Au Canada, environ 250 000 adultes et 1500 jeunes sont incarcérés chaque année dans des établissements correctionnels et, en moyenne à chaque jour, environ 40 000 personnes sont détenues dans ces prisons1–3. La durée de détention dans des établissements correctionnels, pour la plupart des adultes et des jeunes, varie de quelques jours à plusieurs semaines3–4 et de nombreuses personnes sont incarcérées plus d’une fois par année. Selon des données internationales, la santé de la population des détenus est médiocre en comparaison de celle de la population en liberté; la population carcérale représente aussi un fardeau disproportionné de maladies mentales, infectieuses et chroniques, et de mortalité prématurée5. Dans le contexte du va-et-vient d’une population nombreuse en mauvaise santé dans les établissements correctionnels, il se présente de nombreuses possibilités d’améliorer la santé et les soins de santé.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a reconnu la nécessité de coordonner les soins et la prestation des services de santé à l’intention des personnes incarcérées. Consciente de la surreprésentation des populations marginalisées dans les prisons, des risques de propagation de maladies transmissibles au moment de la remise en liberté et des conditions de vie malsaines dans la plupart des établissements correctionnels, l’OMS préconise des liens étroits entre les services de santé publique et les services de santé dans les prisons ou encore leur intégration6. L’OMS a aussi indiqué qu’il fallait des partenariats entre les prestataires de services en milieu carcéral et ceux de l’extérieur7, dans le but de dispenser des services efficaces et continus aux détenus7.
La période de transition entre la communauté et les établissements correctionnels serait associée plus particulièrement à certains risques pour la santé8, notamment le sevrage de l’alcool au moment de l’incarcération9; la discontinuation de traitements essentiels durant le séjour en prison ou lors de la remise en liberté, comme la thérapie à la méthadone10, les traitements antirétroviraux11 et les médicaments psychotropes12; ainsi qu’à la mortalité13 ou à l’hospitalisation14 lors de la libération. Par ailleurs, ces transitions présentent aussi des possibilités d’améliorer l’état et les soins de santé, comme l’amorce d’un plan de contraception avant la remise en liberté15,16 et l’établissement de liens avec des services de soins primaires lors de la libération17,18.
De nombreux obstacles nuisent à la continuité des soins de santé durant l’incarcération et à la remise en liberté. Les détenus sont souvent transférés d’un établissement à l’autre, ce qui complique la prise en charge médicale continue. La durée de la détention est souvent courte et l’incertitude entourant la date de remise en liberté pourrait empêcher une planification efficace de cette libération19. Une telle planification de la remise en liberté ne semble pas prioritaire dans les établissements, ce qui pourrait être attribuable à l’absence de champions au sein de la direction, à des ressources financières limitées et à l’insuffisance de sources de données comme les dossiers médicaux électroniques20. Les personnes récemment libérées peuvent faire face à de multiples priorités différentes, comme les exigences de la libération conditionnelle et les arrangements nécessaires pour établir à nouveau les soutiens au revenu14,17,19. Enfin, les proportions élevées de maladies mentales, dont les dépendances, ainsi que la pauvreté dans cette population peuvent contribuer aux faibles taux de suivi sur le plan des soins5,21.
Malgré ces difficultés considérables, les médecins de soins primaires et les autres professionnels de la santé peuvent prendre des mesures fondamentales pour améliorer la santé et les soins de santé durant l’incarcération et au moment de la remise en liberté. à titre d’exemple, le cas suivant illustre certains efforts déployés pour optimiser les soins à une femme durant 2 périodes d’emprisonnement.
Cas
Une femme dans la vingtaine souffrant d’hépatite C et qui suit un traitement d’entretien à la méthadone est admise dans un établissement correctionnel en Ontario durant le premier trimestre d’une grossesse. Elle est remise en liberté durant son premier trimestre, puis est à nouveau incarcérée durant le deuxième trimestre. Son médecin de famille dans la communauté a établi un contact avec le médecin de famille de la prison durant la deuxième détention. Avec l’autorisation de la patiente, le médecin communautaire et celui de la prison ont communiqué ensemble à propos de diverses questions concernant sa santé.
