Les médecins de famille canadiens peuvent s’attendre à voir un nombre accru de patients ruraux qui se plaignent d’effets indésirables causés par des éoliennes industrielles (EI). Les personnes qui vivent ou travaillent à proximité des EI ont éprouvé des symptômes, y compris une moins bonne qualité de vie, de l’inconfort, du stress, des troubles du sommeil, des maux de tête, de l’anxiété, de la dépression et une dysfonction cognitive. Certaines ont aussi ressenti de la colère, de la détresse ou un sentiment d’injustice. Parmi les causes suggérées, on peut mentionner une combinaison de bruits provenant des éoliennes, d’infrasons, d’électricité sale, de courant tellurique et d’effet stroboscopique1. Les médecins de famille devraient être conscients que les patients qui signalent des effets indésirables des EI peuvent éprouver des symptômes qui sont intenses et envahissants et pourraient se sentir encore plus victimisés si leurs professionnels de la santé ne les comprennent pas.
Renseignements contextuels
On s’inquiète de plus en plus que la production d’énergie à partir de combustibles fossiles contribue au changement climatique et à la pollution atmosphérique. En réponse à ces préoccupations, les gouvernements de nombreux pays dans le monde encouragent l’implantation de projets d’énergie renouvelable, y compris des EI. En Ontario, la Loi sur l’énergie verte avait pour but, entre autres, d’éliminer les obstacles à l’installation d’EI2. La règlementation sur le bruit peut constituer un empêchement majeur au développement des EI, car elle a des répercussions importantes sur l’espacement entre les éoliennes et, par conséquent, sur le coût de l’électricité produite par le vent3. Les éoliennes industrielles sont placées à proximité des maisons familiales afin d’avoir accès aux infrastructures de transmission4.
En Ontario et ailleurs5, certaines personnes ont dit avoir éprouvé des effets négatifs sur leur santé parce qu’elles habitaient près d’EI. Les rapports d’effets indésirables sur la santé dus aux EI ont été bafoués par certains commentateurs, y compris des représentants des gouvernements et d’autres organisations. Les médecins ont été exposés aux efforts pour convaincre la population des bienfaits des EI tout en minimisant les risques pour la santé. On a stéréotypé les personnes qui s’inquiètent des effets indésirables des EI comme étant des «pas dans ma cour»6,7.
Rapports des effets sur le plan international
Au cours des dernières années, on a signalé des cas d’effets indésirables. Un groupe de travail de l’Académie Nationale de Médecine en 2006 rapportait que le bruit était la plainte exprimée le plus fréquemment. Le bruit est décrit comme étant perçant, préoccupant et continuellement surprenant, car il est d’intensité irrégulière. Ce bruit comporte des grattements et des sons incongrus qui distraient l’attention ou dérangent le repos. La récurrence spontanée de ces bruits interrompt le sommeil, réveillant soudainement la personne lorsque le vent s’élève et l’empêchant de se rendormir. On a blâmé les éoliennes pour d’autres problèmes éprouvés par des personnes vivant à proximité. Ces malaises sont moins précis et moins bien décrits et comportent des manifestations subjectives (maux de tête, fatigue, sensations temporaires d’étourdissement, nausée) et parfois objectives (vomissements, insomnie, palpitations)8.
Une synthèse critique des ouvrages spécialisés en 2009 produite par le Minnesota Department of Health9 a résumé des exposés de cas par Harry (2007)10, Phipps et collaborateurs (2007)11, le Large Wind Turbine Citizens Committee for the Town of Union (2008)12 et Pierpont (2009)13. Ces études de cas cataloguaient les plaintes d’inconfort, de moins bonne qualité de vie et les effets sur la santé associés aux EI, comme l’insomnie et les maux de tête9.
En 2010, Nissenbaum et ses collèges ont utilisé des questionnaires validés dans une étude contrôlée sur 2 projets d’énergie éolienne dans le Maine. Ils ont conclu que les émissions de bruit des EI dérangeaient le sommeil et causaient une somnolence diurne et une santé mentale détériorée chez les résidants qui vivaient à l’intérieur d’un périmètre de 1,4 km des 2 installations à l’étude14.
