Soins primaires à domicile au Canada
Déclin des visites à domicile au Canada
La prestation des soins primaires par l’entremise des visites à domicile au Canada connaît un déclin constant1. Le Sondage national des médecins de 2010 révélait que seulement 42,4 % (une baisse par rapport à 48,3 % en 2007) des omnipraticiens au Canada faisaient des visites à domicile2,3. Malheureusement, ces sondages n’ont pas cerné la fréquence à laquelle les médecins répondants faisaient des visites à domicile4 et, par conséquent, la proportion de ceux qui en font une composante régulière de leur pratique est probablement moins élevée.
Les médecins canadiens de soins primaires ont identifié divers obstacles nuisant aux visites à domicile, y compris les contraintes de temps, la rémunération insuffisante, le transport et des préoccupations quant à la sécurité5. Un sondage auprès de résidents en médecine familiale en 2011 à la University of Toronto en Ontario a aussi révélé que les stagiaires considéraient le manque de modèles de rôles dans la prestation de services de visites à domicile comme étant un obstacle à la pratique des soins primaires à domicile à l’avenir (Akhtar et Liu, données non publiées, 2011).
Justification d’offrir des soins primaires à domicile au Canada
L’émergence de soins primaires à domicile à l’extérieur du Canada a retenu récemment l’attention des décideurs provinciaux aux prises avec les impératifs démographiques créés par la population vieillissante au pays. Les Canadiens plus âgés représentent actuellement 14 % (4,8 millions) de la population nationale6; par contre, étant donné que les premiers de la génération des baby boomers ont atteint l’âge de 65 ans en 2011, on peut s’attendre à ce que cette population double au cours des 2 prochaines décennies, tandis qu’on s’attend à ce que le nombre des personnes de plus de 85 ans quadruple8. Cette situation exercera des pressions sans précédent sur le système de santé canadien9.
Les adultes plus âgés font aussi grimper les coûts de la santé au pays—45 % des dépenses en santé des gouvernements provinciaux et territoriaux leur sont attribuables1, car ils ont tendance à utiliser une quantité disproportionnée des services de santé de courte durée plus coûteux11. Étant donné que les patients qui ont un accès limité aux soins primaires engendrent des coûts plus élevés en soins de santé et reçoivent une moins bonne qualité de soins dans l’ensemble12, il sera nécessaire d’élaborer des façons d’offrir des soins primaires plus accessibles.
Quoique l’information à l’appui de soins primaires à domicile soit limitée au Canada, il y a de plus en plus de données probantes provenant de certains programmes locaux qui étayent la justification d’élargir ce modèle de prestation des soins primaires au pays. Par exemple, dans le programme House Calls à Toronto, en Ontario, décrit comme «un centre de médecine de famille mobile»13, on a signalé que chez les patients inscrits après une hospitalisation repère (âge moyen de 87 ans), il y a eu une réduction de 29 % des réadmissions non prévues à l’hôpital et 67 % de ses patients ont pu mourir à la maison14. Ce programme fournit des soins primaires complets et continus à des patients âgés frêles et confinés à la maison par l’intermédiaire d’une équipe interprofessionnelle dirigée par un médecin de famille avec le soutien d’un gériatre. Il existe aussi des programmes solides et efficaces en Colombie-Britannique, notamment l’intervention Primary Integrated Interdisciplinary Elder Care at Home (soins primaires interdisciplinaires intégrés aux aînés à domicile) à Victoria, où on a constaté chez ses patient une réduction de 39,7 % (P = ,004) des admissions à l’hôpital, une baisse du nombre de jours d’hospitalisation de 37,6 % (P = ,04) et une diminution de 20 % (P = ,20) dans les visites à l’urgence après leur inscription dans cette pratique4,15,16.
Étant donné les avantages financiers importants de soutenir des soins primaires accrus à domicile pour les patients âgés frêles et confinés à la maison, le gouvernement libéral de l’Ontario a récemment promis 60 millions de dollars par année pour l’expansion des services à domicile par les médecins14. De plus, le récent rapport de la Commission sur la réforme des services publics de l’Ontario (rapport Drummond) a également encouragé la plus grande expansion possible des soins à domicile17. Parallèlement, les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Manitoba ont aussi exprimé leur intérêt à élaborer des programmes de soins primaires à domicile pour les personnes âgées4. De fait, l’environnement politique est propice et le Canada est bien positionné pour adopter ce modèle nécessaire de soins primaires dans de multiples régions.
Regard vers l’avenir
Élaboration de programmes efficaces et adaptables
Dans la première partie de notre commentaire18(page e120), nous indiquions que les données probantes les plus convaincantes provenaient du Veterans Affairs System des États-Unis, qui fonctionne largement selon les mêmes principes que la Loi canadienne sur la santé19. La réussite de ses programmes est attribuable en partie à l’uniformisation des standards dans la prestation des soins primaires complets et continus à domicile.
Il est nécessaire de comprendre qu’il est difficile d’élargir ce genre de soins au sein d’une région et d’une région à l’autre avec un seul modèle. Nous croyons qu’il est possible de réussir l’expansion des soins primaires à domicile dans l’ensemble du Canada à l’aide de modèles mixtes qui épousent les principes communs de recourir à des équipes interprofessionnelles dirigées par un professionnel des soins primaires et qui se partagent le travail en dehors des heures normales pour les problèmes urgents. Une telle approche permettra l’élaboration de programmes de soins primaires à domicile qui peuvent s’adapter aux organismes de soutien communautaires, aux équipes de médecine familiale et aux pratiques familiales indépendantes qui existent sur place14.
Il importe de ne pas considérer les modèles de soins primaires à domicile isolément, mais de les voir plutôt comme une partie d’un continuum intégré de services de soins primaires et spécialisés. Étant donné l’état de santé fragile des patients que dessert ce modèle, les programmes doivent anticiper que les besoins de soins de leurs patients évolueront et nécessiteront peut-être éventuellement des milieux et des services plus soutenus comme des soins palliatifs à domicile20,21. D’autre part, il se peut que, dans ce modèle de soins, l’état de santé et le fonctionnement général de patients s’améliorent au point où ils pourront retourner aux soins primaires en cabinet.
La répartition inégale des médecins de soins primaires, surtout en régions rurales et éloignées, posera un défi particulier à l’adoption des soins primaires à domicile au Canada. Le Veterans Affairs System aux États-Unis a atténué ce problème en confiant à des infirmières praticiennes et à des adjoints du médecin le rôle de professionnel des soins primaires22. De plus, les progrès technologiques comme la télésanté ont aussi permis la prestation de soins primaires à domicile à des adultes plus âgés confinés à la maison en régions rurales23.
La prolifération de ce modèle nécessitera aussi l’élaboration de mesures incitatives sur le plan de la rémunération. Par exemple, on a récemment ratifié en Ontario un modèle de rémunération alternatif pour les soins aux aînés qui prévoit l’équivalent d’un salaire à temps plein pour les médecins de famille qui fournissent spécifiquement des soins primaires continus à domicile24. Une telle rémunération fera de la médecine à domicile un choix de carrière plus viable financièrement pour les médecins de famille, ce que les modèles de rémunération à l’acte et leurs limites ne permettaient pas.
Enfin, la conception des programmes de soins primaires à domicile au Canada exigera une prise en compte attentive de leurs populations cibles. La façon dont Medicare définit les personnes confinées à la maison en utilisant simplement des critères physiques est utile du point de vue de la réduction des coûts. Par contre, les experts en politique de la santé estiment que cette définition pourrait être trop restrictive et omettre de prendre en compte la complexité et l’hétérogénéité de la population pouvant bénéficier de soins primaires à domicile25. Les concepteurs de programmes canadiens et les décideurs provinciaux devront donc envisager des critères d’inclusion plus larges pour assurer que ces programmes sont accessibles à tous les patients âgés confinés à la maison dont les besoins ne sont pas bien satisfaits par les soins primaires habituels en cabinet. Pour ces adultes plus âgés, des soins primaires à domicile devraient être considérés comme une nécessité plutôt qu’une simple question pratique.
