En médecine familiale, nous avons besoin de cœur, en plus des connaissances médicales, pour travailler avec toute la beauté des soins centrés sur le patient et la mettre en pratique1. Pour reconnaître la beauté des soins centrés sur le patient, chaque clinicien doit garder l’esprit ouvert, par exemple en se souvenant que les patients et leur famille peuvent apprendre de nous ou nous enseigner et être nos mentors, peu importent leur âge, leur apparence, leur culture ou leur ethnicité2–4. Par conséquent, dans notre monde de diversité culturelle grandissante, nous devons continuer à élaborer à partir des travaux qui ont donné lieu à Can-MEDS–Médecine familiale et au Cursus Triple C axé sur le développement des compétences6, dans le but de définir les connaissances, les habiletés et les attitudes nécessaires à des soins centrés sur le patient dans un contexte culturel. Les efforts additionnels devraient se concentrer sur la mise en œuvre d’objectifs visant des soins adaptés à la culture, l’instauration de stratégies pour intégrer des soins adaptés à la culture dans le cursus et le perfectionnement d’un corps professoral capable de prendre en compte les soins adaptés à la culture sur le plan local7.
Définition de la nécessité
Pourquoi des soins centrés sur le patient dans un contexte culturel sont-ils nécessaires? Le Canada est reconnu à l’échelle internationale pour sa diversité culturelle et son environnement propice à l’accueil de nouveaux arrivants de différentes cultures. Ces nouveaux arrivants contribuent à la culture canadienne de nombreuses façons (p. ex. économiquement, culturellement, par l’innovation).
Dispenser des soins adaptés à la culture signifie que les professionnels de la santé et les établissements pour lesquels ils travaillent sont sensibles aux différences culturelles et adaptent leurs approches pour répondre aux besoins particuliers des patients et de leur famille8. Pour ce faire, les professionnels de la santé doivent mieux comprendre les nombreuses expressions qui décrivent la culture et les effets de la culture sur les personnes qu’ils desservent. En tant qu’enseignants, éducateurs et facilitateurs en médecine familiale, nous devons nous assurer que les étudiants, les résidents et les membres du corps professoral épousent les principes des soins centrés sur le patient et adaptés à la culture1 dans toutes les situations, pas seulement dans les circonstances où ils se sentent à l’aise.
À mesure que s’accroît la population de nouveaux arrivants au Canada, il devient de plus en plus important que la formation des résidents sur les soins adaptés à la culture tienne compte de ce profil démographique changeant9. Dans le contexte actuel de la formation et de l’éducation au niveau postdoctoral, les compétences entourant la sensibilité culturelle et la prestation de soins centrés sur le patient et adaptés à la culture sont énoncées dans le rôle du communicateur5. Le nouveau Cursus Triple C axé sur le développement des compétences6 définit et met en évidence l’importance de la compétence spécifique à l’établissement de relations de confiance centrées sur le patient avec les patients, les familles et les communautés. En ce qui a trait au rôle du communicateur5, on a commencé à élaborer le concept de la compétence culturelle sous le thème de la pertinence selon la culture et l’âge (c.-à-d. adapter la communication au patient, en particulier en fonction d’éléments comme la culture, l’âge et l’incapacité)7; toutefois, Laughlin et ses collaborateurs ont fait valoir qu’il reste encore à définir des comportements observables par les collègues et qui seraient les mieux évalués dans le contexte de la communication avec les patients et leur famille7.
Soins adaptés à la culture
Le terme culture désigne un ensemble d’idées et de pratiques semblables que partagent un groupe de personnes à propos des comportements et des valeurs appropriés8. Les personnes qui ont en commun ces attributs culturels fondamentaux ont souvent tendance à agir, à se nourrir et à s’habiller, ainsi qu’à voir la vie, de manières semblables10. La sensibilité aux réalités culturelles commence par concerne la reconnaissance que tous n’ont pas les mêmes antécédents culturels10. Elle fait aussi référence à la prise de conscience que tous les gens n’ont pas les mêmes comportements, valeurs et façons d’aborder la vie10. La sensibilité aux réalités culturelles commence avec la reconnaissance des divergences qui existent entre les cultures. Ces spécificités se reflètent dans les façons dont différents groupes communiquent et interagissent entre eux et elles se transposent dans les interactions avec les professionnels de la santé11.
La compétence culturelle est un ensemble de comportements, d’attitudes et de politiques qui convergent dans un système, dans un organisme ou chez des professionnels, et qui permet au système ou aux professionnels de travailler efficacement ensemble dans des contextes interculturels12. C’est un processus plutôt qu’un résultat12. Le ministère de la Santé de la Nouvelle-Écosse a cerné 8 activités reliées à la compétence culturelle que devraient entreprendre tous les professionnels des soins primaires, quels que soient leurs propres antécédents culturels (Encadré 1)12.
Pratique réflexive
Le modèle de la fenêtre de Johari (Figure 1)13–15 est un outil qui peut nous aider à mieux comprendre comment communiquer avec autrui. Quand il est appliqué à la pratique personnelle, il offre un cadre ou un contexte à partir duquel réfléchir aux interactions avec les patients. En tant qu’outil, il peut servir à clarifier la conscience de soi et la compréhension réciproque entre les différents membres d’un groupe et avec les membres d’autres groupes.
