Historiquement, les diplômés internationaux en médecine (DIM) ont joué un rôle important dans le maintien de la main-d’œuvre médicale au Canada. Environ 25 % des médecins de l’Ontario sont des DIM1. Dans certaines provinces, comme la Saskatchewan et le Manitoba, cette proportion est encore plus élevée1. Par ailleurs, la contribution des médecins formés à l’étranger à l’augmentation nette 8 % au Canada, comparativement à 55 % aux États-Unis et à 92 % en Irlande (Figure 1)1,2.
Contribution des médecins formés à l’étranger à l’augmentation nette de médecins en pratique dans certains pays de l’OCDE de 2000 à 2007
OCDE—Organisation pour la coopération et le développement économiques. Données tirées de l’OCDE.1
En 2012, le Canada comptait 2,44 médecins par 1000 habitants, ce qui est bien en deçà de la moyenne de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), qui était de 3,42. En 2007, le Canada comptait 6,2 diplômés en médecine par 100 000 habitants, ce qui se situe encore sous la moyenne de l’OCDE, qui était de 9,9 (Figure 2)1.
Diplômés en médecine par 100 000 habitants en 2007
OCDE—Organisation pour la coopération et le développement économiques. Données tirées de l’OCDE.1
Par le passé, les DMI immigraient habituellement au Canada grâce au Programme fédéral des travailleurs qualifiés. Récemment, le gouvernement fédéral a mis fin à cette initiative en enlevant la médecine de la liste des professions admissibles3. Cette décision modifiera le portrait de la médecine future en Ontario en éliminant presque tous les nouveaux médecins du profil des immigrants, mais il reste encore un important nombre de DIM immigrants au Canada qui n’ont pas été capables d’obtenir leur permis d’exercice.
Dans la plupart des cas, les DIM doivent compléter un programme de formation postdoctorale pour être autorisés à travailler en Ontario. Certaines provinces, comme la Saskatchewan, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador, permettent à des DIM de commencer à pratiquer avec un permis d’exercice limité sans avoir complété le programme de formation postdoctorale. La pénurie de postes de formation a fait en sorte que plusieurs DIM n’ont pas été en mesure de suivre la formation additionnelle. L’Ontario a plus que doublé le nombre de postes de formation pour les DIM. Le nombre de postes est passé de 90 en 2003 à 200 en 20044. George Smitherman, alors ministre de la Santé et des Soins de longue durée, avait annoncé ce qui suit :
Il s’agit d’une solution avantageuse pour cette province.... Les médecins formés à l’étranger seront capables de pratiquer dans leur nouvel environnement, comme ils le souhaitent et de la façon dont ils sont formés pour le faire. De plus, les patients de l’Ontario auront un meilleurs accès à leurs médecins dans leurs propres communautés5.
La situation est maintenant radicalement différente. Bien que ces 200 postes existent toujours, les dernières données disponibles provenant du Service canadien de jumelage des résidents indiquent que seulement 6 % des DIM immigrants inscrits ont réussi à obtenir un des postes de formation recherchés comparativement à 23 % en 20086.
De nouveaux joueurs s’ajoutent maintenant à la partie. Plus de 4000 citoyens canadiens étudient la médecine au niveau prédoctoral à l’étranger7. Ces Canadiens étudiant à l’étranger (CEE) fréquentent divers établissements médicaux. Il s’agit pour la plupart de facultés basées aux Caraïbes, qui n’offrent pas de postes d’externat ou de résidence ni de possibilités de pratiquer dans le pays où la faculté est située. Même les facultés de médecine européennes et australiennes n’offrent pas au CEE la possibilité de suivre de la formation postdoctorale. Il semble que le mandat de ces facultés soit de profiter des stagiaires en grande partie nordaméricains. Ils n’absorbent pas ce nombre d’étudiants dans leurs propres hôpitaux, mais les envoient, le plus souvent, aux États-Unis ou dans leur pays d’origine pour l’externat ou la résidence.
Plus de 90 % des CEE prévoient retourner au Canada pour poursuivre leur formation médicale postdoctorale et plus de 87 % ont l’intention de pratiquer la médecine au Canada7. Les politiques actuelles sont telles que les CEE font concurrence directe avec les DIM immigrants et qu’ils gagnent du terrain. En 2011, les CEE représentaient environ 25 % des candidats DIM et ont obtenu plus de 50 % des postes de première année de résidence réservés aux DIM en Ontario6.
Processus de sélection
Le processus de sélection des DIM est coûteux. Selon une recherche documentaire non publiée que nous avons menée, le processus de sélection des résidents comprend l’analyse de leurs dossiers, de courtes entrevues structurées, des tests standardisés tels que l’United States Medical Licensing Examination et des examens cliniques objectifs structurés, ainsi que l’obtention de lettres de recommandation et de déclarations personnelles. Toutefois, il n’existe que peu ou pas de preuves que ces méthodes de sélection, seules ou en combinaison, permettent d’identifier les meilleurs candidats. En dépit de ce coûteux processus de sélection, les candidats DIM présentent un taux d’échec important et beaucoup plus élevé que les résidents des facultés de médecine canadiennes à l’examen de Certification en médecine familiale du Collège des médecins de famille du Canada8.
Une récente révision indépendante du processus de sélection des DIM en Ontario fait valoir ce qui suit :
Une recherche exhaustive à l’appui d’une approche fondée sur des données probantes devrait mener à la révision de plusieurs techniques actuelles [de sélection des DIM] — ou à tout le moins à la reconsidération de l’importance qu’on leur accorde6.
Notre recherche documentaire non publiée corrobore cette opinion. Nous croyons que les critères de sélection en Ontario favorisent fortement les CEE au détriment des DIM immigrants. Plusieurs directeurs de programme utilisent la date d’obtention du diplôme et la durée de la pratique médicale comme principaux prédicateurs de succès durant la résidence. Dans l’ensemble, 78,8 % des candidats DIM immigrants par rapport à 2,3 % des candidats CEE ont obtenu leur diplôme en 2004 ou avant6. Il s’agit clairement d’un désavantage pour les DIM, qui n’ont peut-être pas eu la chance de pratiquer durant un certain temps alors qu’ils s’installaient au Canada et qu’ils passaient les examens nécessaires. On peut aussi affirmer que le processus actuel, qui met l’accent sur les résultats des examens, favorisent les capacités de mémorisation et de passer des examens qui sont plus facilement maîtrisées par ceux qui ont obtenu leur diplôme plus récemment. Finalement, la seule évaluation des habiletés interpersonnelles n’est effectuée que lors d’entrevues de style nord-américain. Sans avoir suivi de formation concernant les habiletés interculturelles, les intervieweurs ont plus de chance de choisir les CEE qui leur ressemblent le plus sur le plan culturel9,10. Peut-être devrionsnous accorder plus d’importance à la diversité et à l’expérience qu’apportent les DIM au système de santé canadien? Peut-être devrionsnous montrer un peu de compassion envers nos collègues qui fuient trop souvent la guerre et la persécution?
Si les rôles CanMEDS (expert médical, communicateur, collaborateur, gestionnaire, promoteur de la santé, érudit et professionnel) sont les critères que nous utilisons couramment pour définir un bon médecin, le processus de sélection devrait en être le reflet. Actuellement, le rôle de l’expert médical est celui qui pèse le plus lourd dans la balance.
Accès à l’éducation médicale
Le nombre grandissant de CEE qui occupent des postes de résidence en Ontario a des répercussions sur les programmes de résidence ainsi que sur la taille de main-d’œuvre en médecine. À première vue, la formation médicale prédoctorale à l’externe peut sembler rentable, mais elle cède le contrôle de l’éducation médicale à des entreprises qui ne sont pas agréées selon les normes canadiennes et qui n’ont pas d’intérêt dans le système de santé canadien. Si nous continuons à nous fier aux DIM immigrants, avec leur formation et leur culture différentes, il faudrait peut-être envisager des critères de sélection basés sur les rôles CanMEDS afin d’améliorer leur taux de succès. Ce sera un défi pour ceux qui formeront les DIM immigrants, puisqu’ils auront besoin de plus de ressources pour la sélection et l’intégration.
Nous pouvons aussi augmenter la capacité de nos propres facultés de médecine pour atteindre les normes actuelles de l’OCDE, mais il faudrait plus d’investissement sur le plan financier et des ressources humaines. Pourquoi ne pas créer une faculté de médecine canadienne agréée à but lucratif?
L’enjeu principal ne se situe peut-être pas sur le plan financier, mais plutôt sur celui de nos valeurs canadiennes : qui devrait avoir accès à l’éducation médicale? Les Canadiens ne possèdent pas tous les ressources financières substantielles dont les CEE ont besoin pour financer leur propre formation prédoctorale à l’étranger. Les Canadiens qui ne peuvent se permettre de payer en moyenne les 175 000 $ à 200 000 $ en frais de scolarité exigés par les facultés de médecine outremer sont-ils désavantagés7?
À l’heure actuelle, il y a des DIM immigrants qui ont la légitime intention de pratiquer la médecine et qui ne peuvent pas accéder aux postes de formation, ainsi que des CEE qui ne peuvent suivre de formation médicale prédoctorale au Canada. Ils retournent au Canada dans le but de faire concurrence pour les postes de formation qui étaient conçus au départ pour les DIM immigrants, et les facultés de médecine outremer profitent de cette dynamique. Il existe aussi un troisième groupe de diplômés en médecine canadiens qui croient que les postes de résidence actuels réservés aux DIM sont des possibilités qu’on leur enlève.
Les CEE autant que les DIM immigrants n’ont peutêtre pas été bien informés quant à leurs chances réelles d’obtenir un poste de formation et leur permis d’exercice au Canada. L’ancienne politique fédérale d’immigration encourageait les médecins provenant d’autres pays à poser leur candidature, ce qui a porté les DIM immigrants à s’attendre à pratiquer leur profession dès leur arrivée. Le décalage entre les politiques fédérales d’immigration qui attiraient les médecins et les politiques provinciales de délivrance des permis d’exercice auxquelles ils ont fait face une fois arrivés, a été éliminé en enlevant la médecine de la liste des professions admissibles, mais l’arriéré découlant de l’ancienne politique existe encore.
Les Canadiens qui étudient à l’étranger ont aussi été leurrés par les publicités des facultés de médecine étrangères qui n’avertissent pas les étudiants potentiels de la pénurie de postes de résidence au Canada. Cette situation a pour effet d’avoir des répercussions inattendues autant pour les CEE que pour les DIM immigrants et possiblement pour la quantité de main-d’œuvre en médecine dans un avenir rapproché.
Nous croyons qu’il faut agir et que nous devrions nous demander s’il n’est pas temps d’investir dans l’éducation des futurs médecins de notre propre pays.
Questions concernant l’avenir
En tant que pays d’immigrants, avons-nous des obligations envers les médecins qui ont déjà immigré au Canada en matière d’accessibilité à la formation?
Nous invitons les lecteurs à réfléchir à ces enjeux.
Est-ce que le Canada souhaite améliorer son ratio médecin-population et augmenter le nombre de postes pour les étudiants en médecine conformément à la moyenne de l’OCDE? Si tel est le cas, comment pourrions-nous y parvenir? Devrionsnous créer de nouvelles facultés de médecine canadiennes ou agrandir celles qui existent déjà? Est-ce que cela donnerait une chance plus équitable aux candidats canadiens de devenir médecins et permettrait aussi d’assurer une grande qualité de formation?
Si nous voulons augmenter les effectifs médicaux sans augmenter notre capacité de formