Des recherches quantitatives et qualitatives ont documenté le fardeau que représente la multimorbidité pour les patients, les aidants naturels, les professionnels de la santé et, dans une optique plus large, les systèmes de santé et de services sociaux dans les pays développés du monde1–3. Tandis que la recherche qualitative fournit un aperçu fort nécessaire de la situation difficile de chacun des patients, la recherche quantitative nous permet d’examiner le poids de la morbidité sur des groupes plus larges. L’utilisation des données provenant des dossiers médicaux électroniques (DME) est devenue un moyen stratégique pour permettre une compréhension clinique de ce type de patients complexes à l’échelle de la population. Sur le plan international, les DME deviennent de plus en plus le fondement de bases de données substantielles d’information longitudinale et sur les lieux de traitement pour des milliers, voire des millions de patients. À l’heure actuelle, le Réseau canadien de surveillance sentinelle en soins primaires (RCSSSP) détient la seule base pancanadienne de données de DME. On y recueille de l’information médicale anonymisée auprès de patients en soins primaires (SP) qui souffrent de maladies chroniques à travers le pays; ces données regroupées offrent une perspective de la santé publique et des SP (données sur le lieu de traitement combinées pour former un ensemble de données à l’échelle de la population)4. Les données des DME du RCSSSP, portant sur plus d’un million de patients, sont extraites tous les trimestres et fournissent un aperçu en temps réel des problèmes de santé des patients en SP et de leur utilisation des soins, des renseignements qui ne sont tout simplement pas disponibles au moyen d’enquêtes sur la population ou dans les bases de données administratives. Cette unicité exige des chercheurs qu’ils assument la responsabilité de gérer, d’analyser et d’interpréter les données de façon appropriée.
La recherche sur la multimorbidité pose des défis spécifiques. Tout d’abord, personne ne s’est encore entendu sur la façon de définir la multimorbidité. Les chercheurs doivent donc choisir ou adapter une définition qui se prête aux données des DME. Les chercheurs doivent aussi déterminer l’emplacement des données dans leur base, soit dans les listes des problèmes, les codes de facturation, les diagnostics posés et la médication reçue. On a élaboré des algorithmes validés afin d’identifier les vrais cas de maladies chroniques individuelles parmi les données des DME5, ce qui pourrait servir de point de départ pour cerner les cas de multimorbidité plus valides et fiables. Ces données étant consignées à des fins cliniques et non de recherche, les chercheurs doivent prendre en considération les effets qu’exerce le manque de données sur les analyses statistiques et les estimations éventuelles. La nature longitudinale des données des DME nécessite que les chercheurs définissent la première occurrence des maladies chroniques qui composent leur définition de la multimorbidité. Explorer la donnée brute, comprendre la qualité et l’intégralité de celle-ci et savoir quelle méthodologie est la plus appropriée exigent beaucoup de temps. Par exemple, le regroupement à plusieurs niveaux de données (regroupements formés au niveau des patients; des patients au niveau des professionnels; des professionnels au niveau des pratiques; des pratiques au niveau des réseaux et des réseaux au niveau d’une province ou d’un territoire) peut nécessiter des techniques statistiques plus avancées ou la collaboration de cliniciens, d’épidémiologistes, de biostatisticiens et d’informaticiens. Les décisions méthodologiques prises durant ce processus doivent être clairement articulées et publiées dans les protocoles de recherche afin d’améliorer la reproductibilité et la transparence de la recherche sur la multimorbidité6.
Malgré ces défis, la base de données des DME du RCSSSP représente une ressource cruciale pour les chercheurs en santé au Canada. À mesure que la fonctionnalité des DME évolue, il importe de consigner et d’extraire plus systématiquement l’information contextuelle nécessaire aux soins centrés sur le patient (p. ex. la situation d’emploi du patient, son éducation, sa structure familiale, ses conditions de vie, ainsi que ses idées, ses sentiments et ses attentes à l’égard de sa santé) afin de répondre aux questions plus pertinentes au patient7. Ensuite, ces données peuvent être utilisées pour examiner les effets des interventions et des modèles de prédiction des risques. La base de données du RCSSSP demeure une avenue à caractère unique dans la compréhension des patients en SP qui souffrent de multimorbidité. Ces données nous permettront de faire des comparaisons avec les recherches internationales explorant le fardeau de la multimorbidité8–10. La base de données du RCSSSP dépend des pratiques de SP participantes, des sentinelles et des patients. Ces données précieuses nous permettront de contribuer nos perspectives à la base internationale des connaissances en pleine croissance.
Remerciements
L’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) a financé cette publication. Les opinions exprimées ne représentent pas nécessairement celles de l’Agence de la santé publique du Canada.
Notes
L’œil de la sentinelle est coordonné par le RCSSSP, en partenariat avec le CMFC, dans le but de mettre en évidence les initiatives de surveillance et de recherche entourant la prévalence et la prise en charge des maladies chroniques au Canada. Veuillez faire parvenir vos questions ou commentaires au Dr Richard Birtwhistle, président du RCSSSP à richard.birtwhistle{at}dfm.queensu.ca.
Footnotes
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the October 2015 issue on page 918.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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