
J’écris ces mots entre ciel et terre, à mi-chemin en direction du Forum en médecine familiale, de l’assemblée de notre Conseil et de mon installation en tant que président. Beaucoup de temps en avion en tant que président élu l’an dernier, beaucoup de temps à m’asseoir et réfléchir. C’était un vrai luxe dont, comme vous, je n’ai pas souvent le loisir de profiter. Les voyages en avion ne sont pas du luxe, mais les destinations, les membres et les organisations au bout du trajet ont été chaleureux, inspirants et révélateurs. Pour moi, le fait de s’asseoir et réfléchir évoque les changements dans le vaste monde, le défilé des générations, les défis actuels et ma place dans tout cela. Parfois, le passé est une illumination, d’autres fois, une dérision. Je me demande comment mon identité de médecin de famille colore mon impression du passé et comment mon passé colore la vision de ma profession.
Je songe à mes préjugés et prétentions en tant que stagiaire: je me rappelle avoir fait le «fanfaron» auprès de mes collègues résidents en médecine familiale qui faisaient des «prélèvements de gorge» alors que j’installais des cathéters centraux aux soins intensifs. Deux ans plus tard, à mon premier jour en pratique, sans aucune expérience en cabinet, «un horaire léger pour commencer» m’avait été confié par mon partenaire. À 20 h, des patients frustrés et mécontents attendaient toujours parce que je me sentais obligé de faire des anamnèses et des examens physiques rigoureux de peur d’oublier quelque chose.
Durant mes premières années en pratique, à faire de l’obstétrique, de la clinique en cabinet, des visites aux foyers d’accueil et à domicile, de l’urgence, des soins intensifs et des services de garde, j’avais l’impression de pouvoir continuer ainsi à jamais, tellement meilleur était l’équilibre travail-vie privée comparativement à la résidence. Des années plus tard, je me suis joint à une clinique d’enseignement à l’Université du Manitoba. Après quelques semaines d’expérience formelle à enseigner, je pensais que mes résidents auraient eu une meilleure expérience dans ma pratique en cabinet. Puis, un an plus tard, j’avais changé d’idée et j’appréciais davantage la valeur de mes collègues de la santé, notre pratique en groupe, le milieu stimulant de l’éducation et ma capacité de maintenir ce rythme grâce à leur soutien. J’avais désormais des collègues avec qui partager le service de garde, que je pouvais consulter, qui pouvaient être mes mentors ou vice-versa, et l’accès au perfectionnement professoral malgré beaucoup d’obstétrique et de soins hospitaliers.
Je me souviens de résidents et de collègues exceptionnels et inspirants, garants d’un bel avenir. Je me souviens d’autres, moins remarquables, une minorité me causant soucis. Je me souviens d’avoir compris mon devoir de maintenir la qualité des soins, d’avoir été confronté aux soins inquiétants d’autres collègues et d’avoir valorisé la formation continue, et l’assurance et l’amélioration de la qualité.
Je me souviens de patients en soins de longue durée, d’avoir été déconcerté par certains endroits et d’en voir d’autres où j’aimerais bien passer mes derniers jours, et de réfléchir au pourquoi. Évidemment, c’était le plus souvent attribuable à la compétence et au dévouement du personnel, à la philosophie et à la culture clairement établies des soins. Il en va de même pour les expériences auprès de patients hospitalisés.
Je me souviens de mon premier patient ayant un problème évident de la personnalité limite, de mon intérêt subséquent pour la santé mentale, et des précieuses expériences vécues à l’aile psychiatrique et à la clinique externe de notre hôpital.
Je me souviens avec gratitude de collègues spécialistes qui contribuaient exactement ce qu’il fallait à mes patients et à moi pour aller de l’avant et, avec moins d’affection, de certains plus nébuleux qui étaient loin de répondre aux questions posées. Je me souviens particulièrement de patients à qui on refusait l’état d’invalidité et d’avoir compris le devoir de défendre ceux qui, selon moi, étaient victimes d’injustice. J’ai aussi été frappé par la facilité qu’il y avait à éviter ce rôle de défenseur et par les profondes ramifications d’une telle omission pour les patients.
Je me souviens de la marginalisation de la pratique familiale à notre hôpital, qui est passé d’un département dynamique à un personnel décimé, frappé par une décision administrative d’adopter un modèle spécialisé concevant le patient en parties du corps ou en maladies.
Je me souviens de la joie et du privilège d’accoucher l’enfant de patientes que j’avais moi-même accouchées, de patients hospitalisés dont je soignais aussi la famille entière, et de la meilleure expérience que ce fut pour nous tous. Je me souviens évidemment d’avoir humblement appris de mes chers patients, malheureusement parfois à leurs dépens.
La vie nous façonne et éclaire notre compréhension des problèmes et de leurs solutions. Le monde change. Les nouveaux médecins ont un vécu différent et des idées nouvelles quant à l’avenir de notre discipline. Nous devons être visionnaires, adéquatement critiques de nos solutions, ouverts aux idées d’autrui et conscients que nous sommes inévitablement captifs de nos histoires. Les récentes réaffirmations de la médecine familiale et du généralisme m’ont particulièrement plu, mais je m’inquiète des forces qui dissipent les soins complets et continus. Mon intuition me dit qu’il y a un important équilibre à maintenir entre les soins complets et les soins ciblés, que nous devons rester «une seule famille» en médecine familiale. Je suis étonné de l’énergie et des capacités de nos plus récents MF et résidents. Je suis confiant en un avenir durable, mais intimidé par le travail qui attend notre Collège pour établir de nouveaux partenariats, naviguer dans des rôles et responsabilités en évolution, et assurer que notre modèle de formation reste pertinent et valable. Ces défis se posent à nous tous.
Je vous invite à m’écrire et j’ai hâte de vous rencontrer. Notre nouveau modèle de gouvernance offre une possibilité sans précédent d’avoir un CMFC axé sur ses membres, de puiser dans la sagesse de l’ancien et du nouveau, d’épouser tous les milieux et styles de pratique, et de mobiliser la population, de sorte que, lorsque nous allons nous asseoir et réfléchir, nous pourrons confirmer notre cheminement.
Footnotes
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This article is also in English on page 93.
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