Les médecins de famille ont accès à de multiples sources électroniques de savoir (SES) fondé sur des données probantes pour trouver, au besoin, des recommandations de traitements. De plus, des ressources reçues par courriel, comme les faits saillants de e-Thérapeutique+ (e-Therapeutics+ Highlights), aident les MF à se tenir à jour. Les faits saillants sont choisis à partir du contenu de e-Thérapeutique+, une référence canadienne en soins primaires rédigée, mise à jour et évaluée par des médecins et des pharmaciens canadiens. L’accès à des SES contribue à la formation médicale continue (FMC) et à la transposition du savoir1. Dans le cadre de 2 récentes études longitudinales2,3, dont l’une est publiée dans le présent numéro du Médecin de famille canadien (page e259)2, les MF anticipaient que des bienfaits pour la santé de leurs patients découleraient de l’utilisation de l’information fondée sur la recherche et reçue par courriel. Les résultats font valoir que les MF utilisent les données probantes envoyées par courriel à un moment ultérieur (c.-à-d. mettre en pratique les données probantes), ce qui constitue une transposition du savoir à 1 sens.
Le présent commentaire expose nos travaux sur la transposition à 2 sens du savoir qui, selon nous, pourrait se traduire par des données probantes «meilleures que les meilleures» (Tableau 1). Nous définissons la transposition à 2 sens du savoir comme un processus d’interaction continue entre les fournisseurs d’information qui mettent à jour et présentent les «meilleures» données probantes disponibles et les utilisateurs d’information qui évaluent ces données factuelles et présentent une rétroaction constructive. En retour, les fournisseurs d’information pourraient utiliser ces commentaires pour optimiser leurs données probantes, qui sont ensuite rendues accessibles en ligne pour qu’elles soient à nouveau extraites au besoin par les utilisateurs d’information. Autrement dit, les renseignements tirés de la recherche et envoyés par courriel peuvent être améliorés en s’appuyant sur l’information fondée sur l’expérience transmise par les professionnels de la santé.
Comparaison de la transposition du savoir à 1 sens par rapport à la transposition à 2 sens
Contexte
Comme l’illustre la Figure 1, la transposition à 2 sens du savoir repose sur la prémisse que les utilisateurs d’information, comme les MF en pratique, ont une expertise pertinente. Pour paraphraser Richard Smith, ancien rédacteur en chef du BMJ, la plupart des MF ne sont pas des scientifiques4. La majorité des MF n’ont pas suivi d’études supérieures en recherche et ils s’adonnent rarement à la recherche ou à la synthèse critique de la recherche; toutefois, ils ont une «expertise technique spéciale en conséquence de leur expérience»5, ce qui confère de la légitimité à leurs opinions au sujet de l’information fondée sur la recherche. La production d’une information basée sur la recherche met à contribution 3 types d’expertise: expérientielle, contributoire et interactive. Les personnes qui ont une expertise expérientielle (p. ex. les MF) ont une expérience pratique du sujet dont il est question dans l’information fondée sur la recherche. Les chercheurs scientifiques, qui ont «assez d’expérience pour contribuer à la science de ce domaine»5, ont une expertise contributoire. Les personnes qui ont une expertise interactive (p. ex. les rédacteurs) ont «assez d’expertise pour interagir de manière intéressante» avec les chercheurs et peuvent faire la synthèse de la recherche. Ces 3 types d’expertise ne sont pas des «genres idéaux» qui s’excluent réciproquement. Par exemple, une personne pourrait combiner les 3 types d’expertise et être à la fois chercheur, praticien et rédacteur clinique. Pour avoir un processus efficace de transposition à 2 sens du savoir, notre expérience laisse croire que les fournisseurs d’information doivent reconnaître que les utilisateurs de renseignements sont des experts techniquement qualifiés pour donner des suggestions afin de préciser ou d’enrichir le contenu, ainsi que pour porter une attention éditoriale aux plus récents développements dans le domaine, aux données probantes contradictoires et aux différences régionales dans les recommandations.
Reconnaître 3 types d’expertise pour la transposition à 2 sens du savoir
Évaluation longitudinale d’un programme de FMC
Nous avons exploré la question suivante: l’incitation des MF à donner de la rétroaction pourrait-elle améliorer encore davantage l’information basée sur la recherche envoyée par courriel? Trois organisations ont participé à une évaluation longitudinale prospective d’un programme de FMC: l’Association des pharmaciens du Canada (APhC) à Ottawa, en Ontario, le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) à Mississauga, en Ontario, et l’Université McGill à Montréal, au Québec. Nous avons obtenu l’approbation du Bureau de l’éthique en recherche de la Faculté de médecine de l’Université McGill en ce qui a trait à l’éthique de l’étude. L’APhC publie e-Thérapeutique+, une SES qui présente des recommandations thérapeutiques à jour et fondées sur des données probantes. Nous avons choisi 51 faits saillants dans le contenu de e-Thérapeutique+ et les avons envoyés par courriel aux quelque 17 000 membres du CMFC en 20102.
Le questionnaire Information Assessment Method (IAM ou méthode d’évaluation de l’information) a servi à inciter les médecins à donner leurs commentaires et à recueillir la rétroaction. Le questionnaire IAM est une méthode validée pour évaluer la valeur de l’information sur le plan de sa pertinence, de son impact cognitif, de son utilisation et de ses bienfaits prévus pour la santé6. Les participants ont été appelés à coter chaque fait saillant à l’aide du questionnaire IAM et ils pouvaient aussi exprimer leurs commentaires en texte libre. Pour chaque fait saillant évalué, les répondants recevaient 0,1 crédit Mainpro-M1. En 2010, 5 346 membres du CMFC ont coté au moins 1 fait saillant à l’aide du questionnaire IAM, ce qui en a fait l’un des programmes de FMC de ce genre le plus populaire au Canada2,3.
Nous avons passé en revue tous les commentaires en texte libre pour cerner «la rétroaction potentiellement constructive» (c.-à-d. les commentaires susceptibles d’améliorer e-Thérapeutique+). La sélection de la rétroaction possiblement constructive se fondait sur des critères élaborés en partenariat avec des chercheurs de McGill et des rédacteurs de l’APhC. Ces commentaires ont ensuite été envoyés aux rédacteurs de l’APhC qui ont fait des recherches plus approfondies et ont travaillé avec des auteurs et des évaluateurs experts de l’APhC pour réviser, au besoin, le contenu de e-Thérapeutique+.
Nous avons défini les commentaires de rétroaction constructive comme étant ceux ayant effectivement entraîné des changements au contenu. Ces commentaires étaient codés selon 4 types de rétroaction constructive par 2 évaluateurs indépendants à l’aide d’un barème de codage (D.L.T., P.P.). Ce barème de codage avait été antérieurement élaboré en 3 étapes: à l’aide d’un échantillon de commentaires, 2 chercheurs proposaient des codes initiaux qui étaient ensuite peaufinés par des chercheur et des rédacteurs de l’APhC, puis mis à l’essai et révisés par 2 chercheurs (P.P., R.G., C.R., B.J., D.L., D.L.T., V.G.). Les scores de fiabilité interévaluateurs (test statistique κ de Cohen) ont été calculés au moyen de la version 19 du logiciel SPSS. Les scores de fiabilité ont été interprétés comme étant indicateurs d’un accord substantiel (0,61 à 0,80) ou d’un parfait accord (0,81 à 1,00)7.
Commentaires de rétroaction constructive reçus
Nous avons reçu 31 429 questionnaires complétés, dont 4 166 (13,3 %) contenaient des commentaires en texte libre. Au total, 682 (2,2 %) commentaires ont été cernés comme étant une rétroaction potentiellement constructive et ils ont été présentés à l’APhC. Dans l’ensemble, 126 (0,4 %) commentaires ont été confirmés comme étant une rétroaction constructive menant à des changements dans e-Thérapeutique+. Au total, 116 MF ont exprimé des commentaires de rétroaction constructive sur 31 faits saillants. Ils ont soumis en moyenne 1,1 commentaire de rétroaction constructive (minimum 1; maximum 3). Chacun des 31 faits saillants était associé à 4,1 commentaires de rétroaction constructive en moyenne (minimum 1; maximum 25). Nous avons classifié les 126 commentaires de rétroaction constructive en utilisant le test statistique κ de Cohen pour calculer chaque type: contenu additionnel, réserves ou désaccord, données probantes contradictoire et nécessité d’une clarification. Il y a eu 79 suggestions de contenu additionnel (62,7 % des commentaires; κ = 0,82), 26 commentaires qui exprimaient des réserves ou un désaccord à l’égard du contenu (20,6 % des commentaires; κ = 0,74), 24 suggestions de tenir compte de données probantes contradictoires (19,0 % des commentaires; κ = 1,00), et 9 commentaires concernant la nécessité de préciser le contenu (7,1 % des commentaires; κ = 0,65). Étant donné que 12 commentaires de rétroaction constructive étaient codés sous 2 types, le pourcentage cumulatif est supérieur à 100 %. En se fondant sur le test statistique κ, les évaluateurs étaient considérablement ou totalement d’accord; par conséquent, le barème de codage proposé pour catégoriser les commentaires de rétroaction constructive est fiable et il est présentement utilisé manuellement pour choisir la rétroaction potentiellement constructive pour l’APhC.
Conclusion
La rétroaction constructive représentait 3,0 % (126 des 4 166) de tous les commentaires écrits. Le fournisseur d’information, l’APhC, a apprécié l’utilité de la collecte et de l’intégration systématiques de la rétroaction des utilisateurs dans leur processus rédactionnel. Ce processus de transposition à 2 sens du savoir semble unique en ce qui a trait à la gestion des SES8. Nous avons fait une recherche documentaire et nous n’avons pas trouvé d’autres travaux examinant comment la rétroaction des professionnels de la santé pourrait être utilisée pour améliorer les SES.
Avant d’utiliser le questionnaire IAM, l’APhC recevait occasionnellement des commentaires des utilisateurs (2 ou 3 par semaine). Ce questionnaire a incité et recueilli une rétroaction à l’égard des faits saillants de e-Thérapeutique+ et a permis une transposition à 2 sens du savoir, ce qui est bénéfique autant pour le fournisseur d’information que pour l’utilisateur final. Du point de vue de l’APhC, la rétroaction des utilisateurs a optimisé le processus rédactionnel et le contenu de leur source de savoir. Selon la perspective des utilisateurs des connaissances, notamment les membres du CMFC, leurs voix ont été entendues et ils ont contribué à la production de données probantes «meilleures que les meilleures». Conformément aux principes du marketing relationnel9, de fait d’être ouvert à la rétroaction des utilisateurs et de traiter de tels commentaires en temps opportun peut améliorer les sources de savoir et aider les fournisseurs d’information à entretenir leurs relations avec les utilisateurs en valorisant leur expertise.
Remerciements
Dr Pluye est détenteur d’une bourse salariale pour nouveau chercheur des Instituts de recherche en santé du Canada. Ce travail découle d’un projet financé par le Programme d’application des connaissances de fin de subvention des Instituts de recherche en santé du Canada. Les rédacteurs de l’Association des pharmaciens du Canada qui ont contribué à cette étude sont Angela Ross, Jo-Anne Hutsul, Geoff Lewis, Hélène Perrier et Marc Riachi.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 415.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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