Description du cas
Votre prochain patient est M. A., un homme quadriplégique à la suite d’une lésion médullaire (LM) qui s’est produite il y a 10 ans. Quand vous entrez dans la salle, il est à demi prostré sur la table d’examen, en détresse bien évidente. Son visage est rouge, des gouttes de sueur perlent à son front et il est essoufflé. Vous reconnaissez son malaise et l’infirmière vous dit que sa tension artérielle (TA) est de 150/80 mm Hg et sa fréquence cardiaque (FC) est de 60 battements à la minute. Un coup d’œil à son dossier vous révèle que sa TA se situe normalement autour de 100/60 mm Hg et que sa FC est habituellement de 76 battements à la minute. Ses jambes et ses pieds sont froids, la peau est pâle et couverte de chair de poule.
La plupart des médecins de famille signalent qu’ils n’ont pas assez d’information au sujet de la prise en charge des LM et se sentent mal à l’aise de traiter de tels patients1–8. Ce n’est pas un problème médical courant en pratique familiale, mais ses effets sont considérés comme complexes et demandent du temps. Il y a généralement peu de formation sur les LM durant les études prédoctorales et postdoctorales1,3,4,6,8,9. Les ouvrages spécialisés font valoir que les patients victimes d’une LM visitent fréquemment leurs médecins de famille et que ces derniers jouent un rôle essentiel dans leurs soins de santé3. Il importe donc que les médecins acquièrent certaines connaissances des problèmes courants qui touchent les personnes ayant une LM1,6,7.
La dysréflexie autonome (DA) compte parmi ces problèmes et bon nombre de médecins qui ne travaillent pas en réadaptation ou dans une spécialité neurologique n’en ont jamais entendu parler10. La DA est un problème médical sérieux qui affecte de nombreux patients ayant une LM5,11. C’est une urgence médicale qui exige un fort niveau de suspicion, une évaluation rapide et un traitement immédiat pour prévenir des complications, telles que des convulsions, un AVC, des problèmes cardiaques ou le décès5. On considère aussi que la DA est un problème qui nuit considérablement à la qualité de vie de nombreux patients victimes d’une LM12. Cet article vise à mieux faire connaître ce trouble aux médecins de famille et à présenter certaines techniques réalistes de prise en charge.
Sources de l’information
On a fait une recension dans MEDLINE de 1970 à juillet 2011 à l’aide des expressions en anglais autonomic dysreflexia et spinal cord injury, ainsi que family medicine ou primary care. On a aussi passé en revue et utilisé d’autres ressources et guides de pratique pertinents.
Message principal
Pathophysiologie de la DA
La dysréflexie autonome peut survenir chez des traumatisés médullaires au niveau T6 ou plus haut (circulation splanchnique principale de T6 à L2)11,13, mais on l’a observée dans des lésions d’un niveau aussi bas que T1014. On a signalé qu’elle s’était produite dans des lésions médullaires tant complètes (aucune fonction motrice ou sensorielle préservée dans les segments S4 à S5) qu’incomplètes (un certain degré de préservation sensorielle ou motrice dans les segments S4 à S5, ainsi qu’au-dessous du niveau neurologique), mais elle semble moins grave dans les lésions incomplètes11. La dysréflexie autonome est déclenchée par un stimulus nuisible inférieur à la lésion médullaire, qui active ensuite une activité sympathique sans opposition5,10,14. L’irritation de la vessie et de l’intestin sont les causes les plus fréquentes de la DA (Encadré 1)5,10,13. Le stimulus nuisible est transmis à la moelle épinière par des nerfs sensoriels intacts à un niveau inférieur à celui de la lésion médullaire et active les nerfs sympathiques, ce qui cause une vasoconstriction massive et une TA accrue6,13. La TA accrue est captée par des barorécepteurs dans l’arc carotidien et aortique et active les nerfs parasympathiques au-dessus de la lésion pour contrer la réaction sympathique. Malheureusement, ceci ne règle pas la vasoconstriction, parce que la LM empêche ce processus (Figure 1)13. On croit que les symptômes particuliers de la DA sont attribuables aux facteurs sympathiques qui se situent sous le niveau de la LM et aux facteurs parasympathiques au-dessus de la blessure (Encadré 2). Il importe de faire remarquer qu’après une LM, la TA au repos est souvent plus basse que la normale, soit d’environ 90 à 110/60 mm Hg. La dysréflexie autonome peut se produire avec une hausse de la TA aussi faible que 20 mm Hg5,11,13,14.
Pathophysiologie de la dysréflexie autonome
TA-tension artérielle, NC-nerfs crâniens.
Reproduit avec l’autorisation de Middleton.13 ©-Droit d’auteur-Agency for Clinical Innovation 2012.
Causes fréquentes de la DA
Vessie
Intestin
Peau
Autres
|
DA—dysréflexie autonome.
Signes et symptômes de la DA chez les patients victimes d’une LM
La DA peut se caractériser par l’ensemble ou un certain nombre des signes suivants:
|
DA—dysréflexie autonome, TA—tension artérielle, FC—fréquence cardiaque, LM—lésion médullaire.
