Même si l’obésité peut poser de sérieux risques pour la santé, nous ne disposons pas de stratégies efficaces pour aborder ce problème sur les plans individuel et sociétal. Les mythes et les croyances erronées à propos de l’obésité sont omniprésents dans les médias, la culture populaire et la littérature scientifique. Comme il était mentionné récemment dans le New England Journal of Medicine, la diffusion d’opinions sans fondement pourrait entraîner des décisions cliniques mal éclairées, des recommandations en santé publique inexactes et une attribution improductive des ressources limitées en recherche1. À la suite d’une recherche dans les médias populaires et les ouvrages scientifiques sur Internet, nous avons cerné 7 méprises entourant l’obésité qui, selon nous, méritent qu’on y porte attention. Cet article a pour but de mettre au défi les lecteurs de réfléchir à nouveau à la façon dont nous devrions aborder l’obésité et sa prise en charge.
Mythes
L’obésité est principalement causée par un manque d’activité physique ou de mauvaises habitudes alimentaires
Le bilan énergétique positif sous-jacent à l’obésité est généralement attribué à un apport excessif d’énergie ou à une activité physique réduite de manière chronique. La mauvaise alimentation et l’inactivité physique sont les 2 facteurs majeurs que ciblent presque tous les programmes préventifs et thérapeutiques concernant l’obésité, négligeant ainsi d’autres facteurs possibles expliquant l’excès de poids. Même si cette notion est intuitivement attrayante, il n’y a pas de données probantes suffisantes (p. ex. données épidémiologiques à l’échelle individuelle et expériences randomisées) au-delà des corrélations écologiques qui justifient l’importance accordée à ces 2 facteurs2. De nombreux autres contributeurs putatifs expliquant la hausse de l’obésité (p. ex. manque de sommeil, stress psychologique, perturbateurs endocriniens, médicaments, effets intra-utérins et intergénérationnels, etc.) sont étayés par des données probantes aussi convaincantes, sinon plus, que celles appuyant les 2 facteurs majeurs3,4. Ces déterminants non traditionnels ou nouveaux de l’obésité influencent l’apport et la dépense d’énergie; une consommation excessive de nourriture et la dépense réduite d’énergie sont perçues comme des «symptômes» et ne seraient pas les causes à l’origine de l’excès de poids5. Sur le plan thérapeutique, des données probantes de plus en plus nombreuses démontrent que le manque de sommeil peut nuire à la perte de poids et le Réseau canadien en obésité a récemment donné son appui au traitement des problèmes de sommeil pour la prise en charge du poids6. Dans l’ensemble, les données probantes se multiplient selon lesquelles les professionnels de la santé et les cliniciens pourraient devoir considérer une gamme plus large de facteurs d’influence (p. ex. médicaments, manque de temps, stress psychologique, fatigue, douleur chronique) pour cerner et régler adéquatement les principaux facteurs responsables de l’obésité du patient, qui est probablement un signe clinique d’une «rétention» calorique (tout comme l’œdème est un signe clinique d’une «rétention» de liquide)5. Les professionnels de la santé et les cliniciens pourront ainsi élaborer un cadre individualisé pour éliminer les causes à l’origine du gain de poids.
Les médecins doivent aller au-delà de la recommandation simpliste et généralement inefficace de «manger moins et bouger plus», et plutôt chercher et prendre en charge les déterminants d’un apport accru d’énergie, d’un taux métabolique diminué et d’une activité réduite.
Les personnes obèses sont moins actives que leurs homologues de poids normal
Il est très fréquent d’entendre dire que les personnes obèses sont paresseuses et devraient sortir de leur fauteuil. Ce préjugé discriminatoire contre les personnes ayant un excès de poids est non seulement largement répandu dans le public en général, mais aussi chez les professionnels de la santé, même ceux qui côtoient régulièrement des patients souffrant d’obésité7. Pourtant, les plus récentes données tirées de l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé, une étude auprès d’un échantillonnage nationalement représentatif qui utilisait des accéléromètres pour mesurer l’activité physique, démontrent le contraire. En se fondant sur des mesures objectives, seulement 7 % des enfants et des jeunes canadiens8 et 15 % des adultes canadiens9 se conforment aux lignes directrices sur l’activité physique. Lorsqu’elles sont réparties en fonction des catégories de l’indice de masse corporelles, les filles obèses font en moyenne 11 159 pas par jour, tandis que les filles de poids normal en font en moyenne 10 224 par jour. Les garçons obèses font en moyenne moins de pas par jour (10 256 pas par jour) que leurs homologues de poids normal (12 584 pas par jour), mais ils ont un corps plus gros à porter. La transposition de ce niveau d’activité physique en calories dépensées (kcal par jour) démontrerait probablement que les garçons obèses brûlent en réalité plus de calories sur une base quotidienne10. Des constatations semblables sont observées chez les Canadiens adultes. Dans l’ensemble, le message est qu’il y a une crise d’inactivité physique au Canada: la plupart des gens ne font pas la quantité d’activité physique requise chaque jour pour obtenir des bienfaits pour leur santé. Chaque Canadien, qu’importe sa taille corporelle, bénéficierait d’une augmentation de son activité physique et d’une réduction du temps passé en position assise.
Au lieu de se concentrer sur la dépense de calories, les interventions devraient viser à réduire les activités sédentaires et à augmenter les activités physiques pour améliorer la santé globale et le bien-être général.
Les régimes alimentaires fonctionnent à long terme
Environ les 2 tiers des personnes qui perdent du poids le regagneront durant l’année suivante et presque toutes reviendront à leur poids initial dans un délai de 5 ans11. Il est déjà difficile de perdre du poids en suivant un régime (p. ex. restriction calorique), mais le maintien de cette perte de poids exige du patient de déployer encore plus d’efforts. Plutôt que de s’expliquer simplement par un manque de volonté, le retour de la plupart des personnes à leur poids initial après une perte de poids autrement réussie est largement attribuable à des actions coordonnées provenant de changements métaboliques, neuroendocriniens, autonomes et comportementaux qui s’opposent au maintien du poids corporel diminué12. Les quelques personnes qui réussissent à maintenir leur perte de poids (au moins 13,6 kg pendant au moins 1 an) ont généralement en commun des comportements et des stratégies qui comportent un régime pauvre en calories et à faible teneur en gras, des degrés élevés d’activité physique, une surveillance constante du poids corporel et de la consommation d’aliments par l’intéressé, un petit-déjeuner régulier et un haut niveau d’autoprivation alimentaire13. Il est fort improbable que la majorité de la population ayant un excès de poids puisse imiter certains de ces comportements. On craint aussi que les méthodes malsaines de contrôle du poids (p. ex. jeûner, sauter un repas, prendre des laxatifs, des diurétiques, des stimulants) puissent en définitive entraîner un regain de poids plus important et poser des risques pour la santé physique et mentale14,15. Par conséquent, même si, pour certaines personnes, il est possible de perdre du poids de manière soutenue grâce au régime alimentaire seulement16, il est essentiel de s’entendre sur des attentes réalistes en ce qui a trait à la perte de poids et aux changements de comportements durables pour éviter le désappointement et la non-conformité.
Le regain de poids (rechute) ne devrait pas être catégorisé comme un échec, mais plutôt comme une conséquence prévisible dans la prise en charge d’un problème chronique et complexe comme l’obésité.
La perte de poids n’a pas d’effets indésirables importants
La forte réaction biologique à la perte de poids (même la diminution recommandée de 5 % à 10 % du poids initial) comporte des adaptations complètes, persistantes et redondantes dans l’homéostasie de l’énergie, qui sont à la source du haut taux de récidive dans le traitement de l’obésité12. Les multiples systèmes qui régulent le stockage d’énergie et s’opposent au maintien de la réduction du poids corporel démontrent que les réserves de gras sont activement défendues. Parmi les effets indésirables de la perte de poids, il est bien connu que la perte de gras corporel augmente l’appétit, réduit la dépense d’énergie dans une mesure plus grande que prévue et augmente la tendance vers l’hypoglycémie17. La perte de poids est aussi reliée au stress psychologique, à un risque accru de symptômes dépressifs et à des taux plus élevés de polluants organiques persistants qui favorisent les perturbations hormonales et les complications métaboliques, qui sont tous des adaptations augmentant substantiellement le risque de reprendre du poids17. En outre, on se préoccupe considérablement des effets négatifs des tentatives «échouées» de maigrir sur l’estime de soi, l’image corporelle et la santé mentale18. Par conséquent, les cliniciens devraient documenter et prendre en considération les réactions biologiques puissantes de contre-régulation et les effets indésirables potentiels de la perte de poids afin de maximiser la réussite de leurs interventions. L’obésité est un problème chronique et sa prise en charge exige des stratégies de traitement réalistes et durables.
Pour traiter efficacement l’obésité, il faut identifier et tenter de régler ses déclencheurs, ainsi que les obstacles à sa prise en charge et ses complications potentielles. Les médecins de famille devraient discuter avec leurs patients des effets indésirables possibles de la perte de poids et surveiller activement ces effets chez les patients qui tentent de maigrir.
Faire de l’exercice est meilleur que suivre un régime pour perdre du poids
Il existe actuellement un ensemble de données probantes unanimes démontrant que l’exercice à lui seul, en dépit de l’éventail de bienfaits pour la santé associés à une activité physique régulière, ne produit qu’une perte de poids plutôt modeste (moins de 2 kg en moyenne)19,20. Ce phénomène s’explique, entre autres, par le fait que l’exercice s’accompagne souvent d’une augmentation des activités sédentaires et de l’appétit et par une baisse de l’autoprivation alimentaire, qui neutralisent la dépense accrue d’énergie produite par l’activité physique. Toutefois, il est démontré qu’une activité physique plus intense réduit l’adiposité viscérale (même si le poids corporel change peu)21. Les personnes qui incluent une activité physique régulière et un mode de vie actif dans leur programme pour maigrir sont plus susceptibles d’améliorer leur santé globale et de ne pas reprendre le poids perdu22. Cette dernière constatation pourrait être attribuable à l’effet d’une activité physique régulière sur l’apport calorique plutôt que sur la dépense calorique en elle-même23.
L’exercice à lui seul favorise généralement une modeste perte de poids; toutefois, les personnes qui font régulièrement de l’activité physique pourraient améliorer leur santé générale, qu’importe la perte de poids, et sont plus susceptibles de ne pas reprendre le poids perdu.
Tout le monde peut perdre du poids avec assez de bonne volonté
On entend souvent dire que la perte de poids est une question de volonté et d’observance du programme d’amaigrissement. Toutefois, la quantité de poids perdu varie beaucoup d’une personne à l’autre avec la même intervention et prescription pour maigrir et le même respect des consignes du programme: il n’existe pas de «taille» universelle. Par conséquent, pour certaines personnes (surtout celles qui ont déjà perdu un certain poids), le simple fait de consacrer plus d’efforts dans un programme d’amaigrissement ne se traduira pas toujours par une perte de poids additionnelle, étant donné les différentes adaptations compensatoires à la perte de poids12. Par exemple, la diminution de la dépense d’énergie qui se produit durant la perte de poids est très variable d’une personne à l’autre et peut atténuer les efforts pour perdre encore plus de gras corporel. De tels mécanismes compensatoires peuvent parfois neutraliser complètement les 500 kcal par jour de moins recommandés dans la plupart des interventions diététiques, ce qui rend très difficile pour ces «mauvais répondeurs» de perdre du poids24.
Les médecins devraient se rappeler que l’obésité n’est pas un choix et que la réussite dans la perte de poids est très différente d’un patient à l’autre. La réussite peut se définir par une meilleure qualité de vie, une plus grande estime de soi, des niveaux d’énergie plus élevés, une meilleure santé dans l’ensemble ou la prévention d’un gain de poids additionnel.
La réussite d’un programme de prise en charge de l’obésité se mesure par la quantité de poids perdu
Étant donné l’importance de l’obésité en tant que problème de santé publique, des efforts généralisés sont déployés pour encourager les personnes ayant un excès de poids à maigrir. Toutefois, de plus en plus de données probantes font valoir qu’une insistance sur la perte de poids comme indicateur de réussite non seulement est inefficace pour produire des corps plus minces et en meilleure santé, mais pourrait aussi se révéler dommageable en contribuant à une préoccupation alimentaire et corporelle excessive, à des cycles répétés de perte et de reprise de poids, à une moins bonne estime de soi, à des troubles de l’alimentation, à la stigmatisation et à la discrimination sociales en fonction du poids25. On s’inquiète aussi que les discours «anti-obésité» dans les campagnes de santé publique suscitent encore plus de préjugés et de discrimination en raison du poids. Récemment, le Réseau canadien en obésité lançait un outil appelé les «5As of Obesity Management» (www.obesitynetwork.ca/5As) pour guider les professionnels des soins primaires dans le counseling sur l’obésité et sa prise en charge27. Des stratégies d’intervention minimale comme celle en 5 points (questionner, évaluer, conseiller, convenir et aider) peuvent orienter le processus du counseling auprès d’un patient concernant les changements de comportements et elles peuvent être mises en œuvre même en milieu de pratique achalandé28.
La prise en charge de l’obésité devrait insister sur la promotion de comportements plus sains plutôt que se concentrer simplement sur la réduction des chiffres sur le pèse-personne. L’outil du Réseau canadien en obésité est un instrument pratique pour favoriser la réussite de la prise en charge du poids en soins primaires.
Conclusion
Cet article aborde brièvement certains des mythes entourant l’obésité et tente de promouvoir des façons novatrices de penser dans ce domaine de la recherche et de la pratique où l’on semble être très enclin aux idées préconçues, aux dogmes et aux préjugés. Les notions simplistes fondées sur «l’apport d’énergie et la dépense d’énergie» se sont révélées largement inefficaces tant sur le plan individuel qu’à l’échelle des populations. Cette inefficacité pourrait être attribuable au fait que les interventions actuelles ne tiennent pas compte des réactions biopsychosociales complexes pour défendre le poids corporel ou à la notion voulant que seules la consommation excessive d’aliments et l’inactivité physique sont à l’origine de l’obésité.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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This article is also in English on page 973.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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