La sarcoïdose est une maladie multisystémique granulomateuse de pathogenèse imprécise qui peut toucher n’importe quel organe1. Des manifestations cutanées sont présentes chez 20 % à 35 % des patients. On classe les lésions cutanées comme étant spécifiques ou non spécifiques selon la présence observée ou non de granulomes non caséifiants lors des études histologiques. Parmi les lésions spécifiques, on peut mentionner, entre autres, les maculopapules, les plaques, les nodules, le lupus pernio, l’infiltration de cicatrices, l’alopécie, les lésions ulcéreuses et l’hypopigmentation. La lésion non spécifique la plus courante est l’érythème noueux. Il existe aussi d’autres manifestations plus rares, notamment des calcifications, du prurigo, de l’érythème multiforme, l’hippocratisme digital et la dermatose fébrile aiguë neutrophilique2. Nous présentons un cas d’urticaire chronique de cause inconnue qui, après 6 mois de traitement aux antihistaminiques, manifestait des symptômes conformes à ceux d’une maladie respiratoire associée à une atteinte systémique.
Cas
Notre service assurait le suivi d’un homme de 34 ans souffrant d’urticaire chronique qui avait peu réagi à un traitement aux antihistaminiques d’une durée de 6 mois (Figure 1). Au cours des 2 derniers mois du traitement aux antihistaminiques, le patient présentait des symptômes constitutionnels non spécifiques, y compris de la fièvre, une perte de poids, de la fatigue, une dyspnée et une toux sèche. Des tests par piqûres épidermiques ont été effectués avec des aéroallergènes et des aliments standards. On a aussi procédé à des analyses en laboratoire (notamment la mesure du niveau des enzymes de conversion de l’angiotensine [ECA]), à des études de la fonction pulmonaire, à un test à la tuberculine, à des radiographies thoraciques, à une tomodensitométrie et à une biopsie du poumon.
Les tests cutanés ont été réalisés au moyen des aéroallergènes les plus courants dans notre région épidémiologique, y compris les moisissures (Alternaria, Aspergillus, Cladosporium et espèces Penicillium); tous les tests ont produit des résultats négatifs. Les résultats du test à la tuberculine étaient aussi négatifs. Les études de la fonction pulmonaire ont révélé un processus pathologique mixte sans réponse à un bronchodilatateur et un déclin modéré dans la capacité de diffusion. La radiographie des poumons et la tomodensitométrie thoracique ont montré une lymphadénopathie médiastinale et hilaire, ainsi qu’une infiltration réticulonodulaire bilatérale et diffuse (Figure 2). La biopsie transbronchiale des poumons révélait la présence de granulomes non caséifiants. Les cultures bactériennes et mycobactériennes ont produit des résultats négatifs. Quant aux analyses des expectorations, les résultats de la culture bactérienne n’étaient pas concluants et la teinture à l’hydroxyde de potassium n’a pas permis de découvrir la présence d’hyphes provenant de fongus filamenteux. Les analyses sanguines ont montré que le niveau d’ECA se situait à 141 μg/l.
Les changements pulmonaires observés à la radiographie thoracique étaient conformes à ceux d’une sarcoïdose de stade 2. La Figure 3 est la radiographie thoracique prise après 6 mois de traitement aux corticostéroïdes; elle montre une amélioration partielle des infiltrations pulmonaires. Après 12 mois de traitement aux corticostéroïdes par voie orale dont la dose a été progressivement diminuée, le patient n’avait plus de symptômes cutanés ou respiratoires et son niveau d’ECA était normal. Fait intéressant, 3 semaines après la fin du traitement aux corticostéroïdes, le patient a vu sa toux et sa dyspnée s’intensifier, ce qui a conduit à sa réadmission à l’hôpital en raison d’une insuffisance respiratoire et de l’apparition d’une atteinte interstitielle nodulaire diffuse à la radiographie pulmonaire. Son niveau d’EAC avait triplé par rapport à la dernière mesure et les manifestations cutanées étaient absentes.
