Avant qu’un nouveau médicament puisse être vendu au Canada, il doit faire l’objet d’essais dans le contexte d’études contrôlées randomisées pour en évaluer l’innocuité et l’efficacité. Toutefois, lorsqu’il arrive sur le marché, il peut être utilisé par des populations différentes de celles des études; par conséquent, la gamme de ses réactions indésirables (RI) potentielles ne peut pas être connue entièrement avant son usage systématique dans la pratique clinique. Pour éviter ou minimiser les préjudices causés par les RI, la plupart des pays se servent de la surveillance post-commercialisation pour identifier aussitôt que possible les risques des nouveaux médicaments.
Les systèmes de pharmacovigilance dépendent du signalement de RI soupçonnées. Au Canada, la surveillance post-commercialisation repose surtout sur les rapports volontaires ou passifs des professionnels de la santé et des consommateurs. La surveillance passive est une approche efficace et rentable pour la détection des signes précoces, en raison de sa mise en œuvre aisée, de son coût peu élevé, de sa capacité à détecter des événements rares et de ses méthodes d’exploration des données bien développées. Elle est bien établie comme composante essentielle du monitoring de la sécurité et de l’efficacité des médicaments. Toutefois, la surveillance passive a aussi des limites bien connues: des problèmes de qualité des données, le sous-signalement, les dénominateurs absents ou inadéquats et le manque de groupes appropriés de comparaison pour confirmer les signes précurseurs. Le signalement des réactions indésirables, en particulier celui en provenance des consommateurs, n’est souvent pas suffisamment détaillé pour déterminer la nature de la relation entre le médicament et l’événement indésirable. Une révision systématique des études sur le sous-signalement en 2006 a révélé que le taux moyen de non-signalement s’élevait à 94 % (intervalle interquar-tile de 82 % à 98 %)1. Ces faibles taux de rapports étaient souvent reliés à la gravité de la réaction, à la durée d’existence du médicament sur le marché, à l’attribution des symptômes à un médicament (p. ex. reconnaissance d’une potentielle association) et au manque de connaissances sur le moment et la façon de signaler une RI. De plus, parce que les RI sont signalées sur une base volontaire par une population d’une taille inconnue (c.-à-d. dénominateurs manquants), les responsables de la règlementation ne peuvent pas déterminer la fréquence ou l’incidence des réactions.
Un meilleur accès à des données plus nombreuses et de plus grande qualité sur les patients pourrait surmonter plusieurs de ces limitations. Certains ont préconisé un signalement obligatoire des RI, ce qui imposerait un fardeau indu aux personnes et aux établissements concernés. Toutefois, le recours aux importantes bases de données des dossiers médicaux électroniques (DME), comme celle du Réseau canadien de surveillance sentinelle en soins primaires (RCSSSP), pourrait combler plusieurs des lacunes des systèmes de surveillance passive. Par exemple, l’utilisation de la base de données du RCSSSP pour la pharmacovigilance réglerait le problème considérable du sous-signalement et fournirait un dénominateur fiable permettant le calcul des taux ou de l’incidence des cas de RI. C’est pour-quoi le RCSSSP a travaillé avec la Direction des produits de santé commercialisés de Santé Canada pour déter-miner la faisabilité de l’utilisation des DME pour faciliter les signalements à Santé Canada. Cette approche, si elle réussit, rehausserait non seulement les efforts actuels pour la détection des signes indicateurs et rendrait moins nécessaire le signalement obligatoire, mais elle raffinerait et confirmerait aussi ces signaux.
En date de septembre 2013, la base de données du RCSSSP contenait 250 000 signalements de RI pour 600 000 patients. Dans quelle mesure ces données sur des événements indésirables sont-elles complètes? Pour le savoir, nous avons choisi 5 produits de santé de démonstration, y compris des bisphosphonates et de la rosiglitazone. Au total, 462 patients ayant des prescriptions datées antérieurement avaient signalé une RI à un bisphosphonate ou à la rosiglitazone. L’âge et le sexe étaient inscrits pour 461 de ces patients (99,8 %), tandis que la hauteur et le poids l’étaient pour 302 (65,4 %) et 342 (74,0 %) patients respectivement. L’ethnicité n’était pas suffisamment bien enregistrée, des données à cet égard n’étant présentes dans le champ approprié que pour seulement 28 patients (6,1 %).
Pour la pharmacovigilance, il importe avant tout d’avoir de l’information sur le produit en cause. Pour les bisphosphonates et la rosiglitazone, la force était enregistrée dans le champ pertinent pour 239 patients (51,7 %); la dose, dans le bon champ, pour 337 patients (72,9 %); et la voie d’administration dans le champ à cet effet pour 138 patients (29,9 %). Les renseignements manquants sur la force, la dose ou la voie d’administration se retrouvaient souvent ailleurs dans le dossier, mais pour l’extraire sous une forme utilisable, il aurait fallu plus de travail.
Des efforts supplémentaires sont nécessaires avant que le potentiel du RCSSSP puisse être maximisé en pharmacovigilance. Les données pharmaceutiques et sur les RI nécessiteraient une épuration et du codage. De plus, il faudrait que les médecins de soins primaires inscrivent les RI dans les cases appropriées et de manière uniforme dans les DME de leurs patients. Il n’en reste pas moins que les données recueillies systématiquement dans les soins cliniques et qui résident dans la base de données du RCSSSP offrent clairement une possibilité unique dans le domaine de la pharmacovigilance.
Acknowledgments
L’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) a financé cette publication. Les opinions exprimées ne représentent pas nécessairement celles de Santé Canada ni celles de l’Agence de la santé publique du Canada.
Notes
L’œil de la sentinelle est coordonné par le RCSSSP, en partenariat avec le CMFC, dans le but de mettre en évidence les activités de surveillance et de recherche entourant la prévalence et la prise en charge des maladies chroniques au Canada. Veuillez faire parvenir vos questions ou commentaires à Anita Lambert Lanning, gestionnaire du projet du RCSSSP, à all{at}cfpc.ca.
Footnotes
This article is also in English on page 678.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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