Traditionellement, la profession médicale se préoccupait principalement d’éviter les erreurs de diagnostic, en insistant surtout sur le sous-diagnostic et les traitements insuffisants. Par conséquent, nous avons été témoins, en particulier au 20e siècle, du développement rapide de la médecine de laboratoire, des techniques d’imagerie et des procédures thérapeutiques. Le nombre des examens diagnostiques et des traitements accessibles a augmenté de façon spectaculaire au cours des 2 dernières décennies1. De fait, l’utilisation des études d’imagerie s’est accrue plus rapidement que celle de tout autre service médical (Figure 1)1,2. Selon les estimations aux États-Unis, l’utilisation excessive ou à mauvais escient des tests diagnostiques coûtent environ 210 milliards $ par année (10 % des coûts des soins de santé)3.
Les sceptiques nous avertissent depuis longtemps des inconvénients d’une médecine excessive4,5. De plus en plus de données probantes font valoir que l’augmentation du nombre de procédures et d’examens médicaux fait grimper les coûts des soins de santé et, avant tout, ces derniers peuvent être dommageables pour les patients. Même des modalités diagnostiques apparemment sécuritaires peuvent être potentiellement néfastes et même fatales si elles entraînent une cascade de tests additionnels inutiles et d’interventions invasives ayant des taux de complications prévisibles.
Mais que faut-il éviter?
Pendant de nombreuses années, nous avons eu l’avantage d’avoir des guides de pratique clinique publiés par des sociétés médicales. Toutefois, ces recommandations ont eu tendance à insister principalement sur les procédures à suivre plutôt que sur les examens et les traitements à éviter. Dans une tentative de minimiser la surutilisation des ressources médicales et de réduire le risque de préjudice, l’American Board of Internal Medicine Foundation et Consumer Reports, se sont associés avec 9 sociétés de spécialités pour lancer la campagne Choosing Wisely, au début du printemps de 20126. Au nombre des sociétés qui se sont jointes au projet, on comptait l’American Academy of Allergy, Asthma and Immunology, l’American Academy of Family Physicians (AAFP), l’American College of Cardiology, l’American College of Physicians, l’American College of Radiology, l’American Gastroenterological Association, l’American Society of Clinical Oncology, l’American Society of Nephrology et l’American Society of Nuclear Cardiology. Ces 9 organisations ont été appelées à choisir 5 examens ou traitements (Five Things) qu’elles étaient portées à surutiliser dans leur domaine d’expertise. Le 4 avril 20126, on annonçait une liste de 45 examens et interventions thérapeutiques; celle-ci a ensuite suscité beaucoup d’attention dans les médias7,8. Nous présentons au Tableau 1 les éléments les plus importants pour chaque organisation. Huit des 9 sociétés mentionnées comptaient au moins un test relié à l’imagerie parmi leurs 5 éléments; en tout, parmi les 45 éléments, 24 concernaient spécifiquement des techniques d’imagerie.
À l’heure actuelle, le projet regroupe plus de 40 organisations représentant plus de 600 000 membres. De plus, certaines sociétés médicales ont publié une nouvelle (deuxième ou troisième) liste en 2013. La liste des partenaires et les inventaires complets des examens et des traitements sur lesquels les médecins et les patients devraient s’interroger se trouvent à www.choosingwisely.org/doctor-patient-lists. Chaque liste de 5 éléments est le fruit d’un long processus au sein de l’organisation concernée, et chaque recommandation s’accompagne du raisonnement et des données probantes derrière ces choix.
Les 5 examens et traitements concernant la médecine familiale
L’AAFP a compilé sa liste de 5 examens et traitements en 2013 (Encadré 1)9. Elle endossait ainsi les 5 recommandations pour la médecine familiale antérieurement proposées par la National Physicians Alliance et publiées dans les Archives of Internal Medicine dans le contexte de la série Less is More10. La justification de chaque élément de la liste est expliquée sur le site web de Choosing Wisely9. L’exercice avait pour but de cerner des interventions courantes en soins primaires, en s’appuyant fortement sur des données probantes et des ouvrages scientifiques, qui entraîneraient des bienfaits substantiels pour la santé, réduiraient les risques ainsi que les effets néfastes et diminueraient les coûts. Un groupe de travail a été formé pour chacune des trois principales spécialités des soins primaires: la médecine familiale, la pédiatrie et la médecine interne. Des activités de validation auprès des médecins de famille se sont conclues par un appui aux recommandations finales et par une reconnaissance des effets positifs potentiels sur la qualité et les coûts, ainsi que de la facilité avec laquelle les recommandations pourraient être mises en œuvre9. Dans le contexte de ses efforts constants pour aider les médecins de famille à réduire la pratique de prescrire des examens et des procédures inutiles, l’AAFP a publié sa deuxième liste de recommandations Choosing Wisely le 21 février 2013, puis une troisième le 24 septembre 2013 (Encadré 1)9. La campagne met en évidence l’engagement à long terme des médecins de famille à prodiguer des soins de grande qualité et rentables à leurs patients. Selon Dr Glen Stream, président du conseil d’administration de l’AAFP :
L’American Academy of Family Physicians affirme son engagement envers la campagne Choosing Wisely et sa mission de diffuser des renseignements cliniques fondés sur des données probantes à propos des examens et des procédures pour aider les médecins de famille et leurs patients à prendre des décisions éclairées. Son engagement est tel que l’AAFP a élargi sa participation en élaborant une deuxième liste de 5 dépistages et traitements fréquemment surutilisés ou utilisés à mauvais escient11.
L’initiative cherche à encourager les médecins et les patients à suivre des recommandations fondées sur des données probantes dans la prise en charge de problèmes de santé, tout en évitant des procédures et des examens médicaux dont l’utilité est improbable. Les médecins et les patients doivent tous comprendre que plus de soins n’est toujours synonyme de meilleurs soins; dans certains cas, ils peuvent faire plus de tort que de bien. Cette campagne fait la promotion du dialogue médecin-patient au sujet du choix judicieux des examens et des procédures. Ces actions freineront aussi l’augmentation rapide des coûts du système de santé. La campagne cherche aussi à informer le public que tous les tests et procédures ne sont pas appropriés pour chaque problème en particulier. Ces listes stimuleront aussi les débats entourant les bons soins, au bon moment, pour le bon patient.
Liste des examens et des traitements courants sur lesquels s’interroger, compilée par l’American Academy of Family Physicians
Voici la liste originale des 5 examens et traitements sur lesquels les médecins et les patients devraient s’interroger, publiée en avril 2012:
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Voici la deuxième liste des 5 examens et traitements sur lesquels les médecins et les patients devraient s’interroger, publiée en février 2013:
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Voici la troisième liste des 5 examens et traitements sur lesquels les médecins et les patients devraient s’interroger, publiée en septembre 2013:
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Données tirées de l’American Academy of Family Physicians9
* Rédigé en collaboration avec l’American College of Obstetricians and Gynecologists pour la terminologie finale
La campagne rejoint des millions de personnes de tous les coins de la planète grâce aux efforts de consommateurs partenaires, sous la direction de Consumer Reports, l’organisation indépendante de mise à l’essai de produits la plus importante du monde12, qui a travaillé avec l’American Board of Internal Medicine Foundation et les sociétés de spécialités à distribuer des ressources conviviales pour les patients, qui facilitent les conversations des consommateurs avec les médecins. Au nombre des consommateurs partenaires figurent, entre autres, les suivants: Alliance Health Networks, la National Business Coalition on Health, le National Partnership for Women and Families, Union Plus et Wikipédia13. Non seulement de telles listes aideront-elles les patients à se tenir informés au sujet des procédures diagnostiques et thérapeutiques courantes, mais elles leur permettront aussi de prendre de sages décisions au sujet de leurs traitements.
Limitations des recommandations
À mesure que la liste de services médicaux prend de l’expansion et est adoptée plus largement, la campagne Choosing Wisely permettra aux médecins d’offrir des soins sécuritaires, efficaces et de grande qualité, avec le bénéfice additionnel de réduire les coûts des soins de santé. En établissant ces recommandations comme étant les normes de soins, les sociétés réduisent le risque que d’en faire moins puisse occasionner des poursuites pour faute professionnelle, ce qui incite de nombreux médecins à faire trop d’examens et de traitements, une pratique appelée la médecine défensive14.
Les recommandations proposées pourraient servir de carte routière pour aider les médecins et les patients à naviguer dans un dédalle d’interventions diagnostiques et thérapeutiques. Toutefois, certains experts appellent à la prudence et préviennent que les recommandations pourraient être mal interprétées et appliquées trop largement, au détriment de la santé des patients. Certains disent que les conseils du groupe pourraient rendre plus difficile la personnalisation des soins en fonction du patient. Tant la profession médicale que les patients doivent savoir que la nécessité des examens est une question qui dépend grandement de la personne en cause. Nous devons garder à l’esprit que le choix des modalités diagnostiques et thérapeutiques peut ne pas être le mêmes d’un patient à l’autre, même les deux ont le même problème.
Étant donné que cette campagne est relativement récente, il est trop tôt pour dire si elle a réduit le recours aux examens et aux traitements mentionnés dans les listes. À un certain point, il faudra une évaluation rigoureuse des méthodes utilisées par le projet. Les futures études devraient susciter des débats entourant ce qui est un traitement approprié et nécessaire, et ne pas servir à savoir si ces recommandations devraient être utilisées comme fondements de décisions d’inclure ou d’exclure d’une couverture d’assurance.
Action à l’échelle mondiale
La campagne Choosing Wisely s’inspire des normes et des idées mises en avant par la Physician Charter15, la série Less is More des Archives of Internal Medicine16,17 et la National Physicians Alliance10. Récemment, un plus grand nombre d’institutions se sont jointes à l’effort pour combattre la surmédicalisation et ont produit les conférences Avoiding Avoidable Care (http://avoidablecare.org) et Selling Sickness (http://sellingsickness.com), ainsi que la conférence Preventing Overdiagnosis (www.preventingoverdiagnosis.net), dans laquelle le BMJ était partenaire18.
Bien que le projet des 5 examens et traitements ait été réalisé par des sociétés de spécialités américaines, la surutilisation des ressources médicales est un problème dans de nombreux pays du monde et requiert une action internationale. Au Canada, une campagne semblable appelée Choisir avec soin Canada (www.choisiravecsoin.org) était lancée le 2 avril 201419. Diverses sociétés ont pris part à la vague initiale, dont la Société canadienne de cardiologie, l’Association canadienne des radiologistes, le Forum sur les enjeux de la pratique générale et familiale de l’Association médicale canadienne, l’Association canadienne d’orthopédie, la Société canadienne de médecine interne, l’Association canadienne de rhumatologie, la Société canadienne de gériatrie, l’Association canadienne des chirurgiens généraux et le Collège des médecins de famille du Canada, qui sont tous intéressés à travailler en collaboration pour faire avancer ce projet. L’Association canadienne médicale a l’appui de 30 sociétés médicales qui en sont à différents stades de participation à la campagne19.
L’on espère que tous ces projets suscitent des discussions entre médecins, patients, défenseurs des consommateurs, décideurs et réformateurs des soins de santé au sujet de la pertinence de nombreux examens diagnostiques et interventions thérapeutiques fréquemment prescrits. De surcroît, toutes ces campagnes représentent d’importantes initiatives de politiques qui pourraient restaurer la confiance du public à l’égard de la profession médicale.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 873.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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