À compter de la fête du Canada cette année, les réfugiés et les médecins qui les traitent sont lancés ensemble sur une route périlleuse. Jason Kenney, ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme, annonçait, le 25 avril 2012, un recul important sur le plan de la protection médicale pour les réfugiés et les demandeurs d’asile. Alors que l’objectif déclaré était de protéger la santé et la sécurité publiques en offrant une protection aux réfugiés qui ne soit «pas plus généreuse que celle que reçoivent la plupart des Canadiens»1, la réalité des changements et leurs conséquences sont très différentes. Un système de santé équitable, faut-il le rappeler, offre des services aux citoyens en fonction des besoins et ne donne pas, comme le ministre le prétend, le même degré de services à tous.
Avant la réforme, les avantages équivalaient approximativement à ceux offerts dans la plupart des programmes d’aide sociale provinciaux. Après la réforme, les changements seront loin d’y ressembler, puisque la protection ne sera disponible que lorsque l’état de la personne sera considéré «de nature urgente ou essentielle», ou «pour prévenir ou traiter une maladie qui comporte un risque pour la santé publique ou une situation jugée dangereuse pour la sécurité publique»2.
Qu’est-ce que cela veut dire?
Que veulent dire ces changements pour les patients réfugiés lorsqu’ils entreront dans votre cabinet ou à l’urgence? Citoyenneté et Immigration Canada a récemment publié un document dans lequel on peut trouver certains exemples extraordinaires3. À compter de la date de la fête du Canada, certains seront encore évalués pour des problèmes médicaux tels que l’angine et le diabète. Par contre, aucun réfugié, même si sa demande d’asile a été acceptée, n’aura droit à une protection lui permettant d’avoir des médicaments comme de l’insuline, des statines, ou des médicaments antihypertenseurs. Les réfugiés souffrant de problèmes de santé mentale, précipités par les conditions de vie difficiles qui les ont forcés à venir au Canada, semblent être encore plus marginalisés. S’ils sont suicidaires ou s’ils ont un syndrome de stress post-traumatique, ils ne sont admissibles à aucune thérapie. Les médecins perdront aussi leur rémunération pour évaluer les psychoses, et encore faut-il oublier ici aussi l’assurance couvrant les médicaments prescrits, à moins que le problème du réfugié ne soit susceptible de «faire du dommage aux autres s’il n’est pas traité»3. L’insistance étroite sur les traitements d’urgence et les maladies infectieuses agressives parmi les réfugiés met en évidence un changement profond dans la façon dont on accorde de la valeur aux êtres humains en se basant sur leur situation sociale. Selon les changements proposés, l’état de santé d’un réfugié ne devient important que dans la mesure où il affecte la santé ou la sécurité des autres. Ni le bien-être ni le bonheur immédiat, futur ou potentiel des réfugiés, ni les effets sur les autres et sur la société n’ont de valeur sur le plan intermédiaire. Dans ce contexte, la personne réfugiée n’est plus considérée comme une personne à part entière, mais plutôt comme un «facteur de risque» pour les autres. Il s’agit là d’une perspective insidieuse et profondément déshumanisante.
Le gouvernement est même plus dur avec les réfugiés qui arrivent d’un pays soi-disant «sécuritaire». Ces pays n’ont pas encore été identifiés, mais comprendront sûrement la Hongrie, où les Roms subissent la discrimination systémique, et le Mexique, où plusieurs personnes fuient une violente «guerre de trafiquants de drogues». Pour les individus qui fuient la persécution dans ces pays, la protection couvrant les soins prénataux a été complètement éliminée, de même que pour le travail et l’accouchement. Pour ceux qui requièrent des soins d’urgence pour un infarctus aigu du myocarde, la protection a été entièrement coupée.
Un besoin d’être entendu
Pour être justes, il faut dire que le ministre Kenney a pris le temps de répondre à la critique publique, en soutenant qu’en dépit des coupures budgétaires, les soins primaires allaient demeurer intacts. Dans une lettre au Ottawa Citizen, il prétend que ceux qui demandent l’asile se voient offrir des examens médicaux complets qui sont plus «préventifs que les soins que reçoivent la plupart des Canadiens sur une base régulière»4. Cette déclaration est trompeuse. Il oublie de mentionner que le dépistage n’est dirigé que vers ce qui menace la santé publique—et non la santé personnelle. Il n’inclut pas les interventions préventives systématiques recommandées par le Collège des médecins de famille du Canada visant à améliorer la santé de tous les Canadiens5.
