Les incidents cardiovasculaires (IC) déclenchés par l′exercice, en particulier la mort subite cardiaque (MSC), attirent beaucoup l'attention des médias dans le contexte de la sécurité de l'exercice pour la population en général. Par conséquent, les inquiétudes entourant la sécurité de l'exercice physique est un sujet de discussion fréquent durant les examens médicaux périodiques et lorsqu'une activité physique (AP) accrue est prescrite. En réalité, on estime que de 4 % à 17 % seulement des infarctus du myocarde chez les hommes sont reliés à un effort physique et des taux bien moins élevés sont observés chez les femmes1,2. De ces incidents liés à l'exercice, il est aussi vrai de dire qu'ils sont rares à se produire en l'absence d'une maladie cardiovasculaire (MCV) pour laquelle les facteurs de risque auraient été (ou pu ne pas avoir été) déjà évidents.
Le présent article fait le sommaire des constatations d'une synthèse critique des risques de l'AP chez des personnes apparemment en bonne santé3. Elle compte parmi une série complète de synthèses critiques examinant les risques de l'AP chez les personnes en santé et les patients atteints de diverses maladies chroniques. Les données probantes ainsi obtenues procurent le fondement sur lequel reposent de nouveaux outils qui simplifieront la tâche d'autoriser et de prescrire l'activité physique: la version révisée du Questionnaire sur l'aptitude à l'activité physique (QAAP−+) et la procédure électronique d'examen médical portant sur l'aptitude à l'activité physique (ePAR-med−X+)4. Nous présentons des données scientifiques à l'appui et des cheminements mécanistes concernant les risques de l'activité physique chez des patients apparemment en santé. Cet article à l'intention des médecins de famille a pour but de leur faciliter la tâche de dépister les patients aptes à participer à l'AP et de prescrire l'AP en fonction des risques.
Des données probantes en nombre croissant indiquent que diverses AP confèrent certains bienfaits selon un mode de réponse en fonction de la dose et démontrent un continuum de bienfaits croissants et de réduction du risque à mesure que la personne progresse d'une AP à faible intensité à une AP plus vigoureuse. Chez les personnes en santé, des exercices à faible intensité effectués périodiquement (de 3 à 5 fois par semaine) peuvent entraîner des améliorations considérables dans les mesures de la qualité de vie, de la composition corporelle et des facteurs de risques de MCV. Une AP plus vigoureuse a été associée à des réductions prononcées dans les taux de risque et de mortalité toutes causes confondues chez les personnes atteintes de diverses maladies chroniques. Une dépense d'énergie par des AP vigoureuses d'au moins 1 000 kcal par semaine, mais idéalement, d'environ 2 000 kcal par semaine, a entraîné les plus grandes réductions du risque de MCV5,6.
L'activité physique comme déclencheur d'incidents CV
En dépit des données scientifiques à l'appui d'une participation continuelle à une AP vigoureuse comme moyen de réduire la morbidité et la mortalité à long terme, chaque séance individuelle d'exercices augmente à courte durée le risque d'événements CV indésirables non mortels et de MSC. Il s'agit du «paradoxe du risque» de l'exercice: les réductions du risque à long terme obtenues par une AP vigoureuse sont reliées à des élévations transitoires de courte durée des risques. De nombreux rapports dans les ouvrages médicaux et populaires décrivent des adolescents et des adultes qui meurent soudainement durant ou immédiatement après une AP, quels que soient leurs antécédents de participation à long terme. Étant donné ces préoccupations, il importe de bien comprendre les risques de l'AP et des tests d'aptitude à l'exercice pour orienter et améliorer les procédures de dépistage afin de réduire les probabilités d'incidents indésirables sans empêcher indûment les personnes de profiter des bienfaits que peut apporter l'AP.
