Tout homme préfère croire qu’exercer son jugement.
Sénèque
Au début de l’été, un homme en bonne santé de 62 ans ayant des antécédents de cancer colorectal est venu me voir pour son examen médical annuel. Conformément au principe de la prise de décisions centrée sur le patient et fondée sur la médecine factuelle, une bonne partie des visites par des hommes en santé de 50 ans et plus dans ma pratique est consacrée à la discussion des risques et des avantages du dépistage du cancer de la prostate au moyen du test de l’antigène prostatique spécifique (APS). Par ailleurs, dans le cas présent, mon patient était déjà convaincu que le test de l’APS était tout indiqué. Je sais que sa certitude à propos des bienfaits du dépistage est influencée par son expérience antérieure du dépistage du cancer colorectal. La détection précoce avait permis la guérison.
Dans le présent numéro du Médecin de famille canadien, une étude par Scott Smith et Richard Birtwhistle (page e503) examine les perceptions des risques et des bienfaits du dépistage de l’APS chez un groupe d’hommes dans 2 pratiques de médecine familiale à Kingston, en Ontario1. Quoique l’étude soit de petite envergure et limitée à plusieurs égards, les résultats sont importants: 95% des hommes croyaient que le test de l’APS en tant qu’outil de dépistage ne comportait pas de risque, 68% estimaient que le test de l’APS était bon ou très bon pour prévenir les décès dus au cancer de la prostate et 79% étaient d’avis que l’utilisation systématique du dépistage de l’APS était importante ou très importante pour leur santé. Les hommes devraient-ils faire tant confiance aux bienfaits du test de l’APS?
Avant la publication en 2009 des premiers résultats de l’étude sur le dépistage du cancer de la prostate, des poumons, colorectal et ovarien2 (étude PLCO concluant à l’absence de bienfaits du dépistage) et de l’étude européenne randomisée sur le dépistage du cancer de la prostate (ERSPC)3 (qui faisait valoir un léger avantage possible de procéder au test), il était impossible d’avoir une discussion éclairée par des données scientifiques à propos des risques et des avantages du dépistage de l’APS chez les hommes à risque moyen de 50 à 75 ans. Brett et Ablin ont écrit :
L’idée que les médecins puissent entamer des discussions véritablement éclairées était pur idéalisme, parce que les cliniciens et les patients devaient tenir compte d’une liste énorme d’estimés de probabilités et d’incertitudes: Quel est le taux idéal d’APS? Quel seuil devrait déclencher un autre test de l’APS ou une biopsie? À quelle fréquence fautil répéter l’une ou l’autre de ces interventions? Quelles sont les probabilités de cancer chez le patient avant le test? Quelle est la probabilité qu’un test de l’APS et une biopsie détectent un cancer s’il est présent? Si un cancer était détecté, sera-t-il cliniquement important? Ce patient préférera-t-il la chirurgie, la radiothérapie ou une observation attentive? Quelles sont les probabilités d’effets secondaires graves causés par chacun de ces traitements et comment le patient les évaluera-t-il? Avant tout, le dépistage réduira-t-il les risques de mourir du cancer de la prostate pour ce patient4?
Où en sommes-nous aujourd’hui? En octobre 2011, le US Preventive Services Task Force (USPSTF) présentait une ébauche de recommandation et sollicitait les commentaires de divers intervenants. En mai 2012, le groupe de travail publiait sa déclaration finale et concluait qu’après environ 10 ans, le dépistage à partir du test de l’APS se traduisait par la détection d’un plus grand nombre de cas de cancer de la prostate, mais par une petite ou une absence de réduction dans la mortalité spécifique au cancer de la prostate5.
Le USPSTF a accordé une cote D de recommandation du dépistage de l’APS, présentant comme argument qu’il y a une certitude de moyenne à élevée que le test n’apporte pas d’avantages nets ou que ses inconvénients surpassent ses bienfaits. Cette recommandation du USPSTF a fait l’objet de critiques et certains ont maintenu qu’étant donné les forces méthodologiques relatives de l’étude ERSPC supérieures à celles de l’étude PLCO, le USPSTF aurait dû accorder une recommandation de cote C au test de l’APS et encourager ainsi plus de discussions avec les patients, une prise de décisions centrée sur le patient et individualisée6.
Même s’il ne fait nul doute que la controverse entourant l’APS persistera, la recommandation du USPSTF est un pas en avant:
Depuis 2 décennies, les médecins de soins primaires sont appelés à présenter un test de dépistage défaillant aux patients, à en couvrir les lacunes dans un rituel élaboré de prise de décisions éclairée. D’autre part, on s’attendait des hommes qu’ils trouvent la logique dans un mélange de résultats hypothétiques portant à confusion. Même s’il est probable que la recommandation du USPSTF n’arrêtera pas la controverse à propos de l’APS, un document existe enfin pour guider les cliniciens et les décideurs4.
Selon les constatations des Drs Scott et Birtwhistle1, parmi nos tâches les plus urgentes comme médecins de famille, nous devons renseigner plus adéquatement les hommes dans nos pratiques à propos des limitations considérables et des préjudices possibles du dépistage de l’APS.
Footnotes
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