La pratique familiale est une avenue privilégiée pour les interventions contre le tabagisme en raison de l’accès qu’ont les soins primaires à la population des fumeurs, de la capacité de faire un suivi à long terme et du fait que les fumeurs les considèrent comme l’endroit approprié pour obtenir de l’aide pour arrêter de fumer. L’intervention clinique antitabac, avec ses composantes multiples, est une mesure efficace qui mérite d’être largement entreprise. L’intervention clinique antitabac est plus descriptive que la cessation du tabagisme: seule une minorité de fumeurs sont prêts à arrêter de fumer à un moment donné, mais une plus grande proportion d’entre eux sont prêts à essayer des approches comportementales ou chimiothérapeutiques éprouvées pour arrêter ou réduire l’utilisation du tabac. Les médecins, les responsables du financement des soins primaires et les décideurs des politiques sur la santé peuvent déployer, entres autres mesures, du personnel de bureau pour adapter l’intervention clinique antitabac au milieu de la pratique.
Une récente étude rapportée dans Le Médecin de famille canadien faisait valoir que le personnel d’accueil (appelé coordonnateurs de la santé) améliorait considérablement les composantes suivantes de l’intervention clinique contre le tabagisme, fondées sur des données probantes: rappels dans le dossier que le patient est fumeur, conseils de cesser de fumer, plans d’autogestion (y compris le recours à des médicaments), date de cessation, demandes de consultation et rendez-vous de suivi1. Les coordonnateurs de la santé dans ce projet comptaient un employé de première ligne existant, 1 par pratique, qui consacrait 1 jour par semaine à alimenter l’intervention clinique antitabac systématique. Une seule autre étude publiée mentionnait le recours au personnel de première ligne pour aider les fumeurs2. Dans cette étude, on mesurait aussi le taux de cessation du tabagisme qui a connu une hausse dans le groupe faisant l’objet d’une intervention, passant de 3 % au départ à 11 % au moment du suivi, mais qui n’a pas changé dans le groupe témoin (4 % au départ et 4 % au suivi). Les améliorations dans la prestation des composantes de l’intervention clinique antitabac étaient très semblables dans les 2 études.
Les soins primaires sont en majorité guidés par les symptômes du patient qui orientent le diagnostic et le traitement. Mais les soins préventifs sont conçus pour éviter le problème et ses symptômes; par conséquent, le moteur habituel des soins est absent. Une approche proactive systématique est nécessaire. Une telle approche comporte d’identifier les risques des patients, de reconnaître leur réceptivité (ou leur hésitation) à éliminer les risques, d’évaluer les caractéristiques pertinentes des patients, de soutenir leurs efforts et de faire le suivi à long terme. Les médecins de famille, exception faite de certains qui travaillent en milieu de soins primaires communautaires, ont rarement les ressources pour ce faire. Parmi ces ressources, on peut mentionner le temps, le personnel, l’espace, le financement, les systèmes d’information, la formation et les consultations continues offertes par des experts.
Mise en œuvre d’une intervention clinique antitabac en soins primaires
Par conséquent, l’une des stratégies cliniques les plus efficaces, l’intervention clinique antitabac, n’est pas très bien mise en œuvre. De fait, la page 1 de chacune des éditions des lignes directrices américaines sur la dépendance au tabac en 19963, 20004 et 20085 mentionne que la dépendance au tabac est mortelle et fréquente, mais négligée en dépit des interventions efficaces et facilement accessibles5.
Pourquoi les soins primaires sont-ils une avenue privilégiée pour une intervention clinique antitabac? En Colombie-Britannique, c’est en soins primaires qu’on voit de 70 % à 85 % des fumeurs chaque année. De plus, aucun autre milieu ne peut offrir sur le plan pratique les nombreuses années de suivi nécessaires pour traiter la dépendance au tabac, un problème chronique. En outre, lorsqu’on demande aux fumeurs comment ils souhaiteraient obtenir de l’aide pour cesser de fumer, ils choisissent un programme par l’intermédiaire de leur médecin comme premier choix bien avant d’autres6. Cette même préférence s’applique à d’autres risques comportementaux; le médecin était le choix privilégié comme source d’aide pour régler des problèmes de consommation d’alcool.
La plupart des médecins aident les fumeurs, mais leur approche est souvent loin d’être systématique. La pratique clinique reconnue était de donner simplement des conseils de cesser de fumer, mais c’était il y a des décennies de cela. De nos jours, pour traiter leur dépendance, les fumeurs sont souvent référés à une ligne d’assistance téléphonique. Les pratiques familiales peuvent être plus efficaces si elles vont au-delà des conseils et des références pour mettre en œuvre intégralement l’intervention clinique antitabac.
Le personnel de première ligne qui travaille déjà dans les pratiques peut aider à mettre en œuvre la prévention clinique systématique. Le traitement d’une dépendance au tabac est une bonne façon de commencer une prévention clinique systématique. Le modèle d’intervention des 5 A (ask [demander], assess [évaluer], advise [conseiller], assist [aider] et arrange [arranger le suivi]) peut ensuite être mis en pratique pour d’autres facteurs de risque comportementaux comme l’alcool et la dépression. Lorsque le personnel de première ligne du cabinet s’implique dans l’aide aux fumeurs, il doit en connaître les principes fondamentaux: ce qu’il faut demander, quoi offrir aux patients, quoi consigner, où le consigner, comment faire intervenir les cliniciens et quand faire le suivi.
Dans le projet expérimental sur les coordonnateurs de la santé, on a constaté que le personnel était initialement gêné de poser des questions au sujet du tabagisme, surtout à des patients qui n’étaient pas prêts à arrêter1. Avec le temps et en se servant de leurs aptitudes existantes en communication, les employés de première ligne ont pris confiance. La plupart des patients appréciaient et voyaient d’un bon œil l’attention accordée par les coordonnateurs de la santé à leur tabagisme. Une fois que la situation de fumeur était systématiquement consignée dans le dossier médical ou électronique, un chiffrier était utilisé pour faire le suivi des progrès dans la cessation du tabagisme dans l’ensemble de la population de patients. Le projet expérimental se penchait aussi sur 3 risques associés au tabagisme: l’inactivité physique, la dépression et la consommation d’alcool à risque. Il est devenu évident que chaque risque comportait ses propres défis.
En quoi êtes-vous concernés?
Si vous êtes clinicien, votre pratique est-elle prête à amorcer une approche systématique à la cause la plus évitable de décès, le tabagisme? Dans l’affirmative, en nous fondant sur les meilleurs données probantes médicales et dans les termes les plus clairs et les plus forts, nous vous affirmons que votre pratique bénéficiera d’une intervention clinique systématique contre le tabagisme. Si vous êtes prêt maintenant, nous vous recommandons de fixer une date cible pour le lancement d’une approche améliorée en matière d’intervention clinique antitabac.
Si vous êtes responsable du financement ou des politiques en soins primaires, pouvez-vous trouver les ressources nécessaires aux soins préventifs (p. ex. personnel, espace, financement, formation et consultations continues avec des experts), ressources que vous pouvez y consacrer et soutenir5? Fiore et ses collaborateurs recommandent que les conseils donnés par les cliniciens soient clairs, convaincants et personnalisés5. Ils recommandent aussi que les administrateurs des soins de santé offrent du soutien en fournissant la formation, les ressources et une rétroaction adéquates, ainsi que du personnel spécialement voué au traitement de la dépendance au tabac.
Succès au Québec
En octobre 2000, le Québec a commencé à rembourser les médicaments pour cesser de fumer à n’importe quel fumeur dont le médecin endossait leur usage. La province a depuis élargi la couverture pour inclure tous les produits pour la cessation du tabagisme, qu’ils soient prescrits ou en vente libre, et permet leur utilisation pendant des périodes de temps prolongées.
Le rang du Québec parmi les provinces au chapitre de la prévalence du tabagisme a baissé du premier (30,0 %) en 1999 au cinquième (17,1 %) en 20127. C’est une victoire remarquable en prévention clinique et pour les composantes non cliniques du contrôle du tabagisme au Québec.
Conclusion
Pour réaliser le plein potentiel de la prévention clinique, 2 choses sont nécessaires: au niveau de la pratique, la mobilisation des ressources comme la participation du personnel de première ligne et, sur le plan du système de santé, un financement suffisant des ressources nécessaires à des soins cliniques préventifs, comme les médicaments pour cesser de fumer et le financement du personnel de première ligne.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2014 issue on page 221.
Intérêts concurrents
Dr Bass a siégé au comité consultatif sur la varénicline (Pfizer) et a agi comme conseiller auprès de Johnson and Johnson sur la thérapie de remplacement de la nicotine, ainsi que comme consultant dans un passé plus éloigné auprès d’autres entreprises pharmaceutiques qui commercialisaient des médicaments pour la cessation du tabagisme.
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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