
Ce mois-ci, Le Médecin de famille canadien publie dans le cadre de la chronique dédiée aux dépendances, un article intitulé « Le cannabis et les jeunes Canadiens. Les données probantes plutôt que l’idéologie » (page 793)1. Spithoff et Kahan nous y apprennent que les jeunes Canadiens sont les plus grands utilisateurs de cannabis dans les pays occidentaux—davantage qu’en France, qu’aux Pays-Bas et même qu’aux États-Unis. Ils basent cette affirmation sur un sondage du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), publié en avril 2013, selon lequel 28 % des jeunes Canadiens âgés de 11, 13 et 15 ans avaient utilisé du cannabis au moins une fois au cours de l’année précédente2. Cette statistique s’apparente à celle obtenue par l’Enquête de surveillance canadienne de la consommation d’alcool et de drogues, réalisée en 2011, qui révélait que la prévalence de la consommation de cannabis dans la dernière année chez les jeunes était de 25,1 %3.
Même si, selon le rapport de l’UNICEF, le pourcentage d’utilisateurs canadiens occasionnels est passé de 40 % en 2001 à 28 % en 2009 et 2010, ces chiffres demeurent impressionnants2. Quand le quart des adolescents d’un pays font usage d’une drogue illicite, force est de reconnaître que le problème est d’envergure. Est-ce qu’on peut y faire quelque chose? Et si oui, quoi?
Les auteurs affirment que des mesures de contrôle plus strictes sont inutiles: « One thing is clear: strict cannabis enforcement policies are not a deterrent for adolescents, » clament-t-ils1. L’étude de l’UNICEF, ajoutent-ils, montre que les pays ayant adopté des mesures plus libérales à l’égard du cannabis, comme les Pays-Bas et le Portugal, obtiennent des taux de consommation plus bas (17 % et 10 % respectivement) qu’au Canada (28 %)2.
Les Américains ne semblent pas partager ce point de vue. En effet, l’American Society of Addiction Medicine publiait en 2012 le White paper of state-level proposals to legalize marijuana où elle marquait son opposition à la légalisation de la marijuana et recommandait l’adoption de mesures coercitives: « ASAM strongly supports efforts to improve state policies to reduce the use of marijuana and other illegal drugs as well as the nonmedical use of prescription drugs »4. Cette position s’appuie sur diverses études qui montrent que la légalisation de la marijuana conduirait à une augmentation de son usage5,6.
Évidemment, certains opineront qu’il y a une différence entre la décriminalisation et la légalisation du cannabis. C’est vrai. La décriminalisation fait référence à la suspension des pénalités criminelles pour la possession et l’utilisation de la marijuana, tout en considérant la production et la vente comme étant illégales, alors que la légalisation fait référence à l’établissement de règles encadrant la production, la vente et l’utilisation de cette substance. Toutefois, la différence apparaît plutôt mince. Dès que l’on décriminalise le cannabis, ne doit-on pas établir des balises et, par le fait même, légiférer sur son usage?
Or, dès qu’il est question d’encadrer le cannabis, on dirait que tout devient compliqué. Comme si les opinions et les croyances s’entremêlaient avec les faits et les preuves, et que les groupes de pression et les lobbys venaient bousculer les règles et les façons de faire. À preuve, y-a-t-il un dossier plus aberrant que l’utilisation du cannabis à des fins médicales? Alors qu’il existait déjà des programmes d’accès et d’autorisation de possession du cannabis, Santé Canada et les autorités politiques du gouvernement fédéral ont décidé d’adopter un règlement exigeant une ordonnance pour l’obtention de cannabis séché à des fins médicales7. Et ce, malgré que le cannabis ne soit pas un traitement reconnu, que ses indications ne soient pas précises et que ses dosages thérapeutiques ne soient ni connus, ni standardisés. Et ce, en dépit du fait qu’il existait d’autres cannabinoïdes approuvés et reconnus par Santé Canada, et qu’il y avait très peu de données valables évaluant l’innocuité de la substance. Ce qui fait qu’aujourd’hui, vous pouvez prescrire (à quelle dose, déjà?!) du cannabis pour une cinquantaine d’indications potentielles, allant de la sclérose en plaques à l’ostéoporose, en passant par l’arthrose et la fibromyalgie8.
En dépit des nombreuses controverses et contradictions entourant le cannabis, une chose est certaine: criminaliser et judiciariser les quelque 1,5 million de jeunes Canadiens âgés de 11 à 24 ans qui consommeront du cannabis au cours de la prochaine année n’a pas de bon sens.
Oui à l’approche éducative. Non aux pénalités excessives.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
This article is also in English on page 775.
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