«Ça n’a aucun sens», laisse tomber Coco lapin.
«Non, répond humblement Winnie, ça n’a aucun sens. Mais il y en avait quand j’ai commencé. C’est juste qu’il s’est passé quelque chose en cours de route.»
A.A. Milne, Winnie l’ourson
Jusqu’à la publication, en novembre 2013, des lignes directrices fort attendues sur le traitement de la dyslipidémie par l’American Heart Association et l’American College of Cardiology (AHA-ACC)1, le traitement de la dyslipidémie visait surtout le taux de cholestérol des lipoprotéines de faible densité (LDL). Les lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie (SCC)2, révisées en 2012, appuyaient ces protocoles et étaient parmi les mieux étayées par des données probantes3. Cependant, ces directives, et celles qui précédaient, contenaient plusieurs énoncés dépourvus d’une base factuelle solide, dont les seuils et cibles thérapeutiques du LDL4,5, le recours à plusieurs médicaments pour atteindre ces cibles1,6 et le taux de protéine C-réactive à haute sensibilité (hsCRP) comme modificateur du risque7. Les nouvelles lignes directrices sur le traitement de la dyslipidémie de l’AHA-ACC1 reconnais-sent et résolvent ces problèmes.
Les cibles de LDL ont été éliminées.
Le risque CV sur 10 ans est utilisé comme seuil thérapeutique de référence lorsque le taux de LDL se situe entre 2,0 et 5,0 mmol/L. On ne fait référence au taux de LDL qu’à l’extrémité du spectre de prévention primaire; ce taux n’est plus utilisé comme seuil d’intervention.
Si un traitement pharmacologique est indiqué, il suffit de décider s’il faut utiliser une dose forte ou une dose modérée de statine. La lipidémie fait partie de l’évaluation globale du risque CV, mais elle n’est plus pertinente au type ou à l’intensité du traitement.
La réduction du risque à l’aide de médicaments fait appel aux statines. Aucun autre médicament ajouté aux statines n’améliore les indicateurs tangibles des résultats CV.
Le taux de protéine C-réactive à haute sensibilité est exclu de la décision thérapeutique.
Le Tableau 1 compare le traitement de la dyslipidémie préconisé par l’AHA-ACC et l’approche de la SCC1,2,8,9.
Le Tableau 21 identifie les 4 groupes de traitement qui profiteront probablement d’un traitement par statine. Le sous-groupe qui suscitera probablement la controverse est le groupe de patients non diabétiques, âgés de 40 à 75 ans et dont le taux de LDL se situe entre 2,0 et 5,0 mmol/L. On conseille aux personnes dont le risque CV sur 10 ans est supérieur ou égal à 7,5 % d’entreprendre un traitement par statine d’intensité modérée à élevée, en fonction du niveau de risque.
Le Tableau 38,10–15 fournit des suggestions quant à l’application pratique des lignes directrices en évolution.
Problèmes avec l’approche de l’AHA-ACC
Si on appliquait ces nouvelles lignes directrices de concert avec les algorithmes de la SCC aux populations sans MCV ni diabète, toutes les femmes de 71 à 75 ans et tous les hommes de 55 à 75 ans recevraient une recommandation thérapeutique, et ce, basé exclusivement sur leur âge, même en l’absence de facteur de risque. Selon les auteurs des lignes directrices16, si l’on applique les vieux algorithmes de l’Adult Treatment Panel III (ATP III), 31,9 % des adultes de 40 à 79 ans seraient admissibles à un traitement par statine alors que 32,9 % recevraient une recommandation si l’on applique la limite de 7,5 % du risque sur 10 ans utilisée dans les nouvelles lignes directrices. Bien que les données appuient le traitement jusqu’à un niveau de risque très bas17, le bienfait absolu de l’intervention peut être très minime. L’instauration du traitement fondée sur le risque CV sur 10 ans d’une population est préoccupante pour les raisons suivantes.
Les calculatrices disponibles sont différentes et leurs résultats sont variables18
Certaines calculatrices ne tiennent compte que des coronaropathies, alors que la plupart incluent maintenant tous les événements CV. Certaines calculatrices retiennent les données de hsCRP et les antécédents familiaux. Certaines autres appliquent différents algorithmes pour traiter le diabète. Au Canada, il est préférable d’utiliser un outil basé sur le score de Framingham pour évaluer l’ensemble du risque CV10. Il s’agit de l’algorithme utilisé dans les lignes directrices de la SCC et il est validé au Canada8. Les lignes directrices de l’AHA-ACC utilisent de nouvelles équations de cohortes regroupées conçues pour mieux évaluer le risque dans la population afro-américaine, et ces équations ne seront probablement jamais validées au Canada. Les données utilisées par les deux formats de calculatrices sont identiques, mise à part l’origine raciale.
Le traitement pharmacologique des personnes en bonne santé dont le risque est considéré être faible peut entraîner l’inertie clinique—le traitement n’est pas instauré ni intensifié malgré les données indiquant un bienfait19
Ce n’est pas nécessairement mauvais20, et cela pourrait même empêcher un traitement recommandé simplement en raison de la réduction statistiquement significative, mais faible, d’un marqueur de résultats21. Bien que cette réduction du risque importe peu au patient et au médecin, elle pourrait avoir d’importantes répercussions sur la population22, puisque près de la moitié des événements touchent les patients évalués comme étant à faible risque23,24.
Le traitement d’une population à faible risque pourrait perturber la vie des personnes en bonne santé, admissibles au traitement en raison de leur âge exclusivement
La majorité de ces personnes ne profiteront aucunement du traitement et leur risque CV absolu est faible. Le traitement perturbe encore plus la vie des personnes atteintes d’une maladie chronique et de comorbidités multiples25 qui prennent déjà plusieurs médicaments et qui passent déjà une grande partie de leur temps à des activités liées à leur maladie. Chez ces personnes, l’avantage du traitement ne fait aucun doute, mais il faut tenir compte des priorités des patients et du risque additionnel d’erreur de médicaments et d’interactions médicamenteuses.
Bienfaits d’une approche fondée sur le risque
Les bienfaits de l’intervention sont mis en perspective
Les lignes directrices de l’AHA-ACC sur la dyslipidémie et le mode de vie tentent d’équilibrer le mode de vie et les interventions pharmacologiques dans le traitement des MCV. Malheureusement, le document faisant référence au mode de vie ne tient compte que de marqueurs de substitution plutôt que des marqueurs tangibles des résultats CV, et exclut la recherche effectuée après 2011. Cet état de fait a été justifié par des ressources insuffisantes15, mais l’omission des données actuelles sur le mode de vie dans les marqueurs tangibles des résultats affaiblit l’effet de ces recommandations importantes.
Les lignes directrices ne traitent pas de la perte pondérale, car l’alimentation et l’exercice sont les interventions qui influent sur le risque15 et il n’est pas toujours nécessaire de perdre du poids pour réduire le risque CV26–29. De l’information récente a permis de quantifier les avantages potentiels de l’alimentation et de l’exercice, et de présenter ces interventions comme des solutions de rechange, ou des ajouts, aux statines afin de réduire le risque CV. Le Tableau 41,17,23,30–33 présente les données sur l’effet des interventions sur la MCV ou la mortalité.
Les meilleures données étayant l’intervention alimentaire dans la réduction des événements CV sont tirées d’un vaste essai randomisé mené récemment sur le régime méditerranéen30. Ce régime, accompagné d’un supplément de noix et d’huile d’olive a produit une réduction relative de 30 % sur 4,5 ans des événements, comparativement à une cohorte qui suivait un régime faible en gras. Ce résultat a été obtenu sans réduire l’apport calorique ni changer le niveau d’activité physique. Plutôt que de réduire l’apport calorique ou de nutriments précis, les nouvelles lignes directrices recommandent la conversion à de nouvelles habitudes alimentaires, comme celles proposées dans le régime alimentaire DASH [Dietary Approaches to Stop Hypertension] ou celui de l’AHA30. Alors que les données étayant le bienfait de cette dernière approche sur les marqueurs de substitution sont très robustes, les données étayant les bienfaits observés du régime méditerranéen sur les marqueurs tangibles des MCV, brillent toujours par leur absence.
Bien que les données étayant un bienfait causé par l’exercice soient basées, dans le meilleur des cas, sur des études prospectives de cohortes, les résultats concordent et sont cohérents avec la science générale et leur relation dose-réponse est fiable34 dans la prévention des marqueurs tangibles de MCV. Trois méta-analyses31–33 ont fait ressortir un bienfait relatif d’environ 15 % pour l’exercice modéré et de 30 % pour l’exercice plus vigoureux pendant un suivi moyen de 13 ans. Une étude prospective de cohortes d’envergure comptant plus de 400 000 patients ayant été suivis pendant 8 ans a montré qu’aussi peu que 15 minutes par jour d’activité modérée procurait un bienfait sur la mortalité35. À l’autre extrémité du spectre, il existe des données substantielles à l’effet que, chez les marathoniens, l’activité dépassant les recommandations actuelles (150 minutes d’exercice modéré par semaine) peut réduire encore plus la probabilité d’événements CV à des distances allant jusqu’à 80 km par semaine34. Le lien entre l’exercice et les bienfaits est convaincant, mais on n’arrivera jamais à prouver la causalité dans le cadre d’un essai randomisé et contrôlé en raison des problèmes inévitables de partialité de la sélection, de la mise à l’insu et des permutations.
Le traitement par statine est maintenant la seule intervention pharmacologique recommandée. Un traitement avec une dose modérée peut produire une réduction relative de 30 % du taux d’événements sur 10 ans, et avec une posologie intense, cette valeur passe à 45 %. Les doses des médicaments évalués dans le cadre des essais randomisés et contrôlés sont énumérées au Tableau 51.
Puisqu’il est maintenant possible de quantifier les solutions de rechange au traitement par statine, il est également possible de comparer les interventions pour le bien du patient en termes de représentations graphiques, de pourcentages de réduction du risque ou de nombre de patients à traiter. Un outil informatisé capable de montrer continuellement les changements à mesure que les événements (p. ex. facteurs de risque ou interventions) sont ajoutés ou retirés serait utile dans la prise de décision partagée.
Réduction des effets indésirables des médicaments et des interactions
La recommandation visant à ajouter des antihyperlipidémiants aux statines a été éliminée. On évite ainsi la myalgie et la myopathie liées aux associations avec les fibrates et la niacine36. La posologie et le type de statine peuvent être modifiés sans avoir à questionner si les autres antihyperlipidémiants contribuent aux symptômes, ce qui peut causer de la confusion. La myalgie répondrait au passage à une statine hydrophile, à des intervalles plus longs entre les doses ou au passage d’une forte dose d’un médicament peu puissant à une dose modérée d’un médicament puissant14. La myalgie causée par les statines affecterait la capacité de faire de l’exercice37,38, ainsi, une intervention constituée d’exercice doit être optimisée avant d’instaurer le traitement pharmacologique.
Participation du patient dans la prise de décision éclairée
Les lignes directrices de l’AHA-ACC mettent l’accent sur la participation du patient aux décisions éclairées concernant l’intervention. Alors que les médecins utilisent les risques relatifs approchés et les nombres de patients à traiter comme points de décision utiles, les patients seraient plus à l’aise avec une représentation graphique39 ou un calcul de l’«âge cardiovasculaire», pouvant être tiré des algorithmes de la SCC11,12. Cette approche pourrait tempérer l’effet du passage à un seuil plus bas du traitement pharmacologique, particulièrement si des options liées au mode de vie sont initialement présentées comme solution de rechange aux médicaments, et si l’effet de ces options est quantifié d’une manière ou d’une autre. Les calculatrices qui suivent les changements cumulatifs avec l’introduction et l’élimination des facteurs de risque et des interventions peuvent être utiles. Des exemples de ces calculatrices se trouvent à www.palmedpage.com/calculators.html et http://bestsciencemedicine.com/chd/calc2.html.
Conclusion
Les représentations graphiques illustrant les effets sur le risque CV des solutions visant le mode de vie peuvent aider les patients à comprendre et favoriser la prise de décision éclairée. Comme cela a été le cas avec le tabagisme, les références répétées et le renforcement de ces solutions de rechange pourraient éventuellement avoir un effet sur les facteurs de causalité des MCV. Lorsqu’il faut ajouter un médicament, le choix est maintenant beaucoup plus simple. La compréhension simplifiée des données et des interventions pourrait s’avérer libératrice pour le médecin et le patient.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
Les nouvelles lignes directrice sur le traitement de la dyslipidémie publiées par l’American Heart Association et l’American College of Cardiology abandonnent le taux de lipoprotéines de faible densité comme cible ou seuil thérapeutique lorsqu’un traitement par statine est envisagé. Le seuil thérapeutique est maintenant le risque CV sur 10 ans.
On met de plus en plus l’accent sur les interventions alimentaires et l’exercice comme principales interventions du traitement de la dyslipidémie.
Les statines constituent la principale intervention pharmacologique de réduction des lipides. Aucun autre médicament n’a amélioré les résultats cliniques lorsqu’il était ajouté aux statines.
Il convient de présenter au patient les autres solutions de réduction du risque sous forme d’âge cardiovasculaire et de représentations graphiques des effets sur le risque CV des interventions proposées. Le patient doit participer au processus de décision concernant l’intervention choisie.
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2014 issue on page 612.
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