Éducation et formation
Les experts ont reconnu que la viabilité des programmes de soins primaires à domicile actuels et futurs dépendra d’une éducation efficace en médecine à domicile26,27. À cet effet, Hayashi et ses collaborateurs ont élaboré un nouveau cursus sur les visites à domicile à l’intention des résidents en médecine interne et, dans une étude connexe sur les résultats pédagogiques, on a signalé des améliorations substantielles dans les connaissances, les habiletés et les attitudes pertinentes à la médecine à domicile26. Les éducateurs canadiens en médecine devraient envisager de telles initiatives éducatives pour mieux former les étudiants en médecine, les résidents et les boursiers, ainsi que les médecins qui pratiquent actuellement en soins primaires et spécialisés en ce qui a trait aux soins primaires à domicile. Il faudrait aussi des efforts concertés au Canada pour augmenter le recrutement dans des programmes de formation en médecine gériatrique et en soins aux aînés en médecine familiale, et enrichir la formation en gériatrie durant la résidence de base en médecine familiale pour combler des lacunes critiques chez les professionnels de la santé concernant les soins aux adultes âgés et frêles28.
Recherche et évaluation
Il faudrait plus de recherche portant sur les aspects fonctionnels des programmes de soins primaires à domicile et leurs résultats connexes. Pour que la définition d’adulte âgé confiné à la maison soit utile pour cibler les patients qui bénéficieraient de soins primaires à domicile, il faudrait élaborer des critères de sélection standardisés à l’aide d’outils de dépistage validés. Enfin, l’amélioration de la qualité de ce modèle de soins reposera sur des études prospectives randomisées de grande qualité qui mesureront des paramètres importants pour le patient, les proches aidants et le système, comme la satisfaction et la qualité de vie, ainsi que les visites à l’urgence, les hospitalisations, les admissions en soins de longue durée et les analyses de la rentabilité globale20. Cette recherche pourrait aussi contribuer à optimiser les évaluations à domicile en identifiant des pratiques fondées sur des données probantes.
Conclusion
Il existe un besoin urgent d’élaborer des modèles de soins primaires plus efficaces pour mieux desservir les adultes canadiens plus âgés confinés à la maison et frêles, surtout que leur nombre ne fera que se multiplier au cours des prochaines décennies9.
Bon nombre des programmes de soins à domicile étudiés dans les ouvrages spécialisés sont des programmes d’intervention directe à domicile qui ne font que compléter les soins en cabinet. Malheureusement, cette réalité a empêché de faire des comparaisons efficaces avec des programmes plus complets de soins primaires à domicile qui ont été étudiés dans les synthèses critiques et les méta-analyses existantes, ce qui en définitive a retardé l’élaboration, l’acceptation et la dissémination plus large d’un solide modèle commun27.
Les programmes de soins primaires à domicile spécifiquement conçus qui ont fait leur apparition aux États-Unis peuvent influencer considérablement les résultats pour le patient, les aidants et le système. Des données probantes de grande qualité produites par le Veterans Affairs System et d’autres démontrent que ces programmes peuvent réduire substantiellement les visites à l’urgence, les hospitalisations et les admissions en soins de longue durée. Au Canada, ces résultats sont essentiels pour maintenir la qualité de vie et le fonctionnement des adultes plus âgés, et pour assurer la viabilité générale du système de santé.
Quoique les médecins de famille canadiens se soient détournés des visites à domicile, nous sommes d’avis que le Canada est bien positionné pour adopter le modèle contemporain émergeant de soins primaires à domicile. L’intérêt récent du monde politique et la réussite de modèles expérimentaux locaux ont pris de l’ampleur13,14 et nous enjoignons les gouvernements provinciaux à continuer à investir dans l’élaboration et l’expansion de ces programmes.
Enfin, nous lançons un appel aux dirigeants de la médecine universitaire de se faire les défenseurs de l’éducation médicale et de la recherche sur l’amélioration de la qualité qui sont axées sur la prestation de soins primaires à domicile pour les adultes âgés confinés à la maison. C’est ainsi qu’on pourra assurer la viabilité du système de santé canadien et fournir de meilleurs soins à l’une de nos populations les plus vulnérables et marginalisées.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2013 issue on page 243.
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Intérêts concurrents
Dr Nowaczynski est directeur clinicien de House Calls, un programme de soins primaires et spécialisés interprofessionnels à domicile, desservant les adultes frêles, marginalisés et confinés à la maison à Toronto, en Ontario. Drs Nowaczynski et Sinha sont 2 des 4 principaux cochercheurs dans le cadre d’une subvention BRIDGES de 395 000 $ pour un projet intitulé «Bridging Care for Frail Older Adults: A Study of Innovative Models Providing Integrated Home-based Primary Care in Toronto».
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Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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