L’Organisation mondiale de la Santé et l’American Academy of Pediatrics recommandent d’utiliser des dons de lait humain comme choix à privilégier lorsque le lait maternel n’est pas disponible1. Le lait humain est reconnu pour ses nombreux bienfaits; il induit notamment une tolérance aux allergènes, procure une immunisation passive, améliore le profil lipidique et contrôle la pression artérielle2. Lors d’études réalisées dans des unités néonatales, les nouveaunés nourris au lait humain avaient moins d’infections graves, moins d’entérocolites nécrosantes et moins de colonisation par des organismes pathogènes3. Toutefois, plus de 2 décennies après que les craintes de la transmission du VIH aient forcé la fermeture de toutes les banques de lait au Canada, sauf une, les professionnels de la santé et les parents restent divisés quant à l’innocuité du partage de lait humain4. Le lait humain est encore aisément accessible en ligne (p. ex. au www.eatsonfeets.org; http://hm4hb.net).
La Société canadienne de pédiatrie affirme ce qui suit :
L’alimentation privilégiée du nouveau-né demeure le lait de sa mère. Lorsqu’il n’est pas accessible ou est limité, le lait pasteurisé de donneuses constitue une solution recommandée pour les nouveau-nés hospitalisés… La Société canadienne de pédiatrie n’approuve pas le partage de lait humain non traité3.
La Société canadienne de pédiatrie présente aussi les recommandations suivantes:
Il faut donner le lait pasteurisé de donneuses en priorité aux prématurés et à certains nouveau-nés malades à terme sélectionnés3.
Il ne faut prescrire le lait humain pasteurisé qu’après avoir obtenu un consentement éclairé écrit de la part d’un parent ou d’un tuteur3.
Il est essentiel d’informer les parents des bienfaits du lait humain ou du lait pasteurisé de donneuses afin de leur permettre de faire un choix et de prendre une décision éclairée à l’égard de la prescription et d’un régime d’alimentation optimal pour leur nouveau-né hospitalisé3.
Contrôle de la qualité dans les banques de lait par rapport au lait acheté en ligne
Le lait humain entreposé dans les banques de lait diffère de celui qu’on peut se procurer en ligne en raison du processus rigoureux de sélection des donneuses, des fréquentes inspections de la qualité, des procédés de transport règlementés et de la pasteurisation.
La plupart des banques de lait humain suivent les mêmes protocoles de sélection et de dépistage pour les mères donneuses que ceux utilisés par les banques de sang locales pour les donneurs de sang2. Le lait humain peut être contaminé par des médicaments, des produits chimiques ou des bactéries. Par conséquent, les mères donneuses dans les banques de lait sont choisies si elles sont en bonne santé et si elles ne prennent pas régulièrement des médicaments ou des suppléments à base d’herbes médicinales; elles doivent aussi subir des analyses sanguines5. Les donneuses potentielles sont exclues si elles consomment des drogues illégales ou des produits du tabac; si elles ont reçu une transfusion de sang ou des produits sanguins au cours des 4 mois précédents; si elles ont subi une transplantation d’organe ou de tissus dans les 12 mois précédents; si elles consomment plus de 2 onces d’alcool par jour régulièrement; si elles ont des résultats positifs au dépistage du VIH (ou sont à risque), du virus de leucémie à lymphocytes T humain, de l’hépatite B ou C ou de la syphilis; si elles ont séjourné au Royaume-Uni pendant plus de 3 mois entre 1980 et 1996; ou encore en Europe pendant plus de 5 ans entre 1980 et aujourd’hui5.
Dans les banques de lait, on procède à des cultures des échantillons de dons de lait humain pour y déceler d’éventuelles croissances bactériennes et tout lait contaminé est jeté5. Keim et ses collaborateurs6 ont mené une étude observationnelle comparant des échantillons de lait humain obtenus par l’intermédiaire d’un site web de partage de lait américain à des échantillons de lait non pasteurisé donnés à une banque de lait. La plupart (74 %) des échantillons achetés par Internet étaient colonisés par des bactéries à gram négatif ou comptaient au total plus de 104 unités formant colonies de bactéries aérobiques par millilitre; ils renfermaient aussi en moyenne au décompte total plus de bactéries aérobiques, de bactéries à gram négatif, de coliformes et de Staphylococcus spp que les échantillons des banques de lait. Aucun échantillon n’était contaminé par le VIH, mais les résultats de tests de dépistage de l’ADN du cytomégalovirus étaient positifs dans 21 % des échantillons de lait achetés en ligne en comparaison de 5 % dans ceux provenant d’une banque de lait. La croissance de la plupart des espèces de bactéries était associée au nombre de jours en transit, ce qui porte à croire que les conditions de collecte, d’entreposage et de transport sont médiocres pour le lait acheté en ligne. Le lait humain dans les banques de dons canadiennes est recueilli, entreposé, pasteurisé et soumis à des cultures, conformément aux directives sur la préparation des aliments établies par l’Agence canadienne d’inspection des aliments3.
Pasteurisation
Si la pasteurisation du lait humain inactive les contaminants bactériens et viraux comme le cytomégalovirus7, le lait pasteurisé des donneuses n’a pas nécessairement les mêmes bienfaits que le lait cru de la mère2. Le processus de pasteurisation se traduit par une perte de la quantité ou de l’activité de certaines composantes fonctionnelles biologiques du lait à divers degrés, notamment une diminution de légère à modérée de l’immunoglobuline A; une concentration plus faible de lactoferrine, de lysozyme, de certaines cytokines, de facteurs et d’hormones de croissance (facteur de croissance insulinomimétique, adiponectine, insuline et leptine); une moins grande capacité anti-oxydante; une perte de l’activité des lipases; une concentration plus faible d’immunoglobuline M; et une diminution du nombre de globules blancs1. D’autres composantes nutritives et biologiques importantes sont préservées, comme les oligosaccharides; le lactose; le glucose; les acides gras polyinsaturés à longue chaîne; les gangliosides; les vitamines A, D, E et B12; l’acide folique; certaines cytokines (interleukines 2, 4, 5, 8 et 13); et certains facteurs de croissance (facteur de croissance épidermique et facteur de croissance transformant β1)1. Malgré la perte de certaines composantes du lait biologiquement fonctionnelles, une méta-analyse effectuée par Quigley et McGuire8 a révélé que, chez les nourrissons prématurés et de faible poids à la naissance, l’alimentation avec des préparations lactées au lieu du lait humain de donneuses résultait en un risque plus élevé de développer une entérocolite nécrosante. Les nourrissons alimentés avec du lait de donneuses avaient des taux de croissance plus lents que ceux nourris avec la préparation lactée, mais aucun effet à long terme sur la croissance ou le développement neurologique n’a été cerné et, dans la plupart des études, du lait pasteurisé non enrichi était utilisé. Du lait humain de donneuses enrichi d’éléments nutritifs est habituellement utilisé en soins néonatals.
Quoi qu’il en soit, de nouvelles méthodes pour améliorer la qualité biologique et la sécurité des dons de lait humain en plus de la pasteurisation de Holder habituelle font l’objet d’études. Parmi les autres méthodes envisagées, on peut mentionner la pasteurisation de courte durée et à haute température, connue sous le nom de pasteurisation éclair (flash) (72,8 °C pendant 5 à 15 secondes); sa version rudimentaire moins technologique, utilisée dans les pays en développement, appelée traitement thermique instantané; le traitement thermoultrasonique; le traitement à haute pression; et le chauffage ohmique1.
Ressources et coûts
Le lait humain de donneuses provenant des banques de lait coûte de 3 à 5 $ US l’once et il pourrait en coûter de 60 à 100 $ US par jour pour nourrir un bébé de 3,6 kg à raison de 20 onces par jour, par rapport à seulement 0,50 à 2 $ US l’once lorsque le lait est acheté en ligne6. Par contre, la rentabilité des banques de lait humain ne devrait pas être étudiée seulement en fonction des dépenses faites durant l’admission à l’unité néonatale; elle doit aussi être envisagée du point de vue des économies potentielles en soins de santé plus tard dans la vie2. Il n’y a actuellement pas d’études ou de données canadiennes publiées sur l’évaluation économique du lait humain de donneuses3.
Banques de lait canadiennes
Au Canada, il n’y a pas de coûts directs imposés à la famille du nourrisson pour le lait de donneuses. Étant donné les ressources disponibles limitées, les services des banques de lait sont principalement offerts aux nouveaunés hospitalisés de très faible poids à la naissance. Ils ne sont fournis que sous ordonnance après avoir reçu un consentement par écrit d’un parent ou d’un tuteur. Dans l’éventualité où les approvisionnements en lait de donneuses seraient limités, les nouveau-nés à risque les plus élevés recevront les dons de lait en priorité. L’Encadré 1 présente la liste des banques de lait présentement en activité au Canada.
Banques de lait canadiennes
Quatre banques de lait offrent actuellement des services au Canada :
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Montréal, Québec : Héma-Québec (téléphone 514 832-5000, poste 6909)
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Toronto, Ontario : Rogers Hixon Ontario Human Milk Bank (téléphone 416 586-4800, poste 3053; courriel info{at}milkbankontario.ca; site web www.milkbankontario.ca)
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Calgary, Alberta: Calgary Mothers Milk Bank (téléphone 403 475-6455; courriel contact{at}calgarymothersmilkbank.ca)
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Vancouver, Colombie-Britannique : BC Women’s Milk Bank (téléphone 888 823-9992; courriel info{at}bcwomensfoundation.org)
Le traitement dans les banques de lait canadiennes se conforme aux directives établies par la Human Milk Banking Association of North America et est règlementé par Santé Canada5.
Conclusion
Le lait humain accessible par Internet ne se conforme pas aux rigoureux critères auxquels on pourrait s’attendre et il est plus souvent colonisé par des organismes pathogènes que le lait humain de donneuses. Le lait humain devrait être considéré comme une autre substance organique règlementée, et le partage de lait ne devrait se produire que sous supervision médicale.
Notes
MOTHERISK
L’équipe de Motherisk au Hospital for Sick Children à Toronto, en Ontario, prépare les réponses aux questions à Motherisk. La Dre St-Onge est résidente en pharmacologie clinique et en toxicologie à l’Université de Toronto. La Dre Chaudhry est titulaire d’une bourse de recherche en pharmacologie clinique et en toxicologie et le Dr Koren est directeur du Programme Motherisk. Le Dr Koren est financé par le Research Leadership for Better Pharmacotherapy during pregnancy and Lactation.
Avez-vous des questions concernant les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les femmes enceintes ou qui allaitent? Nous vous invitons à les poser au Programme Motherisk par télécopieur au 416 813-7562; nous y répondrons dans de futures Mises à jour de Motherisk. Les Mises à jour de Motherisk publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca) et dans le site web de Motherisk (www.motherisk.org).
Footnotes
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the February 2015 issue on page 143.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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