Les risques de l'AP et les déclencheurs d'incidents CV
Jusqu'à présent, la plupart des analyses sur les risques de l'AP sont sous formes d'études rétrospectives obtenues d'établissements de loisirs, de questionnaires, de registres ou d'événements sportifs de grande envergure. On observe constamment un risque gradient avec une intensité accrue de l'exercice, ainsi qu'un risque relatif d'incidents CV fatals augmentant jusqu'à 56 fois plus (au-dessus de celui prévu au repos)7, ou d'aussi peu que 2,1 fois plus8. Les femmes semblent avoir des taux d'incidents CV fatals liés à l'exercice considérablement moins élevés que les hommes, ce qui est probablement attribuable au retard observé dans le développement des coronaropathies et à une moins grande participation à une AP vigoureuse9. Certains rapports décrivent les risques des activités individuelles d'endurance, en particulier les marathons de course. Cette information est d'autant plus intéressante compte tenu de la tendance à une participation plus nombreuse aux marathons (12 fois plus grande depuis 1976) et, avant tout, en raison des changements observés dans l'âge des participants: la cohorte dont la croissance est la plus grande dans de tels événements sportifs se situe chez les plus de 40 ans; 40 % des coureurs actuels ont plus de 40 ans, par rapport à 23 % en 198010. On s'attend à ce que cette tendance se maintienne avec le vieillissement de la population et en raison de la génération des baby boomers qui continuent à s'adonner à cette forme d'ac-tivité. Les reportages médiatiques d'incidents cardia-ques fatals durant divers marathons au Canada et aux États-Unis ont suscité de plus grandes préoccupations et ont mené à la réalisation d'un certain nombre d'ana-lyses rétrospectives des risques. Des données récentes font valoir que le risque d'un incident CV fatal durant un marathon varie entre 1 par 80 000 participants11 et 1 par 200 000 participants12.
Les risques CV de l'entraînement d'endurance semblent être relativement faibles; par ailleurs, les don-nées actuelles proviennent d'études relativement petites et ne sont pas suffisantes pour fournir des estimations exactes des risques dans la population en général. Il a été démontré que le recours à des techni-ques d'exercice appropriées, y compris éviter de rete-nir son souffe durant l'étape de la contraction d'une levée de poids (la manœuvre de Valsalva), provoque des réactions de la pression artérielle semblables à l'exercice aérobie, pourvu que l'effort se situe entre 80 % à 100 % de la charge maximale 1 (1RM), laissant entendre qu'au moins une certaine partie du risque présumé peut être contrôlée13.
La cause des incidents CV se produisant durant ou après l'exercice chez les jeunes adultes et les adolescents a été bien documentée, mais l'incidence de ces incidents dans cette cohorte n'est pas bien décrite. Quoiqu'il en soit, il est généralement accepté que leurs risques sont bien en-deçà de ceux observés dans la population adulte. Le dépistage chez les jeunes avant la participation à un sport, en particulier les tests comportant un électrocardiogramme, demeure controversé. Un tel dépistage est obligatoire en Italie et, en dépit d'un appui solide dans certains pays, il n'est pas largement accepté en Amérique du Nord. L'identifcation exacte d'une maladie occulte demeure un déf important, étant donné que la plupart des cas de MSC sont associés à des problèmes cliniquement silencieux et sont rarement reliés à des symptômes précurseurs.
La présence d'une arythmie ventriculaire à l'effort durant des tests d'aptitude à l'exercice chez les athlètes ou la population sédentaire a une utilité incertaine dans le pronostic, mais indique probablement un risque plus élevé14,15. Des modèles de repolarisation anormaux sont rares chez les athlètes de 18 à 35 ans (1 % à 4 %). Chez les personnes plus âgées, une fréquence accrue des battements ectopiques est associée à des issues cliniques défavorables et à un risque accru d'athérosclérose16. La présence accrue d'anomalies à l'électrocardiogramme chez de jeunes athlètes entraînés est le plus probable-ment attribuable à une augmentation du tonus vagal et à des changements morphologiques induits par l'entraî-nement17. Quoique la plupart des anomalies de ce genre reflètent des adaptations non pathologiques à l'entraîne-ment et ne nécessitent pas de suivi, leur présence pose des défis additionnels pour exclure un risque accru d'in-cidents CV et une pathologie potentielle, y compris une cardiomyopathie hypertrophique et une cardiomyopathie arythmogénique du ventriculaire droit. La présence de toute arythmie cardiaque ou de symptômes, en particulier la syncope, pourrait augmenter le risque et devrait faire l'objet d'une investigation approfondie.
Parmi les observations importantes, on constate que le risque relatif plus élevé d'incidents CV durant l'exercice est considérablement plus bas si la personne participe régulièrement à des exercices sys-tématiques, en particulier s'ils sont fréquents et de nature vigoureuse. Ceci a été démontré chez les hommes18–20, chez les femmes21 et même chez les «guer-riers de fin de semaine» qui ne font de l'exercice que de 1 à 2 fois par semaine22.