Lésions cutanées et radiographie thoracique avec résultats négatifs à la première présentation avec de l’urticaire
Radiographie thoracique et tomodensitométrie après 6 mois de traitement sans succès aux antihistaminiques pour l’urticaire: Les études montrent une lymphadénopathie médiastinale et hilaire, ainsi qu’une infiltration réticulonodulaire bilatérale et diffuse.
Radiographie thoracique après 6 mois de traitement aux corticostéroïdes par voie orale montrant une amélioration partielle des infiltrations pulmonaires
Discussion
Nous avons effectué une recherche documentaire exhaustive à l’aide des termes MeSH urticaria et sarcoidosis dans PubMed et avons choisi les articles publiés de 1997 à 2011. La détermination de la pathogenèse de l’urticaire chronique représente un défi clinique chez la plupart des patients. L’urticaire chronique peut être la première manifestation de diverses maladies systémiques infectieuses et inflammatoires. La sarcoïdose est un syndrome granulomateux caractérisé par la présence de granulomes non caséifiants. Selon les estimations, sa prévalence est de 40 cas par 100 000 personnes en Europe et les pays du nord de l’Europe rapportent une incidence plus élevée de sarcoïdose que ceux du sud de l’Europe. Les manifestations cutanées se produiraient chez environ 25 % des patients et prennent diverses formes de signes cutanés3. Les maculopapules semblent être le type de lésion le plus étroitement associé à la sarcoïdose aiguë. Selon notre expérience, l’urticaire chronique est une manifestation rare de la sarcoïdose. La prévalence de l’urticaire en tant que forme extrapulmonaire de la sarcoïdose est inconnue. La plupart des patients atteints de maladies systémiques développent éventuellement des symptômes cutanés4. Par conséquent, il faudrait évaluer tous les patients présentant des granulomes cutanés non caséifiants pour dépister une éventuelle sarcoïdose systémique et les réévaluer périodiquement. Toutefois, la décision de traiter la maladie peut être compliquée, étant donné son évolution imprévisible, notamment une rémission spontanée chez environ les 2 tiers des patients. Les corticostéroïdes systémiques devraient être utilisés comme agents de deuxième intention, lorsque la thérapie locale échoue ou n’est pas pratique. Les données sur l’efficacité des corticostéroïdes systémiques sont peu nombreuses5. La prise en compte de la sarcoïdose cutanée dans le diagnostic différentiel clinique de l’urticaire exige que les médecins associent l’urticaire avec l’atteinte systémique ou l’atteinte extracutanée d’un seul organe. Le potentiel d’une analyse histopathologique de la peau pour diagnostiquer la sarcoïdose pourrait être étudié à l’avenir.
Conclusion
La sarcoïdose est une maladie qu’il est possible de traiter et qui devrait être envisagée dans le diagnostic différentiel de l’urticaire chronique. Les patients devraient faire l’objet d’une réévaluation régulière par leurs médecins de famille pour discerner des causes exceptionnelles de l’urticaire.
Acknowledgments
Ces travaux ont été financés en partie par une subvention versée par la Comunidad de Madrid (S2010/BMD-2502 MITIC).
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
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L’urticaire chronique peut être la première manifestation de diverses maladies systémiques infectieuses et inflammatoires, y compris la sarcoïdose.
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La plupart des patients atteints de maladies systémiques développent éventuellement des symptômes cutanés. Par conséquent, tous les patients présentant des granulomes cutanés non caséifiants devraient être évalués pour dépister une éventuelle sarcoïdose systémique et être réévalués périodiquement.
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La décision de traiter la sarcoïdose peut être compliquée, étant donné son évolution imprévisible, notamment une rémission spontanée chez environ les 2 tiers des patients. Les corticostéroïdes systémiques devraient être utilisés comme agents de deuxième intention, lorsque la thérapie locale échoue ou n’est pas pratique.
Footnotes
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the June 2014 issue on page 546.
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Intérêts concurrents
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