
Il est possible de faire mieux. Pour ce faire, il ne faut pas forcément être un génie. Il faut être diligent. Il faut avoir un sens moral. Il faut être ingénieux. Et surtout, il faut avoir la volonté d’essayer.
Atul Gawande1 (traduction libre)
Beaucoup reste à faire pour réaliser la vision d’un système de santé efficace, équitable, sécuritaire et axé sur les patients. Lors d’une enquête menée récemment par le Commonwealth Fund, les médecins de famille canadiens n’étaient que 40 % à considérer que le système de santé canadien fonctionne bien2, au septième rang des pays étudiés. Il est facile de se sentir impuissant devant des systèmes et de jeter l’éponge.
Pourtant, comme le démontre si bien Atul Gawande dans son livre Better1, il n’est pas nécessaire de faire de grande découverte pour faire une différence. Selon l’auteur, il faut de la diligence, un sens moral et de l’ingéniosité. Atul Gawande donne l’exemple de Virginia Apgar et de LeRoy Matthews qui ont fait des contributions remarquables en proposant des gestes très simples, basés sur leurs observations. La première a mis au point au début des années 1950 un score qu’on utilise encore pour évaluer l’urgence d’intervenir médicalement chez un nouveau-né. Le second a défié le sombre pronostic des enfants souffrant de fibrose kystique du pancréas en demandant aux parents de « tapoter » le thorax de leurs enfants tous les matins afin de déloger le mucus tenace qui obstruait leurs bronches, de faire du clapping. Gawande conclut son livre en nous invitant à cultiver la capacité de faire une différence dans notre milieu en devenant des « déviants positifs ».
Le concept de déviance positive est apparu dans les années 1970 en nutrition, alors qu’on a observé que les enfants de certaines familles très défavorisées étaient tout de même bien nourris. La déviance positive est « une approche au changement social et comportemental basée sur l’observation que dans toute communauté, certaines personnes trouvent des solutions plus efficaces que leurs pairs à des problèmes restés sans solution, bien qu’ils soient confrontés aux mêmes défis et ne disposent pas de ressources ni de connaissances additionnelles » (traduction libre)3.
Depuis le début de ma présidence, j’ai fait la connaissance de plusieurs déviants positifs qui ont fait une différence dans leur communauté en refusant le statu quo et en croyant en la capacité de leur communauté à se mobiliser. Une de ces histoires concerne une population souvent démunie et un milieu de vie encore trop délaissé: celui des personnes âgées vivant dans des résidences et des centres de soins prolongés. Ce déviant positif, c’est le docteur Barry Clarke de Halifax, N.-É., et son projet est maintenant devenu un programme bien établi de la région de Capital Health: le programme Care by Design4. Le docteur Clarke a d’ailleurs reçu en novembre 2012 un prix d’excellence du Collège des médecins de famille de la Nouvelle-Écosse pour son travail. Comme plusieurs médecins, il était préoccupé par le transfert à la salle d’urgence de personnes vivant en centre de longue durée pour des problèmes aigus qui ne nécessitaient pas les services d’une urgence.
Le docteur Clarke a alors réuni une petite équipe et, avec le soutien de l’autorité de santé régionale de Capital District Health Authority, il a fait une étude de 240 transferts de centres de longue durée à une salle d’urgence4. Ils ont observé que dans 50 % des cas, le personnel de l’étage n’avait pas réussi à joindre le médecin du patient avant de le transférer. Avec son équipe, il a alors imaginé un système: plutôt que de laisser au hasard l’attribution d’un médecin de famille à un patient, il a proposé aux médecins d’adopter un étage pour faciliter la coordination des soins et l’établissement d’un système de garde prédictible. Depuis, le programme s’est développé et inclut, entre autres, des guides de pratique, des activités de formation continue et des mesures de performance pour soutenir l’amélioration continue de la qualité. Des chercheurs du Département de médecine familiale à Dalhousie University à Halifax se sont joints à l’équipe pour en faire une évaluation formelle.
Comment peut-on cultiver la capacité de devenir des déviants positifs? Atul Gawande suggère cinq choses: poser des questions inédites, ne pas se plaindre, compter quelque chose—observer un phénomène qui nous intéresse, écrire quelque chose, changer. C’est ce qu’a fait le docteur Clarke. Lorsque j’ai lu Better la première fois, le concept de déviance positive était plutôt théorique. Mais quand j’ai commencé à vous rencontrer et à rencontrer d’autres professionnels de la santé tout aussi engagés vis-à-vis de la qualité des soins, ce concept a pris forme. On ne sera pas tous des Virginia Apgar ou des LeRoy Matthews, mais on peut faire une différence. Il ne faut pas être un génie, il faut être diligent, ingénieux et tenace.
Acknowledgments
Je remercie Dr Barry Clarke qui a accepté de partager avec moi des informations sur le programme Care by Design.
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