↵* Les traumatisés médullaires ont souvent une TA basse au repos variant entre 90 et110/60 mm Hg.
Prise en charge de la DA en cabinet
Une fois le problème reconnu, on peut prendre un certain nombre de mesures (Figure 2) au cabinet du médecin de famille pour régler le problème.
Prise en charge de la DA en cabinet
DA—dysréflexie autonome, TA—tension artérielle, FC—fréquence cardiaque.
*S’assurer que le patient n’a pas pris d’inhibiteur de la phosphodiestérase au cours des dernières 24 à 48 heures.
†Il existe une certaine controverse entourant le fait que la nifédipine puisse causer de l’hypotension, un accident vasculaire cérébral, un infarctus du myocarde et la mort lorsqu’elle est utilisée dans les urgences hypertensives; il est donc nécessaire d’utiliser la nifédipine avec prudence.
-
Demander de l’aide et ne pas laisser le patient seul13.
-
Demander au patient ou à son aidant si le patient a déjà eu une DA, ce qui aurait pu cette fois-ci déclencher la DA ou s’il a en sa possession une carte de portefeuille ou un bracelet MedicAlert à cet effet13.
-
Vérifier la TA et la FC régulièrement, aux 2 à 5 minutes5,13.
-
Faire redresser le patient en position assise et faire pendre ses jambes plus bas pour réduire la TA10,13.
-
Enlever les vêtements, les ceintures, les bas et les chaussures trop serrés10,13.
-
Chercher des stimuli nuisibles, en commençant par la vessie (la cause la plus fréquente de DA) 6,10,13.
-
Identifier la procédure des soins de la vessie du patient (p. ex. sonde intermittente, sonde sus-pubienne, sonde à demeure). S’il s’agit d’ une sonde, chercher une irritation évidente, un entortillement, des sédiments ou une opacité de l’urine (indices d’une infection des voies urinaires) et vérifier la quantité de liquide dans la sonde par rapport à ce qui a été consommé (ce qui pourrait donner une indication de rétention et de distension de la vessie).
-
Questionner le patient à propos de ses habitudes intestinales pour savoir s’il y eu récemment des changements (plus précisément, des indices de constipation) pour déterminer si une distension intestinale serait à l’origine des symptômes.
-
Vérifier d’autres sources de stimuli comme des points de pression sur la peau, des plaies ou des irritations (comme un ongle incarné).
-
Éliminer si possible le stimulus nuisible. La DA peut souvent se résorber si le stimulus nuisible est soulagé.
Au début du processus, on ne recommande généralement pas de mesures pharmacologiques pour contrôler la TA, mais on peut y recourir pour réduire les symptômes et éviter des complications. Si l’élévation de la TA systolique persiste ou dépasse 150 à 170 mm Hg après avoir enlevé le stimulus nuisible, il faudrait alors faire baisser la TA de manière pharmacologique10. Des antihypertenseurs à action rapide et courte demi-vie sont recommandés. La nitroglycérine sublinguale (0,4 mg par vaporisation) serait un choix réaliste, puisque de nombreux médecins de famille gardent ce produit dans leur trousse d’urgence à leur bureau. On pourrait administrer une vaporisation aux 5 à 10 minutes jusqu’à concurrence de 3, au besoin13. Il faut d’abord s’assurer que le patient n’a pas pris d’inhibiteur de la phosphodiestérase de type 5 (sildénafil, tadalafil ou vardénafil) durant les 24 à 48 heures précédentes5,13,15,16. On pourrait utiliser aussi d’autres antihypertenseurs comme le captopril, 25 mg par voie sublinguale, ou la nifédipine, 10 mg croquée et avalée, dont l’utilisation est sécuritaire si le patient prend concurremment des inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5. (Il y a une certaine controverse à l’effet que la nifédipine pourrait causer de l’hypotension, un accident vasculaire cérébral, un infarctus du myocarde et le décès lorsqu’elle est utilisée pour une urgence hypertensive, d’où la recommandation de l’utiliser avec une certaine prudence. Il y a un risque d’hypotension après un épisode de DA, quelque soit le type de pharmacothérapie utilisée; il est donc important de surveiller le patient5,16,17.) Ces médicaments pourraient être ajoutés dans la trousse d’urgence du cabinet ou prescrits aux patients ayant une LM pour usage en cas d’urgence. Si on ne peut pas trouver de stimulus nuisible et si la TA ne peut pas être contrôlée, il faut envoyer le patient à l’urgence en raison des issues potentiellement dangereuses10,16. Il importe de signaler qu’on a omis d’importantes étapes (p. ex. l’insertion d’une sonde urinaire, l’évacuation manuelle d’un fécalome suspecté) qui sont souvent mentionnées dans un traitement complet de la DA (Encadré 3) et ce, par souci de réalisme dans les options de prise en charge possibles dans un cabinet typique de médecin de famille.
Autres ressources
Les ressources suivantes décrivent la prise en charge complète de la DA:
Pour obtenir une carte de portefeuille sur la DA, visitez les sites web suivants :
|
DA—dysréflexie autonome.
Il vaut la peine de mentionner la population spéciale des femmes traumatisées médullaires qui sont susceptibles à une DA durant la grossesse. Les troubles hypertensifs durant la grossesse ne sont pas rares dans la population en général. Il est important de reconnaître que la cause de l’hypertension chez une femme ayant une LM pourrait être une DA. La dysréflexie autonome peut se produire n’importe quand durant la grossesse, mais le travail et l’accouchement sont les périodes où le risque est le plus grand16. Les signes et les symptômes de la DA sont les mêmes durant la grossesse, mais pour-raient être quand même difficiles à distinguer des autres causes d’une élévation de la TA (p. ex. prééclampsie)16. Il est recommandé d’impliquer un obstétricien et de bien informer l’équipe d’obstétrique au sujet de la DA.
Soins de suivi et prévention
Après un épisode de DA, il faut surveiller la TA pendant une période allant de 2 à 48 heures selon la sévérité de l’épisode (la surveillance doit porter à la fois sur la récurrence de la DA et sur l’hypotension). La surveillance peut se faire à domicile (selon la gravité de l’épisode) par le patient ou un assistant et il faut dire au patient de consulter un médecin si la TA augmente. Il faut enseigner aux patients qui ont fait une DA ou y sont vulnérables des techniques de prise en charge. Ils devraient se munir au besoin de certaines fournitures à la maison (un sphygmomanomètre de la taille appropriée, des fournitures pour la sonde, de la nitroglycérine en vaporisateur, du captopril sublingual). Il y a lieu d’encourager le patient à se procurer une carte pour portefeuille sur la DA (Encadré 3) ou un bracelet MedicAlert. Il importe aussi d’inscrire une note bien visible dans le dossier du patient pour alerter les autres que le patient souffre de DA et préciser les symptômes, ainsi que le plan de prise en charge. De nombreux professionnels de la santé (médecins de famille, infirmières praticiennes, personnel à l’urgence et à l’hôpital) qui pourraient être appelés à traiter une DA de manière urgente ne sont pas familiers avec ce problème, surtout dans certains milieux (p. ex. en région rurale). Il est important que les patients et les professionnels des soins primaires fassent la promotion de la santé des patients traumatisés médullaires et communiquent les renseignements appropriés aux autres professionnels de la santé dans chaque milieu16. La prévention de la DA est la meilleure technique de prise en charge. Il est essentiel, en plus d’éduquer les patients, les aidants et les professionnels de la santé, d’établir des pratiques appropriées sur le plan des soins de la vessie, de l’intestin et de la peau10,15,16 .
Résolution du cas
M. A. vous dit qu’il souffre d’une DA et qu’il a une carte de portefeuille comportant des instructions sur la façon de prendre en charge le problème. Vous arrivez à le placer en position assise avec les jambes pendantes. Votre évaluation attentive de M. A. révèle que le tube de la sonde s’est entortillé durant le transfert sur la table d’examen. Après que vous ayez replacé le tube et surveillé régulièrement la TA et la FC, ses signes vitaux reviennent à ses niveaux normaux au repos et ses symptômes disparaissent.
Conclusion
La dysréflexie autonome est un problème médical fréquent et potentiellement dangereux qui touche de nombreux patients ayant une LM et qui peut être évité. Les médecins de famille doivent être conscients de ce problème et il existe certaines stratégies bien simples pour prévenir des issues néfastes.
Acknowledgments
Dr Milligan reçoit du financement par l’intermédiaire de la Fondation ontarienne de neurotraumatologie.
Notes
POINTS SAILLANTS
Même si les médecins de famille sont la principale source des soins de santé aux patients ayant une lésion médullaire, ils se sentent mal préparés à répondre aux besoins médicaux de tels patients. Les professionnels des soins de santé primaires devraient être capables de reconnaître la dysréflexie autonome (DA), un problème fréquent et sérieux qui survient chez les patients traumatisés médullaires. Cet article donne un aperçu de la DA et présente certaines stratégies pratiques pour la prendre en charge en phase aiguë. La dysréflexie peut normalement se régler en éliminant le stimulus nuisible qui la produit. Il faut surveiller le patient pendant une période de 2 à 48 heures selon la gravité de l’épisode. Les patients devraient avoir une carte de portefeuille ou un bracelet MedicAlert signalant une DA. Une note bien visible devrait être consignée dans le dossier du patient, précisant les symptômes et le plan de prise en charge.
Footnotes
-
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
-
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro.
-
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the August 2012 issue on page 831.
-
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
-
Collaborateurs
Dr Milligan est l’auteur principal, ce qui comporte la préparation du cas, la recherche documentaire et la rédaction de la majorité du manuscrit. Dr Lee et Mme McMillan ont participé considérablement à la recherche documentaire, à la rédaction et à la révision du manuscrit. Mme Klassen a contribué à la recherche documentaire, ainsi qu’au processus de rédaction et de révision.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada