
Je n’essaie pas de décrire le futur. J’essaie de le prévenir.
Ray Bradbury (traduction libre)
Le numéro d’octobre du Médecin de famille canadien met l’accent sur les soins intrapartum et le rôle des médecins de famille1–5.
Depuis plus de 2 décennies, Le Médecin de famille canadien porte à l’attention de ses lecteurs et de l’ensemble de la discipline de la médecine familiale des enjeux entourant les soins intrapartum6,7. La tendance générale des médecins de famille à abandonner la pratique de l’obstétrique est bien documentée, tant au Canada qu’aux États-Unis. La proportion des médecins de famille canadiens qui intègrent les soins obstétricaux complets dans leur pratique a fléchi selon les trajectoires suivantes: en 1997, 20 % procédaient à des accouchements; en 2001, 17,7 %; en 2004, 12,9 %8; et en 2010, 10,5 %9. De nos jours, la plupart des accouchements sont assistés par des obstétriciens et des sages-femmes.
Parmi les facteurs expliquant cette tendance cités maintes fois figurent les craintes d’ordre médicolégal, les problèmes relatifs au mode de vie, des facteurs économiques, l’interruption de la pratique en cabinet et une formation insuffisante. Dans des études antérieures, on s’est penché sur l’expérience de la résidence en pratique familiale et sa corrélation avec les habitudes de pratiquer l’obstétrique après l’obtention du diplôme, ainsi que sur les facteurs qui influencent les stagiaires en médecine familiale à choisir d’exercer l’obstétrique 10.
Ce déclin constant du rôle des médecins de famille dans la prestation des soins intrapartum comporte de nombreuses conséquences dont certaines sont évidentes et d’autres, moins. La plus prépondérante, et d’une importance philosophique profonde, se situe dans la disparition d’un modèle de soins par les médecins de famille qui s’étendait du berceau à la tombe, pendant tout le cycle de vie des personnes et de leur famille.
Des répercussions moins évidentes mais tout aussi critiques sont présentées par Dre Karen Fleming dans son important commentaire publié dans le présent numéro de la revue (page 1045)1. Dre Fleming expose des arguments puissants et convaincants voulant que des problèmes de santé comme le diabète gestationnel, les troubles de l’hypertension durant la grossesse, la prise de poids maternel excessive, qui sont tous à la hausse (en partie parce que plus de femmes retardent leurs grossesses à un âge plus avancé), offrent des indices révélateurs des risques pour la santé cardiovasculaire future des femmes. Non seulement ces risques touchent-ils la femme, mais il est bien connu qu’il y a aussi des risques intergénérationnels associés à tous ces problèmes de santé.
Si de moins en moins de médecins de famille dispensent des soins intrapartum, selon Dre Fleming, il est fort possible que les médecins de famille n’aient pas accès à d’importants renseignements leur permettant de réduire les risques chez les femmes de contracter le diabète et des maladies cardiovasculaires de nombreuses années après leurs grossesses. Par exemple, de bonnes données probantes indiquent que les femmes qui ont un diabète gestationnel pourraient échapper au dépistage11. Dans une étude par sondage auprès de plus de 200 femmes ayant fait un diabète gestationnel et de leurs médecins, Keely et ses collaborateurs ont démontré que les taux de dépistage postpartum par épreuves d’hyperglycémie provoquée par voie orale étaient faibles, mais que des lettres de rappel aux professionnels et aux patientes pourraient améliorer les taux de détection par mesures de suivi11.
L’ère où la plupart des médecins de famille offraient des soins intrapartum complets et la continuité des soins du berceau à la tombe est peut-être révolue, mais les médecins de famille continueront d’exercer un rôle important dans les soins aux patientes durant le reste de leur cycle de vie. Dans l’exercice de ce rôle, l’identification des facteurs de risque et la prévention du diabète et des maladies cardiovasculaires futurs seront essentiels. Quels que soient les modèles de soins intrapartum qui émergeront à l’avenir, il sera primordial que les médecins de famille connaissent intimement les antécédents de grossesses de leurs patientes. La santé future de ces femmes et de leurs enfants en dépendra.
Footnotes
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This article is also in English on page 1031.
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