Traditionnellement, les médecins de famille qui s’intéressaient aux travaux d’érudition n’avaient pas d’autres choix que de travailler dans un centre hospitalier universitaire où l’enseignement allait de pair avec les aspects scientifiques de la nomination universitaire. Toutefois, au cours des dernières années, la formation médicale s’est élargie au-delà des centres hospitaliers universitaires pour se retrouver dans les communautés avoisinantes. On a recruté de nouveaux membres du corps professoral dans la communauté, ouvrant ainsi la voie à leur participation à d’intéressantes possibilités de travaux d’érudition.
Par ailleurs, lorsque les nouveaux enseignants envisagent ce que signifie devenir des «érudits», ils se sentent souvent intimidés par le cheminement qu’ils pensent devoir faire. Même si je peux comprendre l’appréhension (je suis moi-même médecin dans la communauté), je voudrais explorer la notion que l’érudition scientifique comporte bien plus encore que le rôle stéréotypé du principal chercheur dans un projet financé par une importante subvention qui se traduit par de multiples publications dans des revues à impact élevé.
Qu’est-ce que l’érudition scientifique?
Dans son ouvrage de référence en 1990, Scholarship Reconsidered: Priorities of the Professoriate, Boyer remettait en question la notion que l’érudition se limitait à la traditionnelle activité de la recherche inédite1. Ses écrits ont été bien accueillis et la plupart des enseignants en médecine ont vu d’un bon œil cette notion que l’érudition incluait de nombreuses autres activités, comme l’érudition de la découverte, de l’enseignement, de l’intégration et de l’application1.
Beaucoup d’encre a coulé à propos des travaux de Boyer durant les années qui ont suivi leur publication. Des articles ont décrit les activités d’érudition entreprises par des enseignants en médecine qui devraient être prises en compte pour une promotion universitaire2, ainsi que les attributs particuliers qui font en sorte que les travaux sont considérés comme appartenant à la classe de l’érudition3. Dans le présent article, j’espère offrir un aperçu pratique des façons dont les enseignants en médecine familiale communautaire peuvent entreprendre une carrière d’érudition en participant à des activités qui constituent déjà leur travail d’enseignant communautaire au quotidien, mais en abordant ces activités selon un angle un peu différent. J’expliquerai aussi comment faire reconnaître ces activités comme satisfaisant aux critères formels de l’érudition en milieu universitaire.
L’érudition de l’enseignement
L’enseignement à des apprenants en médecine comporte bien plus que la seule supervision clinique. Les enseignants présentent aussi des cursus préétablis, évaluent les étudiants et aident formellement aux plus nouveaux enseignants qui en sont à leurs débuts dans le partage de leurs connaissances. Toutes ces activités font partie de la catégorie de l’érudition de l’enseignement.
Enseignement en milieu clinique
On s’attend de nous, en tant qu’enseignants en médecine familiale, que nous ayons tous la capacité de communiquer des connaissances et des habiletés fondées sur des données probantes à nos apprenants. Nous devrions être en mesure de répondre aux questions des étudiants en utilisant des données probantes et des habiletés en réflexion critique. L’amélioration de notre capacité d’utiliser des données probantes dans notre enseignement est une possibilité incroyable d’entreprendre un cheminement vers l’érudition.
La première étape consiste à s’engager à aborder l’enseignement avec une attitude d’érudit. Les stagiaires peuvent nous inspirer de l’appréhension lorsqu’ils demandent sans détour «Quelles sont les données probantes à l’appui de ce que vous faites?». Plutôt que d’éviter la question en paraissant trop occupé, suggérez à l’étudiant de chercher les données probantes de manière à ce que vous puissiez les examiner tous les 2 à une date ultérieure. Il peut ou non y avoir de bonnes données probantes étayant votre intervention; par contre, vous pourriez trouver de précieux renseignements susceptibles de vous aider tous 2 à l’avenir et, de ce fait, vous avez démontré l’importance de tenir compte des données probantes dans la pratique.
L’étape suivante est de vous familiariser avec des sites fondés sur des données probantes aisément accessibles. Tous les membres du corps professoral devraient avoir accès aux bibliothèques de leurs universités qui fournissent des liens vers des sources d’information fondée sur des données probantes (p. ex. base de données Cochrane, DynaMed). Les membres du corps professoral devraient profiter des avantages que leur donne leur carte de la bibliothèque!
Si vous vous êtes déjà engagé à utiliser des données probantes et que vous êtes familier avec les ressources que vous procure votre nomination universitaire, envisagez de partir un club de lecture local ou de former un groupe d’enseignants en médecine factuelle. Contribuez à faire de l’enseignement érudit la norme dans votre pratique ou votre communauté en mobilisant d’autres collègues dans de telles activités.
