Description de cas
Un homme de 62 ans se présente à l’urgence pour surdité dans l’oreille gauche. À son réveil ce matin, il a ressenti une plénitude dans l’oreille gauche et s’est plus tard rendu compte qu’il entendait à peine la voix de sa femme. Il se plaint aussi de tintement dans l’oreille gauche et de nausée légère. Il entend bien de l’oreille droite. Rien de remarquable ne ressort de ses antécédents médicaux. Il ne signale aucune maladie ni infection récente et n’a aucun antécédent de traumatisme. À l’examen, ses signes vitaux sont normaux. Il n’a pas de bouchon de cérumen et son tympan est transparent et intact. Les résultats de l’épreuve de Weber révèlent une latéralisation à l’oreille saine, ce qui pointe vers une surdité de type neurosensorielle. Qu’allez-vous faire?
La surdité soudaine neurosensorielle est un problème de santé potentiellement dévastateur entraînant une morbidité grave et affectant la qualité de vie du patient. Elle est considérée une urgence oto-rhino-laryngologique et est définie comme une perte aiguë de l’ouïe d’au moins 30 dB sur 3 fréquences en 72 heures1–3. Des études de population sur la surdité soudaine neurosensorielle font ressortir une vaste distribution en fonction de l’âge, la moyenne étant de 50 à 60 ans, et le fait que l’affection touche les hommes au même titre que les femmes4,5. L’incidence est de 5 à 20 cas par 100 000 personnes1,5. Il existe de nombreux diagnostics différentiels de la surdité soudaine neurosensorielle, mais dans 70 à 90 % des cas, la cause est idiopathique1,3. De nombreux patients atteints de surdité soudaine ne consultent pas leur médecin immédiatement, car ils ne prennent pas leurs symptômes au sérieux, ce qui retarde le traitement1.
Physiopathologie
Une revue de la littérature effectuée en 2010 a révélé que les causes idiopathiques demeuraient les plus fréquentes, leur proportion étant de 71 %6. Parmi les autres causes suspectes se trouvent les suivantes : infection (12,8 %), atteinte otologique (4,7 %), traumatisme (4,2 %), causes vasculaires ou hématologiques (2,8 %), néoplasmes (2,3 %) et autres causes (2,2 %)6. Il existe très peu de preuves tangibles étayant les théories sousjacentes les plus répandues de la physiopathologie de la surdité soudaine neurosensorielle idiopathique, y compris la perturbation de la circulation dans le labyrinthe, la perforation du tympan, l’infection virale du labyrinthe et le dysfonctionnement cochléaire auto-immun7. Bien que les données probantes soient toujours vagues, on pense que l’infection vient au deuxième rang des causes les plus fréquentes de surdité soudaine neurosensorielle, et les causes virales incluent le virus de l’influenza B, l’entérovirus, le virus des oreillons, le virus varicellazoster et le virus de l’herpès simple de type 16,8.
Manifestations cliniques
Un grand nombre de patients atteints de surdité soudaine neurosensorielle idiopathique présentent une perte auditive unilatérale1,4 qui survient en quelques secondes ou quelques jours, la plupart du temps dans un intervalle de 72 heures6. La surdité bilatérale survient dans moins de 2 % des cas4. Les patients remarquent la perte auditive au réveil2,6. Les symptômes connexes fréquents sont les suivants : acouphène, sensation d’oreille pleine et vertige1,3,4. La perte auditive peut toucher certaines fréquences ou toutes les fréquences et va de légère à sévère3,4,6,8.
Diagnostic et investigation
L’anamnèse doit explorer en détail les symptômes du patient, y compris l’acouphène, la douleur, la sensation d’oreille pleine, une surdité antérieure, un écoulement de l’oreille, la fièvre, des symptômes des voies respiratoires supérieures, un mal de tête et des symptômes neurologiques focaux. Il faut aussi déterminer si le patient a récemment eu un traumatisme, s’il a pris l’avion ou a fait de la plongée, ou s’il a pris un médicament ototoxique. L’examen physique doit faire la différence entre une surdité de transmission et neurosensorielle3 et doit tenter d’écarter les causes plus sérieuses, comme l’AVC ou le néoplasme. L’examen physique doit toujours inclure un examen otoscopique et l’enlèvement du cérumen, si celui-ci est présent, pour permettre d’examiner les tympans1. Les tests de dépistage de base de la surdité sont le test du chuchotement, de même que les tests du diapason, tels que le test de Rinne et l’épreuve de Weber9–11. Dans les cas de surdité soudaine neurosensorielle, le son est latéralisé à l’oreille saine lors de l’épreuve de Weber. S’il est impossible de se procurer un diapason, on peut effectuer un simple test de fredonnemen : on demande au patient de fredonner et si le son est latéralisé à l’oreille saine, on a probablement affaire à une surdité neurosensorielle1. Dans la surdité de transmission, le son serait latéralisé à l’oreille touchée1. L’examen neurologique doit porter sur les nerfs crâniens et la fonction oculaire, de même que sur les tests cérébelleux dans le but de déterminer la présence d’un dysfonctionnement vestibulaire central ou périphérique, ou un trouble de la circulation postérieure1,8.
Les tests sanguins de routine ne sont pas indiqués dans l’investigation de la surdité soudaine neurosensorielle, à moins que l’anamnèse ne fasse ressortir une cause précise pouvant être élucidée par analyses de laboratoire3.
Les données probantes les plus récentes proposent que l’évaluation des patients atteints de surdité soudaine neurosensorielle doit inclure un examen d’imagerie par résonance magnétique afin de dépister une pathologie rétrocochléaire, ou une lésion structurelle du nerf auditif (vestibulo-cochléaire), du tronc cérébral ou du cerveau3. Malheureusement, la tomographie assistée par ordinateur de la tête donne une piètre vue de l’espace rétrotrochléaire3.
Le diagnostic définitif de surdité soudaine neurosensorielle doit reposer sur un test d’audiométrie, lequel fait la distinction entre la surdité neurosensorielle et la surdité de transmission, et aide à déterminer les seuils de l’ouïe sur des fréquences précises3.
Traitement
Vu les effets potentiellement dévastateurs de la surdité, le dépistage et le traitement précoces sont essentiels. Le traitement doit cibler précisément la pathogenèse sousjacente. Si la cause est idiopathique, les traitements éprouvés sont rares et, pour le moment, le traitement de référence est la corticothérapie4,12. Les généralistes et urgentologues peuvent instaurer ce traitement et recommander d’urgence le patient à un oto-rhino-laryngologiste afin de recevoir une audiométrie et une prise en charge continue. Les antiviraux ne sont pas indiqués, malgré la participation de certains virus13.
Corticostéroïdes par voie orale
Les corticostéroïdes amélioreraient la surdité soudaine neurosensorielle idiopathique en réduisant l’inflammation et l’œdème dans l’oreille interne4,12,14. Les lignes directrices actuelles de pratique clinique recommandent une corticothérapie par voie orale avec la prednisone à raison de 1 mg/kg de poids corporel par jour (maximum de 60 mg par jour) pendant 7 à 14 jours, la dose étant graduellement diminuée sur une même période par la suite3. Des doses quotidiennes de 10 mg de dexaméthasone ou de 48 mg de prednisolone peuvent aussi être utilisées3. Dans une comparaison entre différents corticostéroïdes, aucun ne s’est révélé supérieur12.
Si le médecin opte pour la corticothérapie, elle doit être instaurée dans la semaine ou les 2 semaines suivant l’apparition des symptômes1,3,4. Si elle est instaurée après plus de 4 semaines, la corticothérapie semble être moins efficace pour rétablir l’ouïe1,3. Les taux de rétablissement avec les corticostéroïdes semblent variables, certains patients remarquent une amélioration en quelques jours et d’autres prennent plus longtemps pour se rétablir potentiellement1. Une amélioration observée avec les corticostéroïdes ne signifie pas pour autant qu’on puisse omettre les examens d’imagerie3. Le traitement peut être instauré pendant qu’on attend cette autre investigation.
Stéroïdes intratympaniques
Les stéroïdes intratympaniques, administrés en préparations de méthylprednisolone ou de dexaméthasone, sont une solution de rechange aux corticostéroïdes par voie orale. Plusieurs essais ont montré que les stéroïdes intratympaniques n’étaient pas d’efficacité inférieure par rapport aux stéroïdes par voie orale. Les consensus actuels sur les traitements favorisent toujours les stéroïdes par voie orale comme traitement de premier recours, mais cela pourrait changer à mesure que de nouvelles données ressortent12,15. À l’heure actuelle, les stéroïdes intratympaniques sont utilisés chez les patients qui présentent des contre-indications relatives aux stéroïdes par voie orale, de même que chez les patients dont l’état ne s’est pas amélioré malgré une corticothérapie par voie orale12,15.
Pronostic et suivi
Le rétablissement de l’ouïe semble être lié au degré initial de surdité1. Fait intéressant, certaines études ont montré que, même sans traitement, 32 à 65 % des patients atteints de surdité soudaine neurosensorielle idiopathique recouvrent l’ouïe, habituellement dans les 2 semaines suivant l’apparition des symptômes, ce qui pointe vers un taux relativement élevé de guérison spontanée dans l’évolution naturelle de l’affection4,16. Les facteurs qui semblent influencer négativement le rétablissement sont l’âge avancé, le vertige connexe, et la surdité plane sur toutes les fréquences (plutôt que sur les fréquences basses et moyennes seulement)4. Il est recommandé de demander une consultation pour tous les cas de surdité soudaine neurosensorielle auprès d’un oto-rhino-laryngologiste afin de veiller à la disparition des symptômes et à un diagnostic approprié.
Résolution du cas
Après une anamnèse et un examen physique détaillés, il n’existe pas de cause sous-jacente évidente de surdité soudaine. Après une évaluation complète, vous déterminez que le patient est probablement atteint de surdité soudaine neurosensorielle idiopathique. Vous lui prescrivez 50 mg de prednisone, 1 fois par jour pendant 7 jours, et prenez un rendez-vous urgent de suivi avec l’oto-rhino-laryngologiste de l’hôpital. Le bureau de l’oto-rhino-laryngologiste prend rendez-vous pour un examen d’imagerie par résonance magnétique en consultation externe dans la semaine suivante. Six mois plus tard, le patient signale qu’il a presque complètement recouvré l’ouïe.
Acknowledgments
Nous tenons à remercier le Dr Bjug Borgundvaag, professeur agrégé à la Faculté de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto, pour ses commentaires et suggestions.
Notes
POINTS SAILLANTS
La surdité soudaine neurosensorielle est considérée une urgence oto-rhino-laryngologique et pourrait avoir des conséquences difficiles sur la santé si elle n’est pas dépistée et traitée rapidement.
À l’urgence, l’évaluation d’un patient atteint de surdité soudaine neurosensorielle comprend l’otoscopie, un test de l’ouïe au chevet du patient et un examen neurologique détaillé.
Les recommandations thérapeutiques actuelles pour la surdité soudaine neurosensorielle sont la corticothérapie par voie orale sans délai et brève.
Un suivi en oto-rhino-laryngologie, qui comprend une audiométrie et un examen d’imagerie par résonance magnétique, a généralement lieu en consultations externes.
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the October 2014 issue on page 907.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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