Causes sous–jacentes des incidents CV indésirables déclenchés par l'AP
De nombreux rapports ont décrit la pathophysiologie qui contribue à la MSC déclenchée par l'exercice. On s'entend généralement pour dire que la MSC reliée à l'exercice chez les plus de 30 à 35 ans est en grande majorité secondaire à des complications aiguës de l'athérosclérose, tandis que la MSC chez les moins de 30 à 35 ans est le plus souvent attribuable à des troubles de la structure ou de la conduction du myocarde. Parmi ces problèmes, on peut mentionner les maladies génétiques qui représentent la plupart des constatations pathologiques dans les cas de MSC. Les troubles dans la conduction électrique pourraient être une cause «cachée» de décès chez les jeunes athlè-tes en dépit d'une histologie normale, parce que les systèmes de conduction sont rarement examinés de manière approfondie et présentent rarement des anomalies évidentes à l'inspection lors de l'autopsie.
L'athérosclérose est associée à plus de 80 % des MSC reliées à l'exercice chez les plus de 35 ans et à plus de 95 % des cas chez les plus de 40 ans. Les constatations à l'autopsie indiquent généralement un infarctus du myocarde antérieur ou aigu, mais les preuves de la présence d'une thrombose coronaire ne sont pas toujours identifées. L'identification précoce de la maladie demeure le facteur le plus difficile dans la prévention, étant donné que, dans la plupart des cas de MSC, aucun symptôme antérieur n'a été signalé et qu'un dépistage préalable n'a pas été effectué avant l'activité23. La nature occulte de la coronaropathie reste le principal défi dans les procédures de dépistage. Il est probable que la MSC comporte une progression aigüe et rapide de l'état pathologique sans préavis au moment précédant immédiatement le décès9. Par conséquent, la détermination du profil de risque global pourrait aider à minimiser le risque d'événements indésirables durant des exercices vigoureux. La Figure 1 présente un certain nombre de facteurs ainsi que des suggestions d'associations avec des risques CV déclenchés par l'exercice durant et après une AP vigoureuse qui méritent d'être pris en considération24. Certains de ces facteurs de risque, comme une mauvaise perfusion et une ischémie secondaire à la formation d'un pool sanguin après l'exercice, peuvent être évités par l'adoption de mesures de précaution au moment de l'exercice. Par exemple, on peut réduire la formation de pool sanguin en évitant d'arrêter abruptement l'activité vigoureuse et en prenant l'habitude de marcher ou de pédaler lentement durant une étape de «refroidissement» (pour faciliter le retour veineux par l'intermédiaire des muscles des jambes), tandis que le débit cardiaque revient au niveau de celui au repos.
Les lignes directrices actuelles du American College of Sports Medicine25 et de la American Heart Association26 préconisent des tests préalables d'aptitude à l'exercice chez les personnes considérées à «risque modéré»25; ces directives se fondent largement sur la connaissance d'une prévalence accrue de MCV dans la population. Plus précisément, on ne recommande pas de tests d'aptitude à l'exercice chez les hommes et les femmes de moins de 45 et 55 ans respectivement, s'ils n'ont pas de facteurs de risque coronariens26. Toutefois, on devrait envisager des tests chez ceux qui sont plus âgés que ces seuils lorsqu'un facteur de risque est présent et on devrait sérieusement les considérer si on a identifié 2 facteurs de risque ou plus25,26. Chez les patients à faible risque, une faible probabilité de coronaropathie et, dans bien des cas, l'incapacité d'une personne à atteindre l'effort maximal durant les tests d'aptitude, produisent une plus faible sensibilité des résultats vrais-positifs. Cette réalité limite l'effcacité des tests à l'effort chez les patients à faible risque, en particulier les femmes26. Même s'ils sont effectués de concert avec des moda-lités d'imagerie cardiaque (scintigraphie de perfusion ou échocardiogramme à l'effort), des résultats de tests positifs dépendent toujours de la présence d'une lésion bien établie induite par le flux sanguin ou d'une perturbation spontanée de la plaque qui cause l'ischémie9; étant donné qu'il se peut que la fissure de la plaque et l'arythmie létale ne se produisent pas pendant le test d'aptitude, mais plutôt durant un exercice subséquent, les tests d'aptitude à l'exercice pourraient à eux-seuls ne pas être suffisants pour le dépistage.
Conclusion
En nous fondant sur les données probantes disponibles et un examen approfondi de l'incidence documen-tée3, nous en sommes arrivés à un certain nombre de recommandations pratiques qui peuvent être utiles dans le milieu des soins primaires (Tableau 1). Le risque de réactions CV indésirables durant l'AP est extrêmement faible chez les adultes et les adolescents apparemment en bonne santé et est compensé par les bienfaits consi-dérables que l'AP confère pour la santé. Nous concluons qu'en l'absence de signes et de symptômes apparents de maladie (et dans ce cas, des exercices modifiés devraient être prescrits), nous devrions faire la promo-tion de l'AP.
Footnotes
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Intérêts concurrents: Aucun déclaré
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2013 issue on page 46.
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