Certains pourraient dire que 8 cas de fièvre rhumatismale aiguë, dont 2 décès dans des communautés éloignées des Premières Nations du nord-ouest de l’Ontario, ne valent pas la peine qu’on s’y arrête. Étant donné les défis auxquels fait face l’humanité et le carnage causé par les nombreuses menaces à notre santé dans le monde, peut-être qu’en effet, ils ne méritent pas notre attention. Mais aux yeux des Canadiens, il s’agit d’un signe avant-coureur—un baromètre des problèmes et des carences graves de notre système de soins de santé.
Un fantôme qui revient nous hanter
Nous savons tous qu’en général, chez nos concitoyens d’origine autochtone, les maladies et les cas de santé chancelante sont considérablement plus fréquents que chez leurs voisins. La série de cas publiée dans ce numéro du Médecin de famille canadien (page 882) décrit un fantôme qui revient nous hanter : la fièvre rhumatismale aiguë1. Reléguée en grande partie aux manuels d’histoire dans les pays riches, la fièvre rhumatismale aiguë se manifeste actuellement à un taux alarmant dans les communautés reculées du Bouclier canadien.
Les détails des cas sont éclairants. Les manifestations non suppurées de l’infection à streptocoque nous rappellent la lourdeur du fardeau des infections, et les conséquences des diagnostics tardifs ou ambigus. Le diagnostic et le traitement de ces infections nécessitent d’excellents services cliniques, de laboratoire et d’imagerie. L’intégration de la santé publique et des soins primaires vise à réduire au minimum la souffrance des malheureuses victimes. Ce qui ne s’est pas produit dans cette série de cas. Deux enfants sont morts des complications d’une infection à streptocoque.
La question ne se résume pas à veiller à ce que les communautés autochtones reçoivent des services adéquats de santé publique. Au pays, les communautés des Premières Nations font face à une gamme de défis en matière d’hébergement; d’éducation; d’emploi; de violence conjugale; de violence, particulièrement contre les femmes; de consommation de drogues, et ainsi de suite. Malgré quelques pas en avant, l’écart se creuse entre l’état de santé de cette population marginalisée et celui du reste des Canadiens.
La route est tortueuse
Les politiques fédérales visant à développer la capacité et l’autonomie sont rares, inadéquates et inefficaces. La relation entre les Premières Nations et le gouvernement fédéral n’a pas donné lieu à des stratégies pouvant améliorer les déterminants fondamentaux de santé dans cette population vulnérable.
Lorsqu’on creuse la surface, on se rend compte que la fièvre rhumatismale aiguë est une maladie liée à la pauvreté. Non seulement la pauvreté financière, qui entraîne un hébergement inadéquat, le surpeuplement, de piètres conditions sanitaires et une nutrition sous-optimale, mais aussi la pauvreté de la pensée, de la préoccupation et de l’engagement qui est omniprésente dans la relation entre la société dominante et ses membres les plus vulnérables. L’essence de cette relation est fiduciaire—supposée rapporter aux deux parties. La réalité est tout autre.
Pour la plupart, les Canadiens ignorent dans quelles conditions beaucoup de leurs frères et sœurs autochtones vivent. Isolés dans les ghettos des grandes villes ou perdus dans le vaste arrière-pays, ils ne sont pas présents à l’esprit du Canadien moyen. Ce n’est pas que les Canadiens en font peu de cas, mais ils n’en savent pas assez pour être suffisamment préoccupés et s’engager, ce qui est si essentiel.
Si la hausse du taux de fièvre rhumatismale aiguë était survenue dans les banlieues riches de Toronto, en Ontario, la mobilisation et les ressources auraient été considérables. Si le taux de suicide qui frappe les communautés des réserves était reflété à Ottawa, en Ontario, on aurait déclaré l’état d’urgence et exigé des services et des stratégies de santé mentale proportionnels à l’ampleur du problème.
Lecture troublante
La lecture du récent rapport du Vérificateur général du Canada est troublante. Dans sa description de l’accès aux services de santé dans les communautés reculées des Premières Nations, le rapport énumère une litanie de carences sérieuses dans la capacité de Santé Canada de s’acquitter de ses responsabilités2. Criante, dans la réponse de Santé Canada au rapport, est l’absence d’un plan concret avec échéances, mesures, assignations et budgets additionnels requis. La réponse de Santé Canada se traduit plutôt par une reconnaissance anémique des problèmes, des offres alléchantes et l’engagement, principalement, au statu quo. L’écart réel entre ce qui existe et ce qui est nécessaire n’est pas reconnu, mesuré, ni abordé.
C’est le signe de l’échec d’un ministère fédéral doté du mandat d’améliorer et de protéger la santé de tous les Canadiens, avec une responsabilité particulière envers les habitants originaux de cette magnifique partie du monde. Le rapport du premier médecin-hygiéniste en chef du Canada, le Dr Peter H. Bryce, faisait écho au rapport du Vérificateur général. Dès 1907, le Dr Bryce mentionnait les effets indésirables sur la santé des enfants qui avaient fréquenté les pensionnats3. À l’époque, la réponse a consisté à refuser le budget de publication et de dissémination des résultats et, perversement, à mettre fin au recueil de données étayant cette critique malvenue. On n’aurait pas dû devoir attendre qu’un organisme indépendant nous informe de cette lacune flagrante dans le rendement du ministère fédéral sans doute le plus important. Santé Canada devrait élaborer et articuler des normes pour les programmes sous sa responsabilité et devrait s’assurer de la présence de mécanismes robustes et transparents de surveillance de son rendement.
Nouvelle approche nécessaire
Une société juste et civilisée se mesure par la façon dont les plus faibles et les plus vulnérables sont appuyés et encouragés à réaliser leur plein potentiel. Nous en bénéficions tous. Ce n’est pas un processus paternaliste, patriarcal, postcolonial, du haut vers le bas, mais un partenariat au sein duquel nous nous rendons compte que les populations marginalisées ont des talents, une vision du monde, une culture, un patrimoine et une capacité spirituelle qui nous enrichissent.
Les récentes conclusions et constatations de la Commission de vérité et de réconciliation peuvent nous être d’un grand secours dans ce cheminement4. Jumelées au récent rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, elles peignent un tableau très clair de l’histoire, du contexte et de la taille des défis auxquels fait face le peuple canadien, confronté à l’héritage et à la réalité du racisme dans ce pays grandiose5.
Un point de départ pratique de la prestation des soins de santé aux communautés autochtones vulnérables serait la mise sur pied d’un ministère fédéral de la Santé des peuples autochtones. Il relèverait du Cabinet par l’entremise du médecin-hygiéniste en chef du Canada, lequel aurait la responsabilité de veiller à la prestation de services de santé publique et de soins primaires. Ce ministère pourrait faciliter une approche coordonnée, permettant à la diversité des défis et des besoins de cette population de faire surface, afin d’améliorer la santé des Premières Nations et des peuples autochtones ici. Il collaborerait avec les autorités régionales de santé existantes des Premières Nations afin d’effacer le racisme institutionnel toujours omniprésent dans les divers ministères du gouvernement fédéral6. Les travaux récents et les publications perspicaces du Centre de collaboration national de la santé autochtone6 faciliteront le processus, tout comme sa participation dans l’approche élargie, franche et inclusive qui doit remplacer les efforts actuels, inadéquats.
C’est tout un défi. Notre échec à prendre en charge la fièvre rhumatismale aiguë de manière appropriée fait ressortir le caractère inadéquat des stratégies et des services visant à améliorer la santé dans les réserves. La publication même de cette série de cas1 démontre la capacité locale de résoudre le problème et une communauté de professionnels prête à s’engager. Ce n’est cependant pas suffisant. Les services actuels sont inadéquats. Cet échec n’est peut-être pas aussi monumental que celui du système des pensionnats, mais c’est néanmoins un échec. Si on ne fait rien, le gouffre en santé se creusera. Ce n’est pas l’espoir ou le souhait des travailleurs sur le terrain qui s’échinent pour dispenser des services. Ce n’est pas non plus l’espoir ou souhait des décideurs qui s’échinent pour le compte de notre gouvernement, ni des Canadiens qui tiennent à la diversité qui fait de notre pays ce qu’il est aujourd’hui. Mais ce sera effectivement la réalité si on ne s’attaque pas au problème d’une manière différente, plus complète et plus unifiée qu’on ne l’a fait jusqu’à maintenant.
Espérons que nous aurons le courage, l’humilité et la sagesse de le faire et d’appuyer notre médecin-hygiéniste en chef actuel pour que ses efforts soient plus productifs que les efforts colossaux, quoique futiles, de son prédécesseur il y a un peu plus d’un siècle.
Footnotes
This article is also in English on page 833.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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