Enseignement formel
Ceux qui ont été appelés à devenir les enseignants des apprenants en médecine l’ont été pour une raison: d’autres personnes respectent leurs habiletés et pensent qu’ils ont quelque chose à enseigner. Une façon de s’engager davantage dans l’érudition scientifique est d’envisager d’enseigner à vos collègues et à vos apprenants d’une manière plus formelle.
Vous pouvez commencer par donner quelques trucs sur l’enseignement à d’autres personnes dans votre pratique. Faites connaître vos idées concernant l’enseignement dans cet environnement informel. Laissez savoir aux autres ce qui a bien fonctionné pour vous et les aspects de l’enseignement qui ont été les plus difficiles.
Faites passer votre enseignement au prochain niveau en offrant d’animer une séance de perfectionnement professoral dans votre communauté. Vous pouvez inviter un conférencier et faire la présentation à 2 ou encore donner votre propre présentation. Assurez-vous que votre présentation s’appuie sur les plus récents enseignements en la matière et encouragez l’auditoire à poser des questions et à donner des commentaires. Les présentations devant des pairs de votre région représentent une excellente façon d’enseigner de manière un peu plus formelle et de recevoir une rétroaction dans un contexte intime et de soutien.
Si vous avez confiance en vos habiletés de présentation, offrez d’animer une séance de formation à l’échelle du département. La plupart des facultés offrent diverses possibilités de faire des présentations aux enseignants ou aux apprenants. L’enseignement pour le compte du département peut être extrêmement enrichissant, car il permet d’interagir avec un réseau d’autres enseignants et met en évidence vos habiletés particulières devant le département tout entier.
Élaboration de cursus ou de programme
J’entends parfois des enseignants en médecine familiale dans la communauté se plaindre de la pertinence du cursus «élaboré par le centre». La bonne nouvelle, c’est que la participation à l’élaboration d’un cursus ou d’un programme est une excellente façon pour un enseignant de faire de l’érudition scientifique.
Comme je l’ai mentionné dans la section sur l’enseignement formel, vous pouvez commencer par vous intéresser activement à la façon dont se donne la formation dans votre pratique familiale. Décidez de la façon dont devrait se dérouler la formation des apprenants concernant la portion de la pratique familiale. Par exemple, si un de vos collègues a un intérêt particulier et si vous croyez que tous les apprenants devraient passer 1 ou 2 jours avec lui, faites de cette activité une exigence formelle pour tous les apprenants dans votre cabinet.
Si vous souhaitez avoir davantage un mot à dire quant à la façon dont les apprenants progressent dans votre contexte régionalisé, informez-vous s’il existe un comité d’éducation local. Dans l’affirmative, demandez d’assister à une réunion pour pouvoir exprimer vos commentaires. Si vous aimez ce genre de travail, faites-vous un point d’honneur de participer à toutes ces rencontres.
Enfin, si vous voulez contribuer encore plus, envisagez de participer à l’élaboration du cursus centralement. Quoique de nombreuses facultés aient un comité permanent formel du cursus, il pourrait y avoir des sous-comités qui se rencontrent pour discuter d’aspects précis du cursus. Informez-vous auprès du directeur d’établissement local ou au président du comité si vous pouvez y participer.
Évaluation des apprenants
Des enseignants en médecine familiale en milieu communautaire se préoccupent parfois de la façon dont nous évaluons nos apprenants. Des commentaires comme «Nous assurons-nous véritablement que nos apprenants sont prêts pour le vrai monde de la médecine?» sont fréquents. Tous ceux qui enseignent à des stagiaires en médecine participent à leurs évaluations et, heureusement, l’évaluation des apprenants est une autre excellente occasion de s’adonner à l’érudition.
Commencez par passer en revue comment le processus d’évaluation formelle se déroule à votre université. Si vous avez des questions ou des préoccupations, exprimez-les. Il pourrait y en avoir d’autres qui partagent vos idées. Familiarisez-vous avec le Cursus Triple C axé sur le développement des compétences4,5 du Collège des médecins de famille du Canada pour mieux comprendre ce que le Collège attend des résidents. Examinez comment vous pourriez le mieux évaluer les apprenants dans votre environnement et partagez ce que vous avez appris avec d’autres enseignants dans votre pratique.
Si vous avez des idées de la façon dont l’évaluation de la compétence devrait être utilisée dans votre milieu communautaire particulier, discutez-en avec le comité local d’éducation ou un dirigeant dans votre établissement communautaire. Demandez comment vous pourriez prendre part aux travaux du comité central responsable de l’évaluation des apprenants.
L’érudition de la recherche
Si le fait de s’engager dans l’érudition de la découverte, de l’intégration et de l’application, aussi connue sous le nom de recherche, semble le plus redoutable de tous les aspects de l’érudition scientifique, c’est peut aussi être le plus agréable. Comme dans tous les autres domaines de l’érudition scientifique, il existe de nombreuses façons de participer à la recherche: soutenir les travaux d’autrui, réviser les travaux d’autrui et entreprendre votre propre projet de recherche. Vous trouverez au Tableau 16 plus d’explications de ces activités reliées à la recherche.
Façons d’entreprendre de la recherche
Est-ce considéré comme de «l’érudition»?
La participation aux activités pédagogiques discutées précédemment vous fera démarrer dans un cheminement menant à une plus grande érudition dans votre vie d’enseignant. Toutefois, pour que notre enseignement soit considéré une activité «d’érudition», il doit s’appuyer sur les plus récents concepts pédagogiques et être ouvert à la discussion et à la critique par nos pairs3. Envisagez d’autres possibilités éducatives qui pourraient exister à votre université pour appuyer les enseignants dans leurs efforts afin de vous assurer d’avoir l’occasion de prendre part à de telles discussions et analyses. Adhérez à la Section des enseignants du Collège et participez à des conférences où de tels concepts sont discutés et ainsi commencer à comprendre cet aspect de l’érudition.
Enfin, nous pouvons assurer que le produit de nos travaux—en enseignement, en élaboration de cursus, en évaluation des apprenants ou en recherche—est considéré comme le produit de l’érudition s’il est communiqué d’une manière permettant la critique et l’évaluation par des pairs et s’il aide d’autres personnes à apprendre de ce que l’on a réalisé et à s’en servir comme fondement d’une élaboration plus poussée3.
Si vous voulez que vos travaux soient considérés comme le produit de l’érudition, voici quelques activités susceptibles de vous aider.
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Commencez par demander à vos collègues leurs commentaires sur vos travaux dans l’une ou l’autre des activités mentionnées ici (p. ex. enseignement, recherche) lors d’une rencontre locale d’enseignants.
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Demandez la rétroaction d’un groupe de recherche formel qui se réunit à votre université.
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Informez-vous s’il y a des forums où vous pourriez faire connaître vos travaux à l’ensemble du département pour obtenir des commentaires.
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Faites des présentations à des conférences locales ou nationales (p. ex. Forum en médecine familiale).
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Envisagez de faire une présentation à des conférences internationales (p. ex. Ottawa Conference on the Assessment of Competence in Medicine).
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Soumettez vos travaux à une revue. Cette tâche peut sembler la plus difficile de toutes; par ailleurs, il y a différents types de contributions que vous pourriez faire: rédiger une lettre au rédacteur; présenter un commentaire; soumettre un article pratique, comme ceux que l’on trouve dans la section de la pratique clinique du Médecin de famille canadien; présenter une description de programme; soumettre un article sur votre recherche inédite. Passez en revue les directives sur les types d’articles de façon à ce que la présentation de vos travaux se conforme aux exigences de la revue.
Conclusion
L’érudition scientifique est un vaste domaine offrant de nombreuses possibilités différentes d’épanouissement et d’apprentissage. À mesure que la médecine familiale accentue sa présence dans cette communauté plus large, il est essentiel que les enseignants en médecine familiale en milieu communautaire acquièrent la confiance et les habiletés qui leur permettront de jouer un rôle significatif dans le monde de l’érudition de leurs départements. Il n’est pas nécessaire que le cheminement de l’érudition soit intimidant; il peut être une aventure intéressante lorsqu’il est adapté aux besoins, au degré de confiance, aux intérêts et à l’expertise de la personne en particulier.
Notes
CONSEILS POUR L’ENSEIGNEMENT
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L’érudition scientifique peut être une aventure intéressante lorsqu’elle est adaptée aux besoins, au degré de confiance, aux intérêts et à l’expertise de la personne en cause.
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L’érudition de l’enseignement ne se limite pas à la simple supervision des stagiaires en médecine. Parmi les autres activités, on peut mentionner les approches pédagogiques à l’enseignement dans des milieux cliniques, l’enseignement formel aux collègues et aux apprenants, l’élaboration de programmes et de cursus et l’évaluation des apprenants.
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Pour vous engager dans l’érudition de la recherche, essayez les activités suivantes: soutenir les travaux d’autres personnes (p. ex. participer à des études de recherche d’autres collègues), réviser le travail d’autrui (p. ex. devenir évaluateur pour une revue) ou entreprendre votre propre projet de recherche.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien et coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada. La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en insistant sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Miriam Lacasse, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à Miriam.Lacasse{at}fmed.ulaval.ca.
Footnotes
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the April 2014 issue on page 388.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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