Ce n’est certainement pas là la notion qu’ont les médecins de famille de ce qui constitue des soins préventifs adéquats et équitables. Dans la même lettre, le ministre Kenney fait valoir que les changements vont «arrêter les abus commis auprès du généreux système de santé canadien, déjà trop mis à contribution, par de soi-disant réfugiés»4. Mais quand les demandeurs d’asile — « soi-disant » ou véritables —sont confrontés au choix de mourir à la maison ou de prendre la chance d’aller à l’urgence, il est difficile de s’imaginer qu’un médecin leur refusera des soins. Avec les coupures imminentes dans les services primaires et préventifs, il faut s’attendre à ce qu’un nombre grandissant de réfugiés se présentent à l’urgence avec un problème médical grave plus avancé. Au lieu d’amoindrir le fardeau sur le système, ces changements aggraveront les temps d’attente déjà longs et resserreront les budgets déjà limités des hôpitaux et de la santé au provincial. Avant tout, les changements proposés laisseront sans doute un grand nombre de demandeurs d’asile légitimes avec des problèmes de santé qui ralentiront considérablement leur établissement, ainsi que les précieuses contributions à notre société qu’ont apportées leurs prédécesseurs.
En tant que médecins de famille, nous avons un rôle très important à jouer sur le plan de la défense des droits et de la contestation de ces changements au Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI). Nous sommes les médecins à la ligne de front. Nous sommes ceux qui entendent les histoires horribles de persécution, de torture et, parfois, de viol. Nous sommes responsables de défendre les politiques publiques qui favorisent la santé de nos patients. La réaction aux changements proposés au PFSI de nombreux groupes de médecins de famille de professionnels de la santé de partout au Canada démontre que nous avons besoin d’être entendus et que nous voulons l’être. Qu’allonsnous dire au patient diabétique qui a besoin d’insuline et qui arrive du «mauvais» pays et dont l’insuline n’est plus couverte par l’assurance? Qu’en est-il des femmes enceintes dont les soins prénataux ne sont pas assurés? C’est impardonnable.
Le cadre des compétences CanMEDS-Médecine familiale met en évidence et reconnaît notre rôle de promoteurs de la santé6. En tant que promoteurs, nous, les médecins de famille, avons la responsabilité de nous servir de notre expertise et de notre influence pour améliorer la santé et le bien-être des patients, des communautés et des populations. Nous reconnaissons les facteurs déterminants de la santé dans les populations que nous desservons et nous cernons les problèmes de santé publique plus généraux.
Le gouvernement fédéral doit faire preuve de franchise. Le ministre Kenney doit admettre que ses changements au PFSI vont beaucoup plus loin que des coupures dans des bénéfices supplémentaires, ne préserveront aucunement l’accès à des soins primaires adéquats, et serviront seulement à augmenter et non à réduire les dépenses en santé. Avant tout, il doit reconnaître que le fait de refuser l’accès à une protection médicale aux réfugiés, les personnes les plus précaires et sans défense parmi nous, va à l’encontre des valeurs de justice et d’égalité qui caractérisent les Canadiens et le système de santé de notre pays. Les médecins et les professionnels de la santé du Canada se sont mobilisés. En mai et en juin 2012, il y a eu un accroissement des pressions politiques et de l’attention des médias pour protester contre ces changements au PFSI. Cette année, le 11 mai marquait une journée d’action nationale: des médecins de partout au Canada ont organisé des protestations, ont participé à une occupation et ont diffusé des communiqués de presse afin de sensibiliser la population à cet enjeu. Le 18 mai 2012, 8 associations nationales dans le domaine de la santé, incluant le Collège des médecins de famille du Canada, ont publié une déclaration dans laquelle elles réclamaient une révision ou l’abolition des coupures au PFSI7. Le 6 mai 2012, même des municipalités locales, telles que la ville de Hamilton, ont unanimement accepté une motion pour abolir les changements au PFSI et pour continuer à financer les programmes de santé pour les réfugiés8.
Au lieu d’ignorer les appels des communautés dispensatrices de soins de santé de notre pays, le ministre Kenney devrait plutôt montrer aux peuples les plus persécutés du monde que le Canada demeure un bastion de sûreté et de sécurité dans un monde vraiment instable. Battons-nous pour un système national de soins de santé primaires solide qui puisse offrir aux peuples les plus vulnérables du monde un peu de répit mérité. Pensons aussi aux façons dont nous pouvons soutenir les systèmes équitables pour les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables au Canada. Nous sommes des citoyens du monde. Nous sommes une ressource pour une population définie. Traitons les gens avec dignité et compassion. Si nous étions à leur place, nous espérerions être traités de même et prierions qu’il en soit ainsi. Le 1er juillet devrait demeurer un jour de célébration pour les Canadiens qui sont déjà ici et pour ceux qui viendront.
Footnotes
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2012 issue on page 728.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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