Incarcération et date de remise en liberté
Le médecin communautaire a communiqué avec le médecin de la prison pour demander si la patiente avait commencé sa détention, situation que la patiente avait anticipée avec crainte et dont elle avait parlé à son médecin. étant donné que cette patiente avait été vue fréquemment durant sa grossesse et pour son traitement d’entretien à la méthadone, il importait au médecin communautaire de savoir où était sa patiente et de connaître la date de sa remise en liberté. La poursuite du traitement à la méthadone est nécessaire pour réduire un risque de sevrage susceptible de causer une détresse fœtale et un avortement spontané et afin de prévenir la récidive de la consommation d’opioïdes illicites22. Par conséquent, le médecin communautaire s’est organisé pour prescrire de la méthadone aussitôt que la patiente a été remise en liberté.
Tests prénatals
Le médecin communautaire et celui de la prison ont échangé des renseignements à propos des tests subis respectivement dans la communauté et à la prison, et au sujet des plans de suivi indiqués. Cette correspondance a permis d’éviter des tests inutiles et a fait en sorte que les renseignements pouvant influer sur la santé de la patiente et du fœtus ont été dûment communiqués.
Logement et situation sociale
Le médecin communautaire a informé le médecin de la prison que la patiente n’avait pas d’endroit où vivre lors de sa remise en liberté. Les visites des médecins dans les établissements correctionnels sont souvent limitées en raison du grand nombre de patients à voir. Il est donc utile que des renseignements importants sur les plans social et médical leur soient transmis. Le médecin de la prison a pris rendez-vous pour la patiente avec la travailleuse sociale de l’établissement pour qu’elle puisse discuter d’options de logement à sa libération. De son côté, le médecin communautaire a pris des arrangements pour qu’une travailleuse sociale de la communauté rencontre la patiente pendant sa détention. Cette démarche s’est révélée utile pour établir des liens, recueillir des renseignements et cerner les priorités au moment de la remise en liberté. Le médecin communautaire s’est subséquemment servi de l’information recueillie par la travailleuse sociale communautaire pour remplir une demande d’aide sociale pour la patiente lors de sa libération. La travailleuse sociale et la patiente ont continué à travailler ensemble après la remise en liberté, à la grande satisfaction de la patiente.
Demandes de consultation
Le médecin de la prison a demandé une consultation avec un obstétricien pour la patiente, conformément à la pratique d’usage dans cet établissement correctionnel, puis a transmis ces renseignements au médecin communautaire. Ainsi, ce dernier pouvait faire directement un suivi avec sa patiente une fois libérée pour discuter de la nécessité éventuelle de consultations additionnelles auprès de l’obstétricien, ainsi que d’autres options de soins prénatals et intra partum.
Discussion
Les médecins de soins primaires peuvent jouer un rôle important pour assurer la continuité des soins durant les périodes d’incarcération, comme le démontre ce cas. Nous préconisons une meilleure communication entre les professionnels des soins de santé dans la communauté et ceux des établissements correctionnels, ce qui pourrait améliorer la santé.
Il est aussi urgent d’apporter des changements systémiques dans le but d’améliorer les soins à cette population, en particulier au moment de la remise en liberté. Les changements aux programmes ou aux politiques devraient être évalués en fonction de leur acceptabilité, des coûts, de l’efficacité et de l’équité. Parmi des changements possibles figurent le partage systématique de renseignements entre le personnel médical en milieu carcéral et les médecins de la communauté (p. ex. au moyen de dossiers médicaux électroniques partagés20); la mise en contact des personnes qui n’ont pas de professionnels de la santé habituels avec des services de soins primaires locaux adaptés à leurs besoins17; la planification de la remise en liberté sur les plans médical et social18. Comme le stipule la Loi canadienne sur la santé23, les personnes détenues dans les établissements correctionnels devraient avoir accès à des standards de soins équivalents à ceux dans la communauté, notamment des services médicaux comme les thérapies d’entretien à la méthadone, la contraception, le traitement de l’hépatite C, les opioïdes, ainsi qu’à d’autres services offerts publiquement, comme l’aide à la cessation du tabagisme.
En présentant l’incarcération comme une occasion d’améliorer la santé et l’accès aux soins, il est possible de cerner et d’anticiper les défis et les possibilités qui se présentent durant les périodes d’incarcération et entre elles. Certains pays ont défini un cadre de « suivi des soins »24,25 qui prévoit des services aux prisonniers et à leur famille au moment de la sentence ou de la détention, durant l’emprisonnement et après la remise en liberté dans la communauté24. L’adoption d’une telle approche dans les établissements correctionnels au Canada bénéficierait à la population carcérale, ainsi qu’au reste de la société.
Remerciements
La DreKouyoumdjian reçoit une subvention salariale en vertu d’une bourse de recherche des Instituts de recherche en santé du Canada.
Footnotes
-
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
-
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the February 2015 issue on page 107.
-
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
-
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada