
Au cours des dernières années, nous avons assisté à une croissance phénoménale de la santé en ligne, communément appelée « e-santé ». Non seulement, la plupart de nos patients ont maintenant accès à l’informatique, mais bon nombre consultent les divers sites qui s’y consacrent et réussissent souvent à trouver réponse aux questions qui nous étaient traditionnellement dévolues1. De telle sorte qu’il n’est pas rare, de nos jours, de recevoir un patient qui, suite aux lectures qu’il a faites sur Internet, en sache pratiquement autant que nous sur un problème de santé qui le concerne. À plus forte raison s’il s’agit d’une condition grave pour laquelle la médecine semble dépourvue. Qui n’a pas reçu un patient aux prises avec une maladie débilitante—un cancer avancé, une sclérose latérale amyotrophique, une maladie de Parkinson—ayant découvert sur Internet les résultats d’un nouveau traitement prometteur et inédit? Regardez l’engouement des patients atteints de la sclérose en plaques pour la technique de Paolo Zamboni, laquelle visait à traiter une éventuelle insuffisance vasculaire céphalorachidienne chronique. De nombreux patients sont allés se faire installer des endoprothèses ailleurs qu’au Canada, alors même que les évidences scientifiques démontrant les bienfaits de cette intervention faisaient défaut, et que la plupart de médecins n’en avaient jamais encore entendu parler. C’est fort compréhensible: vous et moi ferions sans doute la même chose si nous étions atteints d’une maladie grave ou fatale.
Patient savant
Ainsi, en quelques années, nous sommes passés du « patient patient », au « patient impatient », au « patient partenaire » pour aboutir au « patient savant »2. Ce qui fait que quiconque parcourt aujourd’hui le web à la recherche d’un espoir a toutes les chances de trouver ce qu’il recherche désespérément, que ce soit l’utilisation des cellules souches pour régénérer le muscle cardiaque après un infarctus du myocarde, un traitement pour l’arthrose ou la maladie d’Alzheimer ou bien l’utilisation des thérapies géniques pour traiter la leucémie ou la mucoviscidose. En réalité, de nos jours, tous les espoirs semblent permis. Comment ne pas imaginer, comme certains le clament3, que nous en soyons à « la mort de la mort »?
Évidemment, certains pourront toujours opiner que l’on trouve de tout sur Internet: du bon comme du mauvais. Mais avec l’émergence de sites relevant directement de grands organismes sanitaires, comme Choices du National Health Service au Royaume-Uni4, Doctissimo5 et Health On the Net Foundation6, force est de reconnaître que l’information que l’on trouve sur ces sites est, plus souvent qu’autrement, crédible et valide.
Le médecin de famille et la e-santé
Ce qui nous amène à nous questionner sur le rôle du médecin de famille face à l’émergence de la santé en ligne. Comment un médecin qui n’est l’expert d’aucune de ces maladies en particulier, et encore moins de leurs traitements spécifiques, peut-il être encore utile? Que sait-il des thérapies géniques, des cellules souches ou des thérapies cellulaires, personnalisées et sur mesure? Comment un médecin de famille qui s’efforce de dispenser des soins globaux et continus, à l’opposé de la médecine spécialisée et ultra-spécialisée, peut-il encore aider?
Peut-être sommes-nous à l’aube de la disparition du médecin de famille tel que nous l’avons toujours connu? Et que parallèlement, les programmes de compétences avancées en médecine familiale continueront à se répandre et à proliférer à toute vitesse, chacun d’entre nous devenant un « mini-spécialiste » dans des champs d’exercice délimités et exclusifs. Et que les soins de santé deviendront un ensemble de moments morcelés de plus en plus fragmentés.
Peut-être, au contraire, demeurerons-nous les seuls à pouvoir offrir des soins globaux, complets et continus? Les seuls capables d’aider, d’orienter et de conseiller. Les seuls capables de donner l’heure juste. Les seuls capables de s’y retrouver dans cette babélisation des connaissances que nous offre la e-santé.
L’avenir saura bien nous le dire.
Footnotes
-
This article is also in English on page 813.
-
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada