À l’automne 2011, un étudiant de l’Université Acadia est décédé des suites d’une consommation ponctuelle immodérée d’alcool lors de sa première soirée sur le campus durant la semaine d’initiation. Cet événement nous a incités à chercher une réponse à la question que se posent bien des gens sur les campus: Comment cet incident a-t-il pu se produire? La consommation d’alcool a depuis longtemps la réputation d’agrémenter les réunions sociales. Toutefois, la consommation excessive d’alcool gagne rapidement en popularité et en acceptation sociale dans les campus canadiens et boire de l’alcool avant l’âge permis est devenu un exutoire social pour bien des jeunes et des étudiants. On définit la consommation ponctuelle immodérée comme étant 5 boissons alcoolisées par occasion pour les hommes et 4 pour les femmes1. Dans un sondage réalisé en 2004 auprès de Canadiens ayant signalé avoir eu une consommation excessive d’alcool au cours des 30 jours précédents, 24,2 % étaient des étudiants et une proportion additionnelle de 25,6 % étaient des personnes de 18 à 24 ans qui n’étaient pas aux études2. La consommation moyenne d’alcool atteint un sommet lorsque les étudiants boivent lors d’un party (6,0 consommations), dans les bars (5,1 consommations) ou dans les dortoirs universitaires (5,7 consommations), qui sont tous des milieux habituels dans la vie des étudiants2. De plus, l’ingestion moyenne d’alcool est positivement corrélée à la taille du groupe et les étudiants boiront 6,2 consommations par soirée en grands groupes par rapport à 1,8 par soirée s’ils sont seuls2.
S’enivrer d’un coup
La consommation immodérée d’alcool est particulièrement dangereuse pour les étudiants parce qu’ils en sont à un stade crucial de leur développement. Une exposition excessive à l’alcool durant le développement peut causer des problèmes cardiovasculaires, une perte de mémoire et de concentration, la dépression et la mort. De plus, contrairement à la croyance populaire, le cerveau humain continue de se développer au-delà de l’enfance jusqu’au début de l’âge adulte. David Dobbs signale dans le National Geographic que, même si les adolescents utilisent le même processus cognitif que les adultes, ils apprennent encore à interagir de manière appropriée et sécuritaire avec le milieu qui les entoure3.
La consommation excessive d’alcool est peut-être devenue plus acceptable aux yeux des étudiants parce qu’il y a eu une augmentation de 71 % dans leur exposition à l’alcool entre 2001 et 2009 et que les jeunes d’aujourd’hui sont aussi 22 fois plus susceptibles de regarder une publicité de produits alcoolisés que de voir une annonce sur la «responsabilité» commanditée par des fabricants de boissons alcoolisées4. L’un des problèmes que pose cette exposition à la consommation d’alcool se situe dans le fait qu’elle porte les étudiants à mal percevoir les dangers de la situation. Les films hollywoodiens populaires comme Lendemain de veille présentent la consommation excessive d’alcool et la «perte de conscience» comme tenant de la comédie5. Quoique les pairs plaisantent à propos de ceux qui sont «saouls raides» ou «ivres morts» et ne leur prêtent pas assistance, les buveurs excessifs sont à risque élevé d’empoisonnement par l’alcool et il est possible que la personne évanouie soit en véritable détresse et que ses organes soient en voie de défaillance.
Que peut-on faire?
Dans une étude expérimentale auprès d’un échantillonnage national, Siegel et ses collègues ont constaté que la plupart des jeunes consommaient un sous-ensemble précis de produits alcoolisés6. Les 2 principales marques de rhum cernées dans l’étude représentaient 95,5 % de tout le rhum consommé6. Malgré la popularité de marques précises, il n’existe pas beaucoup d’écrits sur la recherche par des brasseurs et des distillateurs sur ce qui motive les jeunes gens à acheter leurs produits. Les tentatives de réglementer l’exposition à l’alcool par les jeunes ont échoué. Les éducateurs devraient chercher des programmes appropriés d’information pour préparer les jeunes à l’expérience de telles situations. Tout comme les jeunes reçoivent une éducation sexuelle, ils devraient aussi être préparés aux circonstances dans lesquelles on boit de l’alcool, même si l’acceptation sociale fait partie de notre culture. Même en milieu universitaire, la plupart des cliniques médicales sur les campus offrent de nombreuses brochures éducatives sur les relations sexuelles sécuritaires, la prévention des grossesses et les infections transmises sexuellement, mais très peu de renseignements sur l’alcool. De plus, l’éducation de base n’est pas à elle seule un moyen efficace pour décourager la consommation ponctuelle immodérée. L’augmentation de l’alcoolisation paroxystique intermittente a attiré l’attention des campus américains et canadiens. De nombreuses méthodes pour sensibiliser aux dangers de l’alcool ont été proposées dans les milieux universitaires et 44 % des universités et des collèges américains ont employé au moins 1 outil de dépistage des problèmes d’alcool en 20117. Pourtant, moins de la moitié de ces 44 % ont utilisé 1 des 3 outils reconnus et privilégiés à leur disposition: AUDIT (Alcohol Use Disorders Identification Test), CAPS (College Alcohol Personality Survey), RAPS (Rapid Alcohol Problems Screen) et CUGE (cut down, under influence, guilty feelings, and eye opener)7.
S’il n’est pas possible de surveiller l’exposition et si la cessation complète de la consommation d’alcool n’est pas l’objectif visé, il faudrait utiliser un dépistage approprié des problèmes de consommation. On s’est récemment intéressé à l’utilisation d’entrevues motivationnelles pour dépister les problèmes reliés à l’alcool. Les principaux éléments de cette démarche motivationnelle proposée comportent l’expression d’empathie, la promotion de l’autoefficacité et l’insistance sur les divergences entre les buts dans la vie et les comportements reliés à l’alcool8. Quoique ce guide concernant l’entrevue motivationnelle reconnaisse les points de vue du patient, aucune approche à ce dialogue entre le patient et le professionnel n’a fait l’objet de recherche et ne s’est révélé efficace. En outre, ce ne sont pas tous les jeunes qui ont l’impression que la consommation ponctuelle excessive est problématique. De tels jeunes ne seraient donc pas enclins à demander conseil à leur médecin de famille, surtout qu’ils sont nombreux à consulter leur médecin de famille en compagnie de leurs parents. Des questions à cet effet et ces efforts de dépistage pourraient mettre le patient sur la défensive et affaiblir la relation entre patient et médecin.
La sensibilisation dans les systèmes scolaires devrait peut-être être une priorité, c’est-à-dire prévenir les problèmes d’alcool avant qu’ils se produisent plutôt que les traiter une fois qu’ils sont déjà présents. BACCHUS Canada est un programme d’éducation sur la vie des étudiants utilisé par environ 70 collèges et universités au Canada. Ce programme a pour but de renseigner les étudiants à propos des décisions responsables à prendre et de les soutenir dans cette démarche et il traite des problèmes reliés à l’alcool sur les campus. Il a pour thème ce qui suit: «Aujourd’hui vous est présenté par… vos choix d’hier soir et voici… comment faire les bons choix». Le programme BACCHUS est mis en action durant la semaine d’initiation et comporte des communiqués de presse, des concours, des affiches et des prix pour les campus. Bien qu’il établisse les paramètres au moment où les nouveaux étudiants arrivent sur le campus, l’efficacité de ce programme n’a pas encore été évaluée.
En 2004, la Brock University à St Catharines, en Ontario, a eu recours à Creating Healthy Opportunities in Campus Environments (CHOICES). Ce programme visait à inspirer un sentiment d’appartenance communautaire sur le campus au moyen d’une campagne de publicité9. L’une des initiatives de cette campagne consistait à demander aux étudiants de déchirer les affiches sur le campus dans l’espoir que, ce faisant, ils liraient du même coup les affiches. Deuxièmement, CHOICES a créé un centre communautaire virtuel en ligne dans lequel les étudiants pouvaient communiquer entre eux9. Le recours aux réseaux sociaux comme outil de sensibilisation gagne rapidement en popularité. Une étude en 2011 a fait valoir que les personnes qui ont un profil Facebook dans lequel elles affichent des photos ou des commentaires faisant référence à l’alcool, à l’intoxication ou à une consommation problématique avaient des résultats plus élevés selon l’échelle du Alcohol Use Disorders Identification Test et étaient plus susceptibles de signaler avoir eu une blessure reliée à l’alcool durant l’année précédente10. Dans une autre étude sur le dépistage dans le web, on a constaté qu’une rétroaction normative individualisée et des entrevues motivationnelles en ligne pouvaient être utiles pour réduire la consommation d’alcool pendant une période de 6 mois chez des étudiants du premier cycle ayant signalé une forte consommation11.
Tester les eaux
Si les étudiants savaient les dommages qu’ils peuvent s’infliger à eux-mêmes à cause de la consommation immodérée intermittente, on pourrait croire qu’ils seraient plus prudents. Mais, ce peut être un manque de connaissances suffisantes qui poussent les étudiants à croire que leurs habitudes sont sans danger. Une étude par Gmel et ses collaborateurs a fait valoir que, pour les étudiants, la saoulerie n’est pas un excès. Gmel et ses collègues suggèrent que les risques attribués à une ivresse ponctuelle dangereuse sont sous-estimés par ceux qui s’y adonnent occasionnellement, mais que certaines des conséquences des problèmes d’alcool chroniques ou les effets de la consommation d’alcool par la mère sur le nouveau-né sont souvent surestimés12.
En 2004, 69 % des séjours à l’hôpital reliés à la toxicomanie chez des personnes de 10 à 19 ans et 61 % de ces séjours chez les 20 à 24 ans étaient attribuables à l’alcool9. Cette réalité devrait inciter les responsables des semaines d’initiation universitaire, les professionnels de la santé, les éducateurs et les chercheurs à évaluer le problème, mais les données probantes sont insuffisantes pour corroborer l’efficacité d’une telle évaluation. D’ailleurs, les statistiques canadiennes doivent être mises à jour avant qu’on puisse véritablement comprendre le problème au pays. Il est cependant temps d’avoir recours aux solutions proposées. Avant de pointer du doigt l’adolescent irresponsable, il importe d’examiner les processus qui sous-tendent son comportement. Tout en favorisant plus de dialogues entourant les sujets tabous de la consommation d’alcool par des mineurs et de l’enivrement ponctuel, il est crucial de changer les perceptions à propos de tels comportements tant par de l’éducation que dans les médias. L’esprit de l’adolescent n’est autre que celui d’un adulte qui«teste les eaux». Dans l’examen des meilleures façons de changer le paradigme qui a conduit à l’acceptation de la consommation excessive, il ne faut pas oublier l’importance de dire la vérité à ces personnes.
Footnotes
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the October 2013 issue on page 1041.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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