Au Canada, 93 % des adultes de 65 ans et plus vivent à la maison et 87 % d’entre eux souhaitent y demeurer le plus longtemps possible1. Par ailleurs, bon nombre de personnes dans cette population ont des problèmes sociaux et de santé complexes et reliés entre eux qui les rendent frêles et les confinent à la maison, faisant d’eux l’une des populations de patients les plus vulnérables et marginalisées2,3. Quoique 95 % des Canadiens plus âgés aient un médecin de famille4, les personnes confinées à la maison, de par la nature de leur condition, sont mal desservies par des modèles de prestation des soins primaires principalement en cabinet en raison des problèmes substantiels d’accès aux soins2.
Parce qu’ils n’ont pas facilement accès aux soins primaires, les adultes plus âgés confinés à la maison se tournent souvent vers des options épisodiques moins idéales, comme des visites à l’urgence et des hospitalisations en périodes de crise5. Par ailleurs, si ce cycle de soins épisodiques se répète à nouveau, c’est seulement en raison d’un manque de suivi accessible en soins primaires. De plus, les hospitalisations entraînent souvent dans ce groupe une détérioration fonctionnelle rapide et une perte de la capacité de vivre de manière autonome, ce qui met sérieusement à risque ces patients d’être admis en permanence dans un établissement de soins de longue durée6.
Les soins à domicile ne sont pas un nouveau concept. Divers modèles ont émergé internationalement pour combler les lacunes au chapitre de l’accès aux soins, retarder des trajectoires indésirables sur le plan de la santé et réduire les coûts dans l’ensemble7. Faire une distinction entre les composantes et les populations de patients qui caractérisent chaque modèle peut cependant porter à confusion7. Le présent commentaire a précisément pour but de passer en revue le modèle des soins primaires à domicile et d’expliquer comment ce modèle de soins peut être adopté dans la pratique pour mieux desservir les Canadiens âgés confinés à la maison.
Définir la personne âgée confinée à la maison
L’une des difficultés dans l’analyse des besoins en soins de santé des aînés confinés à la maison se situe dans l’imprécision de la définition de cette population dans la littérature médicale3. La définition la plus largement acceptée est celle du programme américain Medicare, qui considère qu’une personne souffrante ou blessée est confinée à la maison si le fait de quitter son domicile exige un effort considérable et éprouvant et si ses absences de la maison sont peu fréquentes, de courte durée ou pour recevoir des traitements médicaux8. Toutefois, les experts reconnaissent que même cette définition est trop restrictive, parce que la façon dont Medicare définit le confinement à la maison, en utilisant principalement des critères physiques simples, peut omettre les interactions complexes des problèmes médicaux, psychiatriques et cognitifs, ainsi que la fragilité sociale qui pourraient confiner une personne à la maison3.
La recherche démontre que, par rapport à l’ensemble de la population âgée, les patients âgés confinés à la maison souffrent en général de taux plus élevés de maladies métaboliques, cardiovasculaires, cérébrovasculaires et musculosquelettiques, ainsi que de déficience cognitive, de démence et de dépression3. On constate aussi dans ce groupe des taux élevés d’utilisation chronique de médicaments9, des taux plus élevés de visites à l’urgence et près du double du taux d’hospitalisations annuelles que ceux qui ne sont pas confinés à la maison10.
Les données canadiennes ne sont pas disponibles mais, aux États-Unis, au moins 1 million de personnes de 65 ans et plus sont confinées de manière permanente à la maison11, et certains chercheurs estiment que ce nombre pourrait être aussi élevé que 3,6 millions3. Nous avons donc estimé de façon conservatrice qu’il y a au moins 100 000 Canadiens âgés confinés à la maison.
Définir le modèle
Historiquement, les médecins prodiguaient des soins médicaux systématiquement et sans discrimination aux patients malades à leur domicile et ces visites représentaient 40 % des rencontres médecins-patients durant les années 194012. Depuis ce temps, ces visites sont devenues moins fréquentes, à mesure que les médecins se sont fiés de plus en plus à la technologie, transférant ainsi la prestation des soins de santé vers les hôpitaux et les cabinets, tandis que les modèles de rémunération à l’acte traditionnels récompensaient les épisodes de soins nombreux et de courte durée13.
Il faut faire la distinction entre les visites à domicile traditionnelles et les modèles modernes de soins primaires à domicile, qui fournissent des soins primaires continus à domicile et visent spécifiquement les patients atteints de maladies chroniques complexes qui sont mal desservis par les soins en cabinet14.
Afin de répondre aux besoins complexes des patients âgés confinés à la maison, la prestation des soins primaires à domicile est souvent facilitée par des programmes structurés auxquels participent des équipes dirigées par un médecin ou une infirmière praticienne, qui bénéficient souvent du soutien d’autres professionnels de la santé et des services sociaux14. Ces programmes de soins primaires à domicile ont les objectifs généraux suivants:
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donner accès à des soins médicaux primaires continus;
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maximiser l’autonomie et le fonctionnement;
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réduire les visites à l’urgence et les admissions à l’hôpital;
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améliorer la sécurité et la qualité de vie des patients;
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établir le contact entre les patients et les services d’aide à domicile14,15.
Par ailleurs, les soins primaires à domicile ne se limitent pas à ces programmes, étant donné que certains médecins de famille indépendants maintiennent les soins continus à leurs patients âgés confinés à la maison par de fréquentes visites à domicile.
Enfin, il faut aussi faire la distinction entre les modèles de soins primaires à domicile et d’autres modèles contemporains de soins à domicile qui incluent principalement les programmes d’hôpital à domicile, de visites d’intervention directe à domicile et de soins de transition, sans compter les services de soins professionnels à domicile (Tableau 1)14–19. Mais aucun de ces autres modèles n’est conçu ou capable de fournir des soins primaires complets et continus à domicile.
Distinctions entre les soins primaires à domicile et d’autres modèles de soins à la maison
Recherche existante
L’émergence des modèles contemporains de soins à domicile a incité la réalisation de plusieurs études se penchant sur l’efficacité de ces modèles. Depuis 2000, 5 synthèses critiques en anglais (dont 3 étaient aussi des méta-analyses20–22) portant sur des modèles de soins à domicile pour les personnes âgées ont été publiées et les résultats se révèlent contradictoires20–24. Certaines de ces synthèses ont signalé que les programmes d’intervention directe et de soins primaires à domicile n’influençaient pas la mortalité23,24, le fonctionnement physique et psychosocial23, l’état de santé24 ou l’utilisation et les coûts des soins de santé24. D’autre part, des analyses ont conclu que ces programmes réduisaient la mortalité20,21, les admissions à des établissements de soins de longue durée 20–22 et le déclin fonctionnel20,22.
Par contre, les experts reconnaissent que les études individuelles incluses dans ces synthèses critiques sont extrêmement hétérogènes et de nombreux programmes à l’étude ne visaient pas à fournir des soins primaires complets et continus. De plus, dans beaucoup de cas, il s’agissait de programmes d’intervention directe à domicile au Royaume-Uni et en Europe, dans lesquels les patients gardaient leur fournisseur de soins primaires en cabinet et les visites à domicile étaient assurées en tant qu’interventions distinctes et indépendantes2,25. Mais, ces genres de programmes ne réussissent généralement pas à éliminer les obstacles à l’accès aux soins primaires pour les personnes confinées à la maison et favorisent la fragmentation des soins entre ceux qui font les visites à domicile et le fournisseur de soins primaires. Les experts ont donc émis l’hypothèse que l’inclusion des études sur les programmes d’intervention directe à domicile britanniques et européens pourrait avoir produit des résultats disparates dans les synthèses critiques systématiques et les méta-analyses antérieures12,25.
Apprendre des États-Unis
Plusieurs programmes de soins primaires à domicile ont fait leur apparition aux États-Unis et se caractérisent par des principes communs: 1) les visites médicales à domicile sont faites par le fournisseur de soins primaires habituel (médecin ou infirmière praticienne); 2) le fournisseur de soins primaires dirige une équipe interprofessionnelle de soins; 3) le programme est offert après les heures normales pour les problèmes urgents7,14. Beaucoup de ces programmes ont aussi accès à des services de laboratoire et d’imagerie diagnostique à domicile ou la capacité de les offrir12. Quelques centres médicaux avant-gardistes ont élaboré des programmes universitaires sur les soins primaires à domicile, dont plusieurs ont signalé des résultats impressionnants, comme des réductions considérables dans les visites à l’urgence26, les hospitalisations2,13,26 et les admissions en centres de soins de longue durée2.
La Veterans Health Administration aux États-Unis est le principal partisan des soins primaires à domicile et le fournisseur de tels soins qui a connu la plus grande réussite. Au milieu des années 1990, on a déployé des efforts concertés pour transférer le focus et la prestation des soins aux anciens combattants vers des modèles de soins primaires en clinique externe15. Cette importante transformation s’est opérée avec la vision que les anciens combattants plus âgés seraient mal desservis par un système de santé de plus en plus dépendant des modèles de soins en milieu hospitalier et de courte durée. En 1995, le Veterans Affairs System a mis sur pied son programme de soins primaires à domicile avec la ferme intention de dispenser des soins primaires longitudinaux complets à la maison14.
Ces programmes s’occupent actuellement d’environ 25 000 anciens combattants dans toutes les régions des États-Unis7 et ont démontré leur capacité d’obtenir de bons résultats pour le patient, l’aidant naturel et l’ensemble du système. Des données factuelles émergentes en provenance du Veterans Affairs System signalent des améliorations considérables dans la qualité de vie des patients27 et la satisfaction des proches aidants27, ainsi qu’une réduction des visites à l’urgence15, des hospitalisations15,28,29, des réadmissions27 et des admissions en soins de longue durée14.
Par ailleurs, la plupart des études actuelles venant du Veterans Affairs System et d’ailleurs ont une conception de nature observationnelle et ont recours à une analyse avant-après (Tableau 2)2,13,15,26–30 et il faudrait des études randomisées prospectives de grande qualité pour mieux étayer un appui à ce modèle de soins. (Cette question fait l’objet d’une discussion plus approfondie dans la section sur la recherche et l’évaluation de la deuxième partie de ce commentaire [page e125]31.) De plus, il est essentiel que les études futures prennent soigneusement en considération leurs populations cibles pour assurer que l’on choisit les sujets à l’étude appropriés qui bénéficieront réellement du modèle de soins primaires à domicile. (Cette question fait l’objet d’une discussion plus approfondie dans la section sur la conception de programmes efficaces et adaptables de la deuxième partie de ce commentaire [page e125]31.) C’est d’une importance particulière parce que l’une des études randomisées contrôles multicentriques sur ce modèle de soins n’a été capable de cerner des bienfaits substantiels du système que chez les sujets à l’étude ayant des incapacités graves (P = .03)27. Par ailleurs, il est aussi essentiel que les futures investigations continuent à aller au-delà des paramètres habituels des systèmes, car de nombreuses études ont rapporté des bienfaits considérables pour la qualité de vie des patients et des proches aidants26,27.
Données probantes émergentes à l’appui des SPD
En 2006, les programmes de soins primaires à domicile des Affaires des anciens combattants aux États-Unis ont traité 20 783 patients et l’intervention a produit une réduction de 27 % dans les admissions à l’hôpital et une baisse de 69 % dans le nombre de jours d’hospitalisation dans leurs programmes à l’échelle du pays29. Le centre médical des Affaires des anciens combattants de Denver a signalé qu’en 2003, le programme de soins primaires à domicile avait desservi 104 patients et a rapporté des économies de coûts de l’ordre de 1 065 513 $ en un an, dont 98 % sont attribuables aux réductions dans les hospitalisations15.
Reconnaissant la réussite de ces programmes, le plus récent projet de loi sur la réforme de la santé aux États-Unis, la Patient Protection and Affordable Care Act of 2010, comportait une disposition prévoyant la mise à l’essai de mesures d’incitation financières et d’un modèle de fonctionnement pour les soins primaires à domicile, connus sous le nom de programme Independence at Home7. Ce programme pilote adopte les standards de base qui caractérisent d’autres programmes américains qui ont connu du succès, y compris le recours à des équipes dirigées par un médecin ou une infirmière praticienne qui sont disponibles 24 heures par jour, 7 jours par semaine7. Le programme expérimental vise à réduire les visites à l’urgence et les admissions et réadmissions évitables, à améliorer les résultats pour les patients et à réduire les coûts des soins de santé7. Un investissement semblable dans les soins primaires à domicile au Canada pourrait assurer davantage la viabilité à long terme de notre système de santé.
Footnotes
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2013 issue on page 237.
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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Intérêts concurrents
Dr Nowaczynski est directeur clinicien de House Calls, un programme de soins primaires et spécialisés interprofessionnels à domicile, desservant les adultes frêles, marginalisés et confinés à la maison à Toronto, en Ontario. Drs Nowaczynski et Sinha sont 2 des 4 principaux cochercheurs dans le cadre d’une subvention BRIDGES de 395 000 $ pour un projet intitulé«Bridging Care for Frail Older Adults: A Study of Innovative Models Providing Integrated Home-based Primary Care in Toronto».
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