On a aussi documenté des effets indésirables sur la santé15 et une moins bonne qualité de vie16 causés par des projets d’EI en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Dans une résolution du conseil de la santé du comté de Brown au Wisconsin en 2012, les autorités ont officiellement demandé une assistance financière pour la relocalisation de familles souffrant d’effets néfastes sur la santé et de difficultés indues causés par l’installation irresponsable d’EI près de leurs domiciles et de leurs propriétés17.
Un sondage sur la santé, appelé WindVOiCe et rempli par les intéressés dans des communautés ontariennes, révélait que les symptômes déclenchés par les EI les plus souvent signalés étaient une qualité de vie altérée, des troubles du sommeil, une fatigue excessive, des maux de tête, du stress et de la détresse. Parmi les autres effets rapportés, on peut mentionner des migraines, des problèmes d’audition, l’acouphène, des palpitations cardiaques, de l’anxiété et de la dépression18. En outre, on a rapporté de moins bonnes conditions de vie et des effets socioéconomiques néfastes. Dans certains cas, les effets étaient assez graves pour que des personnes en Ontario abandonnent leurs maisons ou concluent des ententes financières avec des développeurs d’éoliennes19.
Après avoir pris en compte les données probantes et les témoignages de 26 personnes, un tribunal d’examen environnemental en Ontario a reconnu dans une décision en 2011 que les EI peuvent nuire à la santé humaine:
Ce dossier a réussi à démontrer que le débat ne devrait pas être simplifié à la simple question de savoir si les éoliennes peuvent nuire à la santé des êtres humains. Les éléments de preuve présentés au Tribunal établissent cette possibilité, si les installations sont situées à trop grande proximité des résidants. Le débat a maintenant évolué et porte désormais sur la question de savoir dans quelle mesure elles sont nuisibles20.
Effets indirects et nuisance
Quand on évalue les effets indésirables des EI, il importe de tenir compte de ce qu’est la santé humaine. L’Organisation mondiale de la Santé définit la santé comme un «état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité»21.
Quoiqu’elle soit largement acceptée, la définition de la santé par l’OMS est fréquemment ignorée quand on évalue les effets sur la santé des EI. On a produit des synthèses critiques des ouvrages qui commentent les effets sur la santé des EI mais elles varient sur les plans de l’exactitude, de l’objectivité et de l’intégralité22. Certains de ces commentateurs acceptent que les effets sur la santé des EI signalés sont plausibles et reconnaissent que le bruit et l’apparence visuelle pourraient causer des dérangements, du stress ou des troubles du sommeil, susceptibles d’avoir d’autres conséquences. Par ailleurs, on écarte souvent du revers les effets sur la santé des EI parce qu’il n’a pas été établi qu’elles avaient des effets pathologiques directs ou des liens de cause à effet. En 2010, le médecin hygiéniste en chef de la Santé de l’Ontario a publié un rapport intitulé Répercussions possibles des éoliennes sur la santé qui reconnaissait que certaines personnes vivant près des éoliennes ont rapporté des symptômes comme des étourdissements, des maux de tête et des troubles du sommeil mais a conclu que «les observations scientifiques disponibles à ce jour n’établissent pas de lien causal direct entre le bruit des éoliennes et les effets nuisibles sur la santé»23. L’auteure principale du rapport23, Dre Gloria Rachamin, a admis sous serment que la synthèse critique ne s’était penchée que sur les liens directs avec la santé humaine24.
En ne se concentrant que sur les liens causaux «directs», on limite la discussion à une petite tranche des effets potentiels des EI sur la santé. Une décision d’un tribunal d’examen environnemental en 2011 mentionnait que les préjudices sérieux à la santé humaine incluaient les impacts indirects (p. ex. une personne exposée au bruit qui manifeste ensuite du stress et développe d’autres symptômes connexes)20.
Selon les directives sur le bruit nocturne en Europe :
Des expériences physiologiques chez l’humain ont démontré que le bruit d’une intensité modérée agit par l’intermédiaire d’une voie indirecte et a des effets sur la santé semblables à ceux causés par voie directe par l’exposition à des bruits forts. La voie indirecte commence par la perturbation d’activités comme la communication et le sommeil induite par le bruit25.
Pierpont a documenté les symptômes signalés par des personnes exposées aux éoliennes, notamment des troubles du sommeil, des maux de tête, de l’acouphène, une pression dans les oreilles, des étourdissements, le vertige, des nausées, un brouillement de la vision, la tachycardie, l’irritabilité, des problèmes de concentration et de mémoire, des épisodes de panique associés à des sensations de pulsation interne ou de frémissement en état d’éveil ou de sommeil13. L’American Wind Energy Association et l’Association canadienne de l’énergie éolienne ont mandaté des experts pour la réalisation d’une synthèse critique dont les conclusions font valoir que ces symptômes sont les effets bien connus de l’exposition au bruit ou, autrement dit, un sous-ensemble de réactions à l’inconfort26.
Le dérangement induit par le bruit est reconnu comme un effet nocif sur la santé27–30. On devrait catégoriser le dérangement grave chronique par le bruit comme un risque sérieux pour la santé31. Selon les directives de l’OMS sur le bruit dans l’environnement, la capacité d’un bruit de déclencher un inconfort dépend de bon nombre de ses caractéristiques physiques, notamment le degré de pression sonore et ses caractéristiques spectrales, ainsi que les variations de ces propriétés avec le temps32. Le bruit des éoliennes industrielles est perçu comme étant plus dérangeant que celui produit par les moyens de transport ou les bruits industriels à des niveaux comparables de pression sonore33. La modulation de l’amplitude34, le bruit audible à basse fréquence35, le bruit tonal, les infrasons36 que produisent les éoliennes industrielles et l’absence de réduction durant la nuit ont été identifiés comme des caractéristiques plausibles du bruit qui pourraient causer de l’inconfort et d’autres effets sur la santé.
Effets sur la santé prévus en Ontario
Des études fondées sur des données probantes concernant la santé n’ont pas été réalisées pour déterminer les distances adéquates et les niveaux de bruits acceptables pour l’établissement des EI avant la mise en œuvre de la politique ontarienne sur l’énergie renouvelable. De plus, on n’a prévu aucune mesure de surveillance et de vigilance. Il est maintenant évident que les règlements ne sont pas suffisants pour protéger la santé de toutes les personnes exposées.
Un rapport produit en 2010 à la demande du ministère de l’Environnement de l’Ontario concluait ce qui suit:
On s’attend néanmoins à ce que le bruit audible provenant des éoliennes, aux niveaux perçus à des distances typiques de réception en Ontario, provoque le dérangement d’un pourcentage non trivial de personnes… La recherche a démontré que le dérangement associé au bruit des éoliennes pourrait sans doute contribuer à des impacts sur la santé reliés au stress chez certaines personnes37.
Par conséquent, les médecins verront probablement des patients qui signalent de tels effets sur leur santé.
Les médecins de famille devraient être conscients que les patients qui rapportent des effets nuisibles causés par des EI peuvent éprouver des symptômes intenses et envahissants et se sentir encore plus victimisés s’ils sont mal compris par leur médecin. Ceux qui sont affectés négativement par les EI pourraient avoir exploré d’autres avenues pour atténuer ces inconvénients mais ont connu un succès mitigé ou un échec. Il sera important d’identifier la possibilité d’une exposition aux EI lorsque des patients se présentent avec des symptômes cliniques appropriés38.
Conclusion
Les éoliennes industrielles peuvent nuire à la santé humaine si elles sont situées trop près des résidants. On peut éviter ces préjudices si on installe les EI à une distance suffisante des humains. En raison de l’absence de directives adéquates sur l’emplacement sécuritaire, on peut s’attendre à ce que les personnes exposées aux EI consultent leurs médecins de famille en nombre grandissant. Parmi les symptômes documentés, on peut mentionner les maladies typiques des troubles du stress qui agissent par l’intermédiaire de voies indirectes et peuvent constituer des préjudices sérieux pour la santé humaine. Les médecins de famille sont bien placés pour reconnaître efficacement ces malaises et y répondre avec empathie. De plus, on aurait besoin de toute urgence de leurs contributions aux études cliniques pour clarifier la relation entre l’exposition aux EI et la santé humaine et éclairer la règlementation pour protéger le bien-être physique, mental et social.
Footnotes
-
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the May 2013 issue on page 473.
-
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
-
Intérêts concurrents
Dr Jeffery, Mme Krogh et M. Horner siègent au Conseil d’administration de la Society for Wind Vigilance, une fédération internationale de médecins, acousticiens, ingénieurs et autres professionnels qui échangent des résultats de recherche sur la santé et les éoliennes.
-
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada