M. J.K. est un homme de 65 ans atteint d’un cancer du poumon non à petites cellules au stade IV chez qui on a récemment diagnostiqué des métastases au cerveau. Il y a un mois, il a subi une radiothérapie du cerveau entier. Il prend une faible dose quotidienne de dexaméthasone (4 mg), de laquelle il est sevré peu à peu après sa radioexposition. Aujourd’hui, M. J.K. consulte son médecin parce que la nuit dernière, sa conjointe a observé chez lui des mouvements tonico-cloniques au bras gauche qui ont duré 3 minutes.
Les crises épileptiques dans le contexte des soins palliatifs peuvent se produire dans 13 % des cas1,2. Environ 25 % à 50 % des patients en soins palliatifs chez qui se développe une activité épileptique ont des métastases au cerveau2,3. Au nombre des patients qui ont une tumeur primaire au cerveau, de 20 % à 45 % auront un diagnostic de convulsions3 et un plus grand nombre encore feront des crises épileptiques à mesure que progresse le cancer. Il est intéressant de souligner que les cancers primaires du cerveau à progression lente, comme l’oligodendrogliome et les astrocytomes de bas grade, ont tendance à produire plus souvent des crises épileptiques, ayant une prévalence de 70 % à 100 %, à l’encontre des glioblastomes plus agressifs dont la prévalence varie entre 10 % et 20 %3,4. On a aussi constaté que chez la femme, le risque de présenter des crises épileptiques est 2 fois plus grand4 et que chez les enfants atteints de cancer, l’incidence de l’activité épileptique2 est plus élevée que chez les adultes souffrant de la maladie.
Les crises épileptiques peuvent être causées par des dommages structuraux au cerveau ou par une insulte systémique au cerveau. Les dommages structuraux peuvent être dus aux tumeurs primaires, aux métastases, à des abcès, au syndrome de la leucoencéphalopathie postérieure réversible, à une encéphalite limbique paranéoplasique ou à une nécrose par radioexposition. Parmi les causes systémiques se trouvent l’hypoxie, l’hypoglycémie, l’hyperglycémie, l’hyponatrémie (p. ex. dans le syndrome de la sécrétion inappropriée d’hormones antidiurétiques), l’hypernatrémie, de faibles taux de magnésium, l’hypocalcémie, l’hypercalcémie, l’urémie et l’insuffisance hépatique, ainsi que divers médicaments, dont l’ondansétron, les antipsychotiques et les agents chimiothérapeutiques1,2, soit en raison de leur effet épileptogène ou en abaissant le seuil épileptogène.
On classe les crises épileptiques en fonction de la zone de leur origine dans le cerveau. Le Tableau 1 présente la nomenclature des crises épileptiques. Un état de conscience altéré peut se présenter comme une perte de contact avec l’entourage ou un comportement irrationnel et automatique comme des mouvements rythmiques des doigts et des lèvres ou se déshabiller. Chaque fois qu’une crise épileptique s’accompagne d’une perte de conscience, il s’ensuivra un état post-critique pouvant inclure de la somnolence, de la confusion ou une céphalée qui peut durer quelques heures.
Classification des types de crises épileptiques
Anamnèse et examen physique
M. J.K. ne signale aucun changement récent dans ses médicaments, sauf la réduction de la dexaméthasone au cours des 2 dernières semaines et l’ajout d’agents hypoglycémiques il y a 3 semaines en raison d’une intolérance au glucose qu’il a développée depuis qu’il prend des stéroïdes. Il a moins d’appétit depuis les derniers 14 jours. Il a eu une certaine parésie du côté gauche, qui a précédé le diagnostic des tumeurs cérébrales, mais elle ne semble pas s’être aggravée depuis la nuit dernière. Cette constatation est confirmée à l’examen physique.
Lorsqu’un patient fait une crise épileptique, une anamnèse et un examen physique sans délais sont utiles pour en déterminer la cause. On peut soupçonner une cause structurelle s’il y avait une aura avant la crise, si la crise était focale, s’il y avait révulsion oculaire durant la crise ou si l’examen physique révèle des constatations neurologiques focales. Ces dernières constatations neurologiques peuvent disparaître quelques heures après la survenance de la crise. Il faudrait examiner les médicaments du patient; par exemple, il faut déterminer si le patient prend des médicaments qui baissent le seuil épileptogène, s’il fait l’objet d’un sevrage des benzodiazépines, de l’alcool ou des stéroïdes, ou encore s’il prend des doses sous-thérapeutiques d’anticonvulsifs. Rarement, un patient pourrait développer une neurotoxicité grave induite par les opioïdes accompagnée de convulsions. Des investigations pourraient s’imposer; une formule sanguine complète et une investigation biochimique pourraient révéler d’autres anomalies potentiellement réversibles. On peut faire une culture du liquide céphalorachidien pour détecter des causes infectieuses et procéder à un examen cytologique2. Des investigations radiologiques, comme une tomographie par ordinateur avec agent de contraste ou préférablement l’imagerie par résonance magnétique du cerveau, pourraient révéler une masse antérieurement insoupçonnée, une maladie leptoméningée, la progression des tumeurs cérébrales ou un AVC ischémique ou hémorragique. Certains AVC sont secondaires à des complications du cancer ou de ses traitements (états d’hypercoagulation ou d’hypocoagulation, embolisation des cellules tumorales, occlusion des artères cérébrales, etc.)1,2. Il s’impose de faire un électroencéphalogramme si on soupçonne une activité épileptique subtile; par ailleurs, des résultats normaux de l’électroencéphalogramme n’excluront pas complètement un tel diagnostic1. Les investigations pourraient révéler plus d’une cause de la crise épileptique1.
Prophylaxie
On ne recommande pas de prophylaxie anticonvulsive chez les patients atteints de tumeurs au cerveau, qu’elles soient primaires ou métastasiques, si le patient n’a jamais eu de crises épileptiques. C’est parce que le risque de développer des convulsions est relativement rare avec la plupart des tumeurs et que le fardeau des effets secondaires des antiépileptiques (interactions médicamenteuses, sédation, déficience cognitive, etc.) est potentiellement considérable. Cependant, les métastases au cerveau causés par un mélanome, un choriocarcinome, un carcinome des cellules rénales, un cancer papillaire thyroïdien ou un cancer des testicules pourraient y faire exception, car ces cancers présentent des risques plus élevés de causer des crises épileptiques en raison de leurs risques accrus d’hémorragie1,5. Une petite étude par Forsyth et ses collègues4 n’a pas cerné de bienfaits à administrer une prophylaxie contre les crises épileptiques, parce que les patients avaient quand même des convulsions en raison de la progression de la tumeur ou de doses sous-thérapeutiques d’anticonvulsifs dans la même mesure que les patients qui n’en prenaient pas. Les patients devraient prendre de la dexaméthasone avant, durant et immédiatement après une radiothérapie cérébrale pour prévenir l’œdème secondaire à une toxicité aiguë de la radioexposition, qui pourraient autrement provoquer des crises épileptiques1.
Traitement
Le traitement des crises épileptiques variera selon la fréquence des épisodes convulsifs, la durée de chaque épisode et la présence ou non d’une cause réversible. De fait, une première crise épileptique ayant une cause réversible n’exige pas d’anticonvulsifs à long terme. D’autre part, un premier épisode de crise épileptique chez un patient ayant une lésion cérébrale exigerait l’amorce d’anticonvulsifs à long terme. Lorsque cette lésion est une tumeur cérébrale connue (primaire ou métastasique) et qu’aucune autre cause réversible de l’activité épileptique n’a été identifiée, l’instauration ou l’augmentation de la dose d’un stéroïde, comme la dexaméthasone, devrait être envisagée comme traitement de première intention accompagné d’un traitement anticonvulsif à long terme5,6. Si la tumeur cérébrale, qu’elle soit primaire ou secondaire, peut être excisée chirurgicalement, on peut procéder au sevrage progressif des anticonvulsifs après la chirurgie5.
Si les patients ont besoin d’anticonvulsifs à long terme mais qu’ils sont candidats à une chimiothérapie additionnelle, il faut alors envisager l’amorce de médicaments contre les crises épileptiques qui ont peu de risque d’interactions avec les agents de chimiothérapie. Parmi ceux-ci, on peut mentionner le lévétiracétam, la gabapentine, la lamotrigine, le topiramate et la prégabaline, étant donné qu’ils n’induisent pas d’activité des cytochromes P4502. Les médicaments qui induisent la production d’enzymes à éviter incluent la phénytoïne, le phénobarbital, la carbamazépine, l’oxcarbazépine et le topiramate2.
Le Tableau 23,5 présente les anticonvulsifs habituellement prescrits pour les crises épileptiques partielles ou généralisées. Le Tableau 33,5 indique les doses de départ, les doses thérapeutiques et les effets secondaires de ces anticonvulsifs. Pour les patients mourants, il faudra changer la voie d’administration de leurs anticonvulsifs habituels lorsque la voie orale ne sera plus possible; alors, les choix sont d’administrer les médicaments par voie sublinguale (SL), comme avec le lorazépam (0,5 à 1 mg aux 8 heures); par le rectum (PR) avec le diazépam (10 à 20 mg 2 fois par jour), la carbamazépine, l’acide valproïque ou le phénobarbital (vérifiez les doses auprès d’un pharmacien)3,7; ou par voie sous-cutanée (SC) avec le midazolam (30 à 60 mg par 24 heures par perfusion), le lorazépam (0,5 à 1 mg aux 8 heures) ou le phénobarbital (200 à 600 mg par 24 heures par perfusion continue ou doses divisées).
Anticonvulsifs recommandés selon le type de crise épileptique
Doses d’anticonvulsifs et effets secondaires
État de mal épileptique
On a traditionnellement défini l’état de mal épileptique comme étant une activité épileptique, avec ou sans convulsion, durant plus de 30 minutes ou 3 épisodes sans reprise de conscience pendant un intervalle de 30 minutes5,6. Il présente un risque de mortalité se situant entre 11 % et 34 %3 et peut causer comme autres complications l’acidose, la rhabdomyolyse et des dommages cérébraux. Dans le cas d’un épisode convulsif prolongé, les lésions aux neurones rendent la pharmacorésistance plus probable et les anticonvulsifs moins efficaces5,8. Parce que la possibilité d’un règlement spontané de la crise épileptique devient moins probable avec le temps, il y aurait lieu de commencer un traitement de l’état de mal épileptique si une convulsion dure 5 minutes ou plus. Le traitement peut varier selon l’endroit où se trouve le patient: à domicile, en maison de soins palliatifs ou à l’hôpital.
À l’hôpital, l’accès intraveineux (IV), la surveillance de la pression artérielle et l’électrocardiogramme peuvent être la prise en charge initiale standard de l’état de mal épileptique. Les patients doivent être positionnés de manière à ce qu’ils ne puissent pas se blesser; il faut préserver les voies aériennes et un supplément d’oxygène doit être administré au besoin. Chez les patients en soins palliatifs, il n’est pas toujours possible d’assurer un accès veineux et les médicaments seront administrés par une autre voie, principalement par voie SC, SL, intranasale ou PR. Il n’est pas toujours indiqué d’exercer une surveillance si rigoureuse, comme ce serait autrement le cas dans une unité de soins palliatifs ou à domicile.
Dans tous les milieux, le lorazépam est le médicament à privilégier7,9 en raison de sa rapidité d’action (3 minutes par voie IV5), de la durée de son efficacité (8 à 24 heures5) et de sa facilité d’administration. Les doses recommandées varient, mais une dose de 2 mg peut être administrée par IV, SC, SL ou PR7 et répétée 10 minutes plus tard si la crise épileptique persiste. Autrement, on peut administrer 10 mg de diazépam PR ou par IV et répéter aux 5 minutes jusqu’à ce qu’il soit efficace—on peut utiliser une dose totale maximale de 40 mg3,7. Le midazolam est aussi une très bonne option de rechange, à raison de 5 à 10 mg3,7 soit par IV ou SC, et possiblement par la bouche ou le nez (0,2 mg/kg)3, comme semblent le démontrer certaines recherches9. Le midazolam pourrait être répété aux 15 minutes pour un total de 3 fois3. À ce point-ci, certains suggéreraient l’amorce simultanée de phénytoïne par IV3. D’autres recommanderaient la phénytoïne seulement s’il n’y a pas de réponse à la benzodiazépine5–7. La dose de phénytoïne est de 15 à 20 mg/kg aux 24 heures, à un débit n’excédant pas 50 mg à la minute5–7. Un autre choix d’anticonvulsif à cette troisième étape pourrait être le phénobarbital. Le phénobarbital comporte un risque d’insuffisance respiratoire, surtout après l’utilisation des benzodiazépines5,6. La dose de phénobarbital est de 10 à 15 mg/kg perfusé à un débit de 100 mg par minute7, pour une dose totale maximale de 1 g. Autrement, une dose de 20 mg/kg de phénobarbital perfusé à un débit de 60 mg par minute a aussi été recommandée5. On peut aussi administrer le phénobarbital par voie SC3, ce qui le rend plus facile à utiliser dans les maisons de soins palliatifs ou à domicile. Si la crise épileptique est réfractaire en dépit du recours à 2 ou 3 différents anticonvulsifs, la recommandation est l’intubation et le transfert à une unité de soins intensifs pour un traitement au propofol ou au pentobarbital,3,5,7,8 si le pronostic et les objectifs de soins du patient permettent un traitement agressif.
Le diagnostic différentiel de l’état de mal épileptique devrait inclure une syncope, un accident ischémique transitoire, l’arythmie, le syndrome de Munchausen et d’autres troubles psychiatriques, les parasomnies et les déliriums5. Un autre facteur qui complique le diagnostic de l’état de mal épileptique se situe dans l’existence d’un état de mal épileptique complexe partiel sans convulsion. De telles crises épileptiques sont le plus souvent secondaires à des troubles métaboliques, se présentant sous forme de confusion continue ou récurrente avec des crises épileptiques partielles complexes et le retour de la conscience entre les épisodes, l’état entier pouvant durer de 1 à 10 jours. L’état de mal épileptique partiel complexe non convulsif peut ressembler au délirium avec des automatismes, des comportements psychotiques ou des changements affectifs. Au contraire de l’état de mal épileptique convulsif, il n’entraîne pas de dommages cérébraux et, par conséquent, son traitement peut être plus progressif5.
Conclusion
La prise en charge de M. J.K. comporte d’augmenter sa dose de dexaméthasone, d’ajouter 100 mg de phénytoïne 3 fois par jour et de procéder à des formules sanguines. Les résultats des analyses sanguines de M. J.K. ne révèlent pas d’anomalies biochimiques. Une autre tomographie par ordinateur du cerveau montre un œdème accru et une taille stable des métastases. Il n’a pas de convulsions pendant les 2 mois qui suivent.
M. J.K. développe une faiblesse progressive généralisée et est admis dans une maison de soins palliatifs. Un soir, il fait une crise épileptique tonico-clonique qui dure plus de 5 minutes. L’infirmière suit le protocole du médecin traitant en cas de convulsion: 10 mg de midazolam SC et 1 mg de lorazépam SL, qui sont administrés simultanément dans les 10 minutes suivant le début de la crise. Cinq minutes plus tard, l’amplitude des mouvements cloniques baisse et, 5 autres minutes après, tous les mouvements cloniques cessent. Malheureusement, M. J.K ne reprend pas conscience et meurt paisiblement le matin suivant, entouré de sa famille à son chevet.
La survenance des crises épileptiques peut être traumatisante pour le patient et sa famille. Les crises épileptiques peuvent signaler la progression des lésions cérébrales sous-jacentes; par ailleurs, il peut y avoir d’autres causes réversibles10. Pour prendre en charge le patient de manière appropriée, il faut le rassurer, lui et sa famille, et bien les renseigner. Il faut aussi rédiger les ordonnances pour la prise en charge aiguë des futurs épisodes de crises épileptiques, que ce soit à domicile ou dans une unité de soins palliatifs. La plupart des crises épileptiques peuvent être contrôlées au moyen d’un traitement rapide avec des benzodiazépines et, même si l’état de mal épileptique est souvent fatal, on peut faire en sorte qu’il soit le plus paisible possible.
Notes
POINTS SAILLANTS
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Les crises épileptiques peuvent signaler la progression des lésions cérébrales sous-jacentes ou, autrement, être attribuables à des déséquilibres biochimiques ou médicamenteux. Lorsqu’un patient fait une crise épileptique, une anamnèse et un examen physique sans délais sont utiles pour déterminer la cause.
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La survenance d’une crise épileptique peut être traumatisante pour le patient et sa famille. Pour une prise en charge appropriée, il rassurer et renseigner le patient et sa famille, ainsi que rédiger des ordonnances pour le traitement à court terme des futurs épisodes de crises épileptiques.
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Parce que la probabilité que la crise épileptique se règle spontanément diminue avec le temps, le traitement de l’état de mal épileptique devrait être amorcé lorsqu’une convulsion dure 5 minutes ou plus. Le traitement peut varier selon l’endroit où est soigné le patient.
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La plupart des crises épileptiques peuvent être contrôlées au moyen d’un traitement rapide avec des benzodiazépines et, quoique l’état de mal épileptique puisse être un événement fatal, on peut le rendre aussi paisible que possible.
Dossiers en soins palliatifs est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien et rédigée par les membres du Comité des soins palliatifs du Collège des médecins de famille du Canada. Ces articles explorent des situations courantes vécues par des médecins de famille qui offrent des soins palliatifs dans le contexte de leur pratique en soins primaires. N’hésitez pas à nous suggérer des idées de futurs articles à palliative_care{at}cfpc.ca.
Footnotes
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the September 2013 issue on page 951.
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Intérêts concurrents
Dre Tradounsky est membre d’un comité de formation continue qui organise une conférence à l’Université McGill pour laquelle Purdue et Paladin ont versé des subventions sans conditions peu importantes.
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