Des cendres du bûcher érigé par des soins médicaux hautement spécialisés, déshumanisés et commercialisés, surgit la médecine familiale comme un phénix, et s’envole, déployant son spectre complet de lumière, avec la promesse d’un arc-en-ciel.
—Margaret Chan, chef de la direction de l’OMS (traduction libre)1
C’est par ces mots que la docteure Margaret Chan concluait la conférence d’ouverture du congrès mondial de la World Organization of Family Doctors (WONCA) qui s’est tenu en juin à Prague, République tchèque. Une conclusion qui peut paraître trop dramatique à certains, mais qui pour moi a été très inspirante, car elle arrivait à propos après que la docteure Chan a dressé le portrait des enjeux auxquels tous les systèmes de santé sont confrontés et de la contribution essentielle de la médecine familiale1. Pour moi, le congrès de la WONCA a été une expérience marquante, car il m’a permis d’échanger avec des médecins de famille du monde entier et de réaliser combien notre discipline est en voie d’expansion dans presque tous les pays. Mais surtout, il a été l’occasion de constater que nous partageons des expériences communes malgré des contextes culturels et éducationnels très variés, du Kazakhstan à Montréal. Même si nous nous appelons de façons différentes—médecin de famille, généraliste, médecin de première ligne—et que nos pratiques diffèrent, l’essentiel de notre travail est le même. Les quatre principes de la médecine familiale sont universels. Plusieurs questions ont alors surgi. Ne minimisons-nous pas nous-mêmes l’importance de notre contribution? À quoi tient le caractère unique de notre contribution?
Selon moi, nous devons notre contribution unique non seulement à nos qualités de communicateur, de collaborateur et de gestionnaire, mais aussi, et surtout à l’étendue de notre expertise clinique. C’est parce qu’il est un clinicien exceptionnel que le médecin de famille mérite la place de quart-arrière du système de santé. Les relations que nous développons avec nos patients et la continuité des soins que nous assurons font de nous les cliniciens que nous sommes. Ces relations nous permettent de poser des diagnostics plus rapidement et avec moins d’investigation; d’aller plus rapidement à un traitement spécifique; de toucher plus rapidement la fibre sensible de nos patients qui leur permettra de se mobiliser face à leur santé2. La relation et la continuité sont au cœur de notre travail, mais comme Freeman et coll3, je crois que la connaissance intime du patient qui se développe au fil des ans est le résultat de l’étendue de notre champ de pratique, qui fait de nous le professionnel capable d’apporter une réponse à la majorité des problèmes de santé que présentent nos patients.
Le plus fascinant est que tout ceci se passe dans une consultation de quinze minutes sans que rien de ce processus intellectuel sophistiqué paraisse. Après les salutations d’usage, nous posons une question en apparence banale comme « Comment allez-vous depuis la dernière fois que nous nous sommes vus? » ou « Que puis-je faire pour vous aujourd’hui? » dont la réponse est déjà riche en information pour nous. Nous posons ensuite quelques questions ciblées, dont seul un observateur averti comprend la valeur diagnostique ou pronostique—la sensibilité et la spécificité; jetons un regard furtif sur le dossier pour les derniers résultats d’examens; et nous complétons avec un examen physique dont plusieurs des gestes semblent parfois relever plus du chamanisme que de la technologie médicale. Toutes ces données sont alors analysées à la lumière de ce tout ce que nous savons de l’histoire de vie de cette personne et des épisodes antérieurs de maladie. En quinze minutes, nous avons évalué comment évoluent les deux ou trois problèmes chroniques de santé dont souffre le patient et jugé de la gravité d’un nouveau problème ou de l’urgence d’intervenir. Nous avons une bonne idée non seulement de la nature du problème, mais aussi de son impact dans la vie de cette personne. Cette démarche clinique qui caractérise notre travail a été illustrée de façon puissante par la cinéaste suisse, Sylviane Gindrat, qui a suivi six médecins de famille au cours de leur travail quotidien. Ces trois films, intitulés Du côté des médecins, ont aussi été présentés à WONCA et sont disponibles sur le Web (www.ducotedesmedecins.ch).
Tous ces échanges avec des médecins de famille venus de tous les horizons ont fait surgir plusieurs questions chez l’enseignante que je suis. Perdons-nous de vue l’essentiel en nous attardant autant à l’enseignement des guides de pratiques cliniques? Notre façon d’enseigner l’art de la relation médecin-patient et l’importance de la continuité des soins rend-elle explicite la contribution unique de ces deux caractéristiques fondamentales de la médecine familiale à notre travail clinique quotidien? Transmettons-nous à nos étudiants la compréhension profonde de leur valeur? Mettons-nous assez de l’avant l’enseignement de l’expertise clinique qui nous distingue? Alors que nous implantons le Cursus Triple C, il me semble qu’on ne doit pas perdre de vue que le rôle fondamental de tout enseignant est d’être inspirant et de permettre à l’étudiant de développer les motivations profondes qui lui permettront de réaliser pleinement le plein potentiel de sa profession.
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