Huit activités reliées à la compétence culturelle
Le ministère de la Santé de la Nouvelle-Écosse a cerné les 8 activités suivantes que les professionnels des soins primaires devraient entreprendre:
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Données provenant du ministère de la Santé de la Nouvelle-Écosse12
Si nous examinons de plus près les 8 activités de la compétence culturelle du ministère de la Santé de la Nouvelle-Écosse (Encadré 1)12 et le modèle de la fenêtre de Johari, un thème se dégage: la nécessité de la pratique réflexive. Des conseils et des principes généraux relatifs à la pratique réflexive ont été élaborés en se fondant sur le cycle en 3 étapes de la planification, de l’action et de la révision16. Les principes généraux se lisent comme suit16,17.
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Savoir quand et où la pratique réflexive est appropriée. Si, en tant que cliniciens, nous n’identifions pas d’abord les domaines où la compétence est insuffisante, il n’est pas possible de prendre des mesures pour améliorer la pratique.
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Réfléchir à la situation, aux gestes posés et au pourquoi. Cette réflexion porte sur les pensées et les sentiments à l’instant précis; les partis pris, les valeurs et les présomptions; les points de vue des patients; et les expériences antérieures qui auraient pu conduire à un geste en particulier ou à l’inaction.
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Rechercher des sources de rétroaction (p. ex. recherche documentaire, consultation avec des collègues).
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Réfléchir aux leçons apprises.
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Produire un plan d’action pour modifier les agissements et améliorer les résultats.
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Mettre en œuvre le plan d’action établi et surveiller les changements au fil du temps.
II importe de souligner qu’une réflexion efficace ne se limite pas à simplement penser à un événement ou à la circonstance en particulier; elle comporte aussi la création d’un plan d’action conçu pour produire le changement souhaité. Elle exige également la surveillance de la mise en œuvre du plan avec le temps. Par conséquent, un clinicien qui s’adonne à la pratique réflexive sera capable de reconnaître des éléments dans la pratique, l’enseignement ou la recherche qui nécessitent des améliorations.
Nous présentons ici un cas aux fins d’une pratique réflexive.
Je suis allé visiter M. A. à l’hôpital pour voir comment lui et son épouse allaient, surtout qu’ils ont 2 enfants en bas âge. J’ai toujours considéré M. A. comme un homme joyeux, mais le voir ainsi, couché sur un lit d’hôpital à pleurer de douleur, ne concordait pas avec la personne que je connaissais. Sa femme et un autre membre de la famille étaient à son chevet. Le médecin traitant l’avait évalué et lui avait dit qu’il n’avait pas de tolérance à la douleur et qu’il s’agissait probablement de simples douleurs musculaires. M. A. s’attendait à ce que le médecin traitant lui prescrive des médicaments pour soulager sa douleur, lui demande de se relever et le renvoie à la maison aussitôt que possible.
La conjointe de M. A, une femme forte, enthousiaste et bien éduquée, était assise en larmes à côté du lit de son mari. En discutant avec elle un peu plus, j’ai appris que M. A., qui continuait de hurler de douleur, n’avait pas été questionné par le médecin traitant pour savoir son histoire, ce qui aurait permis à M. A. d’expliquer ses antécédents et les raisons qui l’amenaient à demander des soins. Le médecin traitant n’avait pas établi de contact oculaire avec la conjointe de M. A ni lui avait-il adressé la parole, ce qui aurait pu lui faire mieux comprendre l’état de santé de M. A.
En parlant avec le patient dans le lit d’à côté, M. A. et son épouse ont appris que lui et sa famille étaient très impressionnés par les bons soins reçus du médecin traitant. Ils ont expliqué que ce même médecin s’était assuré que lui et sa famille comprenaient clairement le diagnostic et ce qui allait se produire ensuite.
M. A. et sa femme étaient surpris de la manière différente avec laquelle le même médecin traitant avait communiqué et agi avec l’autre patient et sa famille à propos de son problème médical et du pronostic, et de la façon dont le même médecin avait soigné différemment les 2 patients.
Le cas présenté soulève les questions suivantes.
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Le médecin était-il conscient qu’il avait traité différemment ces 2 patients et leur famille?
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Quelles pourraient être certaines des raisons qui expliqueraient pourquoi le médecin a traité ces 2 patients et leur famille différemment?
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Si le médecin et M. A. étaient de cultures différentes, le médecin était-il mal à l’aise de traiter ce patient et sa famille qui étaient d’une autre culture?
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Les antécédents culturels ou l’ethnicité du médecin influençaient-ils les soins centrés sur le patient?
Conclusion
De tels scénarios devraient être évités, mais ils ne sont pas rares. Il est donc prometteur que les compétences culturelles soient abordées dans les documents fondamentaux5,6; par ailleurs, il faudra des travaux dans les domaines de la mise en œuvre et du perfectionnement professoral pour que la beauté de la mise en application des soins centrés sur le patient dans un contexte culturel soit intégrée dans la pratique au quotidien.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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This article is also in English on page 313.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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