De récentes études de recherche ont démontré que les taux de visites à l’urgence1, d’hospitalisation et de réadmissions à l’hôpital2 sont plus élevés chez les adultes ayant une déficience développementale (DD) que dans la population en général. De plus, ces personnes sont susceptibles d’être admises à l’hôpital pour des problèmes généralement bien pris en charge en soins primaires3. Il a été suggéré en Australie4 et au Royaume-Uni5, ainsi que dans Primary care of adults with developmental disabilities. Canadian consensus guidelines (désignées ci-après sous le nom de lignes directrices de 2011)6 que l’une des façons de prévenir la mortalité et la morbidité des adultes ayant une DD est de leur offrir des soins primaires complets axés sur la prévention. Le plus souvent, les soins préventifs sont dispensés durant l’examen médical périodique (EMP). Au Royaume-Uni et en Australie, les médecins reçoivent des incitatifs financiers pour procéder à ces examens préventifs chez leurs patients ayant une DD. Ici, au Canada, l’EMP pour de tels patients est remboursé au même tarif que pour la population en général, même s’il prend plus de temps et est plus complexe pour les personnes ayant une DD. Les lignes directrices de 2011 conseillent aux professionnels des soins primaires de procéder à une évaluation complète préventive chaque année, dont un examen physique, et d’utiliser les lignes directrices et les outils adaptés aux adultes ayant une DD, ce qui est une recommandation fondée sur des données probantes de niveau I6.
Dans quelle mesure les médecins de soins primaires se conforment-ils de près à ces lignes directrices? Nous avons posé cette question dans le cadre du programme H-CARDD (Health Care Access Research and Developmental Disabilities). Nous avons formé une cohorte de plus de 65 000 adultes de moins de 65 ans ayant une DD et vivant en Ontario, et nous avons examiné la proportion d’entre eux qui avaient subi un EMP au cours d’une période de 2 ans (exercices financiers 2009–2010 et 2010–2011). Dans le cadre de notre analyse des données, nous avons constaté que seulement 22 % des adultes ayant une DD passaient un tel examen au cours de cette période de 2 ans. C’est un taux légèrement plus faible que dans l’ensemble de la population (26 %)7.
Étant donné que les lignes directrices de 2011 recommandent ces examens afin de prévenir les maladies et promouvoir la santé, nous considérons qu’il est problématique que ces consultations se produisent avec seulement 1 Ontarien adulte ayant une DD sur 5. Ce faible taux n’est pas dû au fait que ces patients ne peuvent pas avoir accès aux soins primaires ni au fait qu’ils n’ont pas accès à assez de soins primaires8. Environ 3 adultes ayant une DD sur 4 dans le groupe étudié avaient vu un médecin de soins primaires au moins 1 fois durant une période de 1 an (exercice financier 2009–2010) et ceux qui avaient consulté comptaient en moyenne 5,8 visites9. Il semble que les médecins de soins primaires répondent aux préoccupations de leurs patients ayant une DD lorsqu’elles sont portées à leur attention; par contre, ils ratent des occasions d’adopter une approche proactive et préventive dans les soins à ces patients.
Obstacles
L’un des obstacles à la prestation de soins primaires de qualité les plus fréquemment mentionnés réside dans le temps qu’il faut pour obtenir une anamnèse adéquate de personnes ayant une DD en raison des difficultés de communication, sans compter les multiples comorbidités médicales10. Des modèles de soins qui prévoient une rémunération des médecins pour compenser les exigences de temps accrues ont été instaurés avec succès dans d’autres pays4,5,11. Depuis 2006, l’Australie finance les omnipraticiens pour faire des bilans de santé annuels de leurs patients ayant une DD (269,03 $) en se fondant sur des données probantes voulant que ces évaluations permettent une identification plus précoce des problèmes de santé et préviennent de plus grandes complications4,10. Le pays de Galles rémunère aussi des bilans annuels de santé dans les cas de DD depuis 200611 (158,72 $) et de tels examens de santé sont financés dans tout le Royaume-Uni depuis 20095. Une étude réalisée en 2009 en Écosse a démontré que ces examens de santé étaient peu coûteux et entraînaient des coûts moindres associés aux professionnels de la santé durant l’année qui suivait par rapport à ces mêmes coûts pour ceux qui recevaient les soins habituels12.
Un autre obstacle concerne le malaise que ressentent les médecins à desservir cette population spéciale. Dans une étude où des médecins de famille aux États-Unis étaient interviewés, on a constaté que, même si ces médecins avaient essayé de donner des soins à leurs patients ayant une DD, ils ne croyaient pas avoir les connaissances voulues sur cette population ni les res-sources et le soutien dont ils avaient besoin pour la prestation de bons soins13. Les modèles de soins primaires qui suivent une approche en équipe combinée à une plus grande formation pour travailler avec des patients ayant une DD seraient une façon de surmonter cet obstacle. En Ontario, les équipes de santé familiale et les centres de santé communautaires, avec leur approche interdisciplinaire de la prise en charge des maladies et leurs liens plus étroits avec les services communautaires et sociaux, pourraient être idéalement placés pour s’occuper de cette population. Il pourrait donc être plus sensé d’investir dans la formation dans de tels milieux.
Mécanismes de changement
Il pourrait ne pas suffire de présenter aux médecins de nouvelles lignes directrices sur les soins ou des modifications dans les recommandations sur le dépistage; il faut les convaincre que ce sont des changements appropriés. Ils ont également besoin de conseils pratiques sur les façons d’apporter ces changements. En Ontario, on est en voie de créer des réseaux de soutien régionaux pour aider les professionnels des soins primaires dans la prise en charge au quotidien de leurs patients ayant une DD. Un autre mécanisme pour encourager le changement dans les soins primaires aux personnes atteintes de DD serait de fournir de la rétroaction aux médecins sur les résultats de leurs soins préventifs (p. ex. dépistage du cancer du col ou colorectal), de leur prise en charge des maladies (p. ex. diabète) et de leurs soins de santé (p. ex. visites à l’urgence). La production de telles données pourrait aussi servir de fondement scientifique aux recommandations actuelles et possiblement futures.
Nous devons améliorer nos soins aux adultes ayant une DD ici au Canada. Que nous faudra-t-il faire pour assurer qu’un plus grand nombre d’adultes ayant une DD subissent un EMP? Des incitatifs financiers ont été associés à de meilleurs soins préventifs pour la population en général14, mais aideraient-ils les personnes ayant des déficiences? Des lignes directrices et des commentaires feront-ils une différence? Faudrait-il plus de formation? Une rétroaction aux médecins sur les soins que reçoivent leurs patients ayant une DD favorisera-t-elle des changements? Recherchons-nous un leadership de la part des médecins de famille ou encore éduquons-nous les familles et les personnes ayant une DD à visiter leur médecin plus souvent pour ce genre d’examen? En mai 2011, en plus de recevoir les lignes directrices révisées pour les soins primaires, tous les membres du Collège des médecins de famille du Canada ont reçu un exemplaire des outils cliniques pour les aider dans les soins à leurs patients ayant une DD15. Au nombre de ces outils figuraient des conseils sur la façon de communiquer et d’organiser les rendezvous à la clinique, et une liste de vérification des soins préventifs accessible en ligne16, qui met en évidence les éléments importants à couvrir avec des adultes ayant une DD16. Toujours en 2011, un programme d’intérêt particulier a été formé au sein du Collège des médecins de famille du Canada. Au Canada, on s’intéresse de plus en plus à la population atteinte de DD; nous pourrions apprendre beaucoup de nos collègues d’autres pays. Le programme H-CARRD continuera de calculer les taux d’EMP pour surveiller les tendances au fil du temps et évaluer les effets de diverses initiatives comme les incitatifs fondés sur la complexité du patient ou la formation sur les soins aux personnes atteintes de DD aux niveaux prédoctoral ou postdoctoral et à tous les autres professionnels des soins primaires. Nous avons cerné le problème et nous devons maintenant aller de l’avant avec certaines solutions dans un contexte canadien.
Acknowledgments
Cette étude a été financée dans le cadre d’une subvention des Partenariats pour l’amélioration du système de santé des Instituts de recherche en santé du Canada (PHE #103973), en collaboration avec le ministère des Services communautaires et sociaux de l’Ontario et le Surrey Place Centre; elle fait partie du programme H-CARDD. Les travaux ont aussi été appuyés par le Centre for Addiction and Mental Health et l’Institute for Clinical Evaluative Sciences, qui ont tous deux reçu du financement du ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario. Les opinions, les résultats et les conclusions signalés dans ce commentaire sont ceux des auteurs et ne représentent pas nécessairement ceux des sources de financement. Nous ne voulons ni sous-entendre ni laisser présumer que les Instituts de recherche en santé du Canada, le Centre for Addiction and Mental Health, l’Institute for Clinical Evaluative Sciences, le ministère des Services communautaires et sociaux de l’Ontario ou le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario ont donné leur aval.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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