Les besoins énergétiques de notre société deviennent problématiques. L’une des sources d’électricité, l’énergie nucléaire, dépend entièrement de l’uranium. De plus en plus, des médecins s’opposent à l’extraction de l’uranium. Durant les années 1980, Dr Robert Woollard, médecin de famille, a dirigé un groupe d’étude dont les travaux se sont conclus par un moratoire provincial sur les mines d’uranium en Colombie-Britannique1. À l’automne 2009 à Sept-Îles, au Québec, plus de 20 médecins ont menacé de s’en aller si on ouvrait une mine d’uranium à 13 km en amont de la collectivité où ils pratiquaient2. En 2010, l’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire adoptait une motion contre l’extraction de l’uranium3. Pourquoi des médecins s’opposeraient-ils aux mines d’uranium?
Profil toxicologique
L’uranium est un métal lourd qui a le potentiel de causer divers effets indésirables sur la santé, allant de l’insuffisance rénale à la diminution de la croissance osseuse en passant par des dommages à l’ADN4,5. Parce que l’uranium est à la fois toxique et radioactif, il est difficile d’évaluer les contributions relatives de chacune de ces caractéristiques à son profil toxicologique. Parmi les effets d’une radioactivité de faible intensité, on peut mentionner le cancer, la diminution de l’espérance de vie et des changements subtils dans la fertilité ou la viabilité des rejetons, comme en témoignent des études sur les animaux et des données sur les survivants d’Hiroshima et de Chernobyl6,7. Ces effets peuvent être retardés pendant des décennies ou encore des générations et ne sont pas détectés dans les études toxicologiques à court terme.
L’uranium est chimiquement toxique pour les tubules proximaux des reins, quoique les dommages soient réversibles, au moins durant les premiers stades8. Des taux de glucose plus élevés dans l’urine et de l’hypertension ont été signalés9. Une étude a conclu que l’exposition à l’uranium était faiblement associée à un fonctionnement altéré des tubules proximaux sans qu’on n’ait établi de seuils précis, ce qui laisse entendre que même des concentrations faibles d’uranium dans l’eau potable pourraient causer des effets néphrotoxiques10.
L’uranium est largement répandu sur l’écorce terrestre et, partout où il y a une interface entre un aquifère et le substrat rocheux, il pourrait y avoir une certaine quantité d’uranium dans l’eau. Le forage exploratoire ou l’extraction accroît l’exposition de l’eau à une contamination potentielle11.
Radioactivité de l’uranium
L’uranium est un émetteur de particules α, comme le sont bon nombre de ses produits de désintégration radioactifs, y compris le radon. Les particules α sont de grande masse (2 protons et 2 neutrons) et ne peuvent pas pénétrer la peau des humains. Par contre, lorsque de la matière particulaire contenant des émetteurs de particules α est inhalée ou ingérée, il en résulte une exposition interne au rayonnement. La carcinogénicité des émetteurs de particules α est indéniable. On attribue au radon jusqu’à 20 % des cas de cancer du poumon au Canada. Santé Canada a récemment abaissé le seuil permis de la présence de ce gaz dans les habitations canadiennes12.
Une étude portant sur des mineurs d’uranium tchèques et français concluait:
On a signalé un nombre excessif de cas de cancer du poumon, de fonction pulmonaire réduite et d’emphysème. On a principalement attribué cet excès à l’irradiation de l’épithélium trachéobronchique par des particules α émises durant la désintégration radioactive du radon et de ses produits dérivés13.
Des études canadiennes ont établi un lien entre le cancer du poumon chez des mineurs d’uranium et l’exposition au rayonnement14. Le radon est un produit de désintégration radioactif de l’uranium et il est présent partout où il y a de l’uranium. Malgré une meilleure gestion du risque que par le passé, le radon continue d’être un danger à la fois dans les mines et dans les habitations.
En plus des particules α, les produits de désintégration radioactifs de l’uranium pourraient émettre des particules β ou des rayons γ, qui ont tous 2 des effets indésirables sur les systèmes biologiques.
Extraction de l’uranium
Les méthodes employées pour extraire l’uranium au Canada sont les mines à ciel ouvert et les mines souterraines conventionnelles.
La concentration est effectuée près de la mine et elle consiste à écraser le minerai jusqu’à ce qu’il ait la consistance du sable fin. Au moyen de lavages avec des acides et des alcalins, on isole l’uranium sous forme de concentré de minerai ou yellowcake. On désigne sous le nom de résidus de concentration les 80 % à 99,6 % du minerai qui restent et qu’on entrepose dans des étangs de résidus ou des champs de confinement pour prévenir l’érosion par le vent et l’eau.
En plus des produits chimiques utilisés dans les lavages, les résidus toxiques de la concentration contiennent des minerais sulfurés, du molybdène, du sélénium, de l’arsenic et du mercure, et il y reste environ 85 % de la radioactivité du minerai original.
La Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) a approuvé des plans de gestion des déchets permanente et sécuritaire en cernant les résidus, en les couvrant d’une couche étanche de matériel semblable à de l’argile et d’une couche de terre et en y plantant des arbres et de l’herbe15.
Discussion
On peut classer les préoccupations sur les plans de la santé et de l’environnement relatives à l’extraction de l’uranium en fonction des catégories suivantes:
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la santé et la sécurité des mineurs et des mines;
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la santé et la sécurité des personnes dans l’entourage immédiat qui pourraient être affectées par une émission de radioactivité provenant des résidus ou de leurs bassins de confinement;
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la santé mondiale et les effets environnementaux d’un rayonnement naturel et d’une contamination de l’eau à la hausse.
La santé des mineurs et les effets sur l’environnement immédiat de la mine sont surveillés par les entreprises en cause, sous la supervision de la CCSN. Des inquiétudes à propos de la liberté de la CCSN d’agir indépendamment du gouvernement et de l’industrie ont été mises en évidence lors du congédiement de la présidente de la Commission par le gouvernement fédéral lorsqu’elle a mis en application les directives relatives à la sécurité et a fait fermer le réacteur de Chalk River en Ontario16. Il est préoccupant de savoir que les normes en matière de santé peuvent être établies par des physiciens et des industries, en fonction de la convenance financière et technologique, plutôt que par des personnes formées en santé et en sécurité publique et engagées à les protéger.
Des questions d’ordre politique ont nui à la gestion du déclassement et des résidus. Près de Bancroft et Haliburton, en Ontario, le sort d’environ 5 millions de tonnes de résidus d’uranium a été laissé dans un vide juridique lorsque l’uranium est devenu de compétence fédérale en 197717. Ce n’est qu’à la suite des pressions incessantes de groupes de citoyens qu’ont commencé certains des travaux de décontamination. Pour les mines plus anciennes, ni les gouvernements ni les compagnies n’ont mis de côté des fonds suffisants pour leur gestion à long terme.
Les dangers de l’extraction de l’uranium pour les populations avoisinantes n’ont pas fait l’objet d’études, en partie parce que ces mines étaient habituellement situées en régions éloignées et peu populeuses. Parce que les gisements plus riches en minerais sont épuisés, les compagnies explorent maintenant des dépôts marginaux, souvent dans des régions plus habitées (comme dans la vallée de l’Outaouais, près de Sharbot Lake, en Ontario, ou en amont de Sept-Îles, au Québec).
Il est inquiétant de constater l’absence de plan au Canada pour surveiller l’uranium dans l’eau potable près des sites d’exploration et d’extraction. Il n’y a pas de plan pour transiger avec les effets de l’activité minière sur l’agriculture ou les populations résidentielles. L’uranium colle au sol et peut être absorbé par les produits maraîchers et les cultures fourragères18. Il est surprenant de constater la rareté des études sur les effets à long terme de l’ingestion d’uranium chez l’humain.
La contamination produite par les activités d’extraction de l’uranium persistera pendant des générations. La poussière emportée des sites par le vent et les quantités abondantes d’eau utilisées pour contrôler la poussière et extraire l’uranium contiennent toutes des radio-isotopes à longue durée de vie, qui sont disséminés dans l’environnement. Dans les résidus, le thorium 230 se désintègre pour produire du radon. Avec une demi-vie de 76 000 ans, il produira ce gaz pendant des millénaires. Dans l’atmosphère, le radon se désintègre en polonium, en bismuth et en plomb solides radioactifs qui pénètrent dans l’eau, les récoltes, les arbres, le sol et les animaux, y compris les humains.
Dans les formations de roc intactes, le gaz radon est largement emprisonné dans le roc durant sa désintégration. Dans les résidus finement broyés, il a de multiples voies d’accès vers la surface et l’atmosphère. Les plantations par-dessus les résidus résulteront en une absorption de substances radioactives par la végétation qui, dans le cycle habituel de la croissance et de la pourriture, se déposeront à la surface.
Les effets de toutes ces sources de contamination sur la santé des êtres humains seront subtils et largement répandus et, par conséquent, difficiles à détecter tant cliniquement que sur le plan épidémiologique. On peut s’attendre à voir une augmentation de l’incidence des cancers, des problèmes de fertilité et des anomalies congénitales en raison du rayonnement naturel à la hausse.
Les effets génétiques chez l’humain ont clairement été démontrés. Une étude de cohorte auprès d’une population en Inde exposée à de forts niveaux de rayonnement ambiant naturel a démontré des incidences accrues du syndrome de Down et des anomalies congénitales autosomiques dominantes19. Des effets transmis à travers des générations ont été démontrés chez des espèces non humaines qui ont en commun avec les humains de nombreuses voies biochimiques7,20. Nous nous demandons si notre fardeau grandissant de cancers, de déficiences intellectuelles et de maladies du métabolisme ne serait pas attribuable à un environnement de plus en plus radioactif.
Enfin, les utilisations ultimes de l’uranium, autant dans les armes nucléaires que dans la production d’énergie nucléaire, soulèvent des questions d’éthique. Les dérivés de l’industrie de l’énergie nucléaire, notamment l’uranium et le plutonium enrichis et appauvris, sont utilisés dans les armes, ce qui met en évidence le problème de la prolifération. Les armes nucléaires sont uniformément destructives et illégales selon la Cour internationale de Justice21. Dans la production d’énergie nucléaire, les barres de combustible produisent jusqu’à 18 mois d’énergie mais laissent des déchets bien plus radioactifs et toxiques que l’uranium naturel, et préservent leur radioactivité et leur toxicité pendant des millénaires.
Conclusion
L’extraction de l’uranium a des effets de vaste envergure en contaminant l’environnement avec de la poussière radioactive, du radon, des toxines contenues dans l’eau et des degrés accrus de rayonnement naturel.
L’exploitation de l’uranium est la première étape dans la production de l’énergie et des armes nucléaires. Les centrales nucléaires produisent systématiquement des émissions radioactives dans l’air et l’eau, des déchets nucléaires, et elles créent les conditions propices à des désastres semblables à ceux de Chernobyl et Fukushima.
Les médecins devraient s’inquiéter des effets sur la santé du continuum de l’uranium. En tant que promoteurs de la santé de nos patients, nous avons le devoir d’exercer des pressions pour avoir un environnement dépourvu de déchets radioactifs et d’insister pour que des représentations soient faites auprès des décideurs politiques et des responsables de l’environnement dans les cas où la santé pourrait être affectée. Nous devrions réclamer des études-repères sur la santé lors de l’établissement des futurs sites d’extraction d’uranium. Nous devrions exiger des projets de recherche financés de manière indépendante sur les effets de l’uranium et de tous les radionucléides sur la santé.
L’air et l’eau n’ont pas de frontières; l’introduction de radio-isotopes à longue durée de vie n’importe où dans l’environnement affecte éventuellement la santé de chacun.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the May 2013 issue on page 469
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Intérêts concurrents
Dre Dewar a préparé un exposé au nom de la Saskatchewan Medical Association pour le panel d’experts du Uranium Development Partnership en 2008. Elle a des fonds investis dans l’industrie de l’extraction de l’uranium dans le cadre de son régime de retraite et elle est directrice générale des Médecins pour la survie mondiale.
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Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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