
On estime que jusqu’à 80% de la population adulte [des Premières Nations de la région de Sioux Lookout] ferait un usage illicite des médicaments d’ordonnance.
Fatima Uddin1 (traduction libre)
Selon une enquête publiée il y a une dizaine d’années, près du tiers des Canadiens et Canadiennes (29 %) souffriraient de douleurs chroniques importantes et presque le quart de ceux-ci (22 %) auraient eu recours à des narcotiques pour soulager leur souffrance2. Si ces estimations sont justes, puisque le Canada compte approximativement 25 millions de personnes ayant plus de 18 ans3, le nombre potentiel de personnes prenant des opioïdes serait de 1,5 million!
Or, la prescription d’opioïdes n’est pas sans effets délétères. Outre les effets indésirables immédiats bien connus (constipation, nausées, étourdissements), ces médicaments sont associés à des complications bien plus sérieuses: surdosage, intoxication et mortalité. Néanmoins, parmi tous les méandres associés à la prescription des narcotiques, celui qui nous préoccupe le plus est certainement leur usage illicite. En effet, il semble que la probabilité de développer une dépendance aux narcotiques soit d’approximativement 3 %4; certains croient toutefois que l’incidence du risque de dépendance aux drogues illicites serait plutôt de 8 %5. Même en utilisant l’estimation la plus conservatrice, le nombre de Canadiens ayant développé une dépendance aux opioïdes serait d’approximativement 50 000. Incidemment, ce chiffre rejoint celui d’un rapport du Conseil exécutif canadien sur les toxicomanies, publié en 2011, selon lequel le Canada compterait plus de 55 000 toxicomanes dépendants aux opioïdes et traités par thérapie de substitution à la méthadone6.
La dépendance aux opioïdes engendrée par les médecins
Ce qui est troublant dans cette affaire, c’est que selon le réseau de « surveillance des maladies infectieuses chez les utilisateurs de drogues par injection »7 et le réseau canadien I-Track8, les personnes dépendantes aux opioïdes ont de plus en plus recours aux médicaments que nous leur prescrivons, et de moins en moins à l’héroïne. Évidemment, cela ne surprendra personne vu les révélations troublantes entourant l’OxyContin9. Les médecins qui prescrivent des narcotiques seraient donc devenus, en quelque sorte et à leur insu, des « pushers »!
Certes, personne ne viendra contester la nécessité d’avoir recours à de puissants analgésiques lorsque la douleur est intenable. Nous avons tous vu des patients souffrir épouvantablement et la plupart d’entre nous avons prescrit de puissants opioïdes dans l’espoir de les soulager. Là n’est pas la question. Toutefois, si l’on considère toute l’attention que nous accordons à la gestion de la douleur cancéreuse ou non, comparativement à celle que nous consacrons à la dépendance potentielle générée par les opioïdes que nous prescrivons, force est de reconnaître que beaucoup plus d’emphase est mise sur la première. Bien sûr, il existe des formations ciblées selon les besoins du milieu ou selon la prévalence loco-régionale de la narcomanie, mais, de façon générale, les programmes de formation pré-graduée ou post-graduée, et même les programmes de développement professionnel continu sont rares et sporadiques. Pas surprenant désormais qu’il y ait si peu de médecins de famille détenant un permis leur permettant de prescrire de la méthadone; dans certaines provinces, c’est à peine s’il y en a quelques dizaines6!
Pour une formation accrue
Sachant que l’origine du problème provient de plus en plus de la déviation des prescriptions que nous faisons, il est anormal qu’un médecin de famille sache comment contrôler la douleur, mais soit dépourvu quand vient le temps de gérer la dépendance induite par ces médicaments qu’il a lui-même prescrits.
Il est certainement temps d’y voir.
Footnotes
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This article is also in English on page 333.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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