrer l’effet sur les changements dans la pratique à la suite de la mise en œuvre du programme16,19. Dans une étude, on a utilisé une technique de groupe nominal pour obtenir des renseignements quantitatifs et qualitatifs et cette méthode a été jugée efficace comme outil d’évaluation du programme18. Certains participants ont signalé que les groupes d’APGBP étaient des moyens de soutien social et de protection contre l’épuisement professionnel1,16,17.
DISCUSSION
Cette synthèse a permis d’identifier 2 formes de programmes d’APGBP. La première insistait sur l’identification des besoins d’apprentissage en discutant de sujets et de cas pertinents au travail quotidien. Cette méthode offrait plus de flexibilité aux apprenants et permettait l’autonomie dans l’apprentissage. La deuxième forme faisait l’investigation d’un problème ou d’une tâche clinique en particulier. Les participants ou des médecins consultants choisissaient le problème comme sujet de discussion. Les 2 formes sont importantes et chacune comporte des avantages. La première peut être utilisée comme outil contextuel constant pour la formation médicale continue parce qu’elle aide à réfléchir à des problèmes de la pratique, à faire connaître ses expériences à des collègues et à faciliter l’acquisition du savoir et des compétences. L’autre forme peut servir à mettre en œuvre des guides de pratique clinique ou à travailler sur des besoins dont les participants ne sont pas nécessairement au courant. Les 2 formes peuvent se fonder sur des cas réels de patients et sont conçues pour stimuler la réflexion et partager des expériences entre collègues.
Une étude21 considérait que le manque d’évaluation formelle des besoins était une faiblesse relative de l’approche de l’APGBP; par ailleurs, le but principal de tels programmes est d’identifier des problèmes dans la pratique et, par conséquent, l’évaluation des besoins devient partie intégrante des séances d’APGBP.
L’approche qui cible des tâches spécifiques est utile pour améliorer les habiletés comme la prise en charge de l’hypertension centrée sur le patient15 ou se familiariser avec la thérapie comportementale cognitive22. Les changements dans la pratique sont facilités à mesure que les participants apprennent de leurs pairs et par l’influence sociale de l’interaction avec des pairs16. Cette réalité a été démontrée dans 2 études randomisées contrôlées (mieux prescrire19 et le rendement des MSP dans les ordonnances de tests16), lorsque la discussion interactive en groupe, combinée à une rétroaction individualisée, s’est traduite par une amélioration dans les habitudes de prescrire des médecins (amélioration de 11,5 % dans la prescription des antihypertenseurs appropriés selon les lignes directrices19) et les ordonnances de tests (réduction de 3 %, 8 % et 12 % dans les ordonnances de tests après 3 interventions16).
Le rôle des facilitateurs ayant des compétences en leadership de groupe semble important dans les programmes d’APGBP et la plupart d’entre eux avaient suivi une formation avant de commencer le programme. Comme c’est le cas dans d’autres formes d’apprentissage par problèmes, le rôle du facilitateur de l’APGBP est aussi de diriger le groupe26. Même si l’un des facilitateurs a accordé une cote négative à la vidéoconférence17, cette technologie a tout de même le potentiel de faire profiter de nombreux médecins des avantages de l’APGBP et pourrait être la seule solution pour des médecins en région éloignée et dans des pratiques en solo. L’étude qui a examiné les effets de l’APGBP interprofessionnel en décrivant les expériences d’OP et d’infirmières praticiennes a démonté que les participants acceptaient avec ouverture les lacunes dans leurs connaissances et étaient disposés à apprendre des collègues de l’autre profession23.
Même si de nombreux programmes d’APGBP présentent des chevauchements avec l’apprentissage par problèmes en général, ils ne sont pas identiques, parce que l’apprentissage par problèmes a des critères bien précis et des formes diversifiées27,28. C’est pourquoi la présente synthèse n’a porté que sur l’APGBP et non pas sur l’apprentissage par problèmes dans la formation continue. Dans l’examen de 6 études sur l’apprentissage par problèmes en formation continue, une seule étude portait sur une forme d’APGBP29. Notre examen de l’APGBP pourrait être limité par une certaine partialité dans les publications, étant donné que certaines études qui ne faisaient pas ressortir des répercussions positives de l’APGBP pourraient ne pas avoir été publiées.
Une récente synthèse critique à propos des interventions éducatives à l’intention des médecins de soins primaires pour améliorer la détection de la démence a démontré que, même si les ateliers en petit groupe avaient augmenté les taux de dépistage de la démence, la conformité aux lignes directrices ne s’améliorait que si des incitatifs organisationnels ou financiers étaient combinés à la formation30. Ceci soulève la question de savoir comment obtenir l’engagement des médecins, par opposition à la conformité, pour favoriser les améliorations à la pratique. Faciliter l’interactivité entre praticiens semble être l’une des principales composantes nécessaires pour que se produisent des changements positifs dans des communautés de pratique31. L’apprentissage en petit groupe basé sur la pratique établit une communauté de pratiques et offre les ressources requises pour que les facilitateurs puissent améliorer l’interactivité des praticiens et le réseautage32.
Conclusion
L’apprentissage en petit groupe basé sur la pratique est une méthode prometteuse de développement professionnel continu qui peut être adoptée et adaptée en fonction de différents besoins d’apprentissage. Un engagement organisationnel et des incitatifs peuvent soutenir les changements à la pratique incités par l’APGBP. D’autres études qui se concentrent sur les changements dans la pratique qui peuvent être évalués au moyen d’un suivi et d’une analyse des feuilles de route, des registres d’incidents critiques, de vérifications de séries de dossiers ou d’autres indicateurs d’amélioration de la qualité étayeront les données probantes au sujet de cette forme d’apprentissage expérientiel.
Acknowledgments
Nous remercions Mme Elizabeth M. Uleryk, directrice de la bibliothèque du Hospital for Sick Children et Mme Rita Shaughnessy, bibliothécaire au Département de médecine familiale et communautaire de l’University of Toronto, de leur soutien cordial, de leur coopération et de leur aide dans les recherches documentaires.
Notes
POINTS DE REPÈRE
L’apprentissage en petit groupe basé sur la pratique (APGBP), qui gagne en popularité depuis les 2 dernières décennies, est une approche systématique prometteuse à l’égard du développement professionnel continu qu’utilisent les MF pour se tenir à jour. De tels programmes d’APGBP sont conçus pour stimuler la réflexion et partager des expériences avec des collègues. Ils peuvent servir d’outils contextuels constants pour la formation médicale continue et aider dans la mise en œuvre de guides de pratique clinique ou l’amélioration d’habiletés en particulier. Les changements dans la pratique sont facilités à mesure que les participants apprennent de leurs pairs et par l’influence sociale de l’interaction avec ces derniers. Cette synthèse démontre que l’APGBP peut être une méthode pratique et efficace de développement professionnel continu pour les MF.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the June 2012 issue on page 637.
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Collaborateurs
Dr Zaher a conçu l’étude, a effectué la recherche documentaire, a sélectionné et a analysé les études, a interprété l’analyse et a préparé le manuscrit aux fins de présentation. Dre Ratnapalan a fourni du soutien dans l’élaboration du concept et de la conception de l’étude, a participé à la sélection des études, à l’interprétation de l’analyse et à la préparation du manuscrit aux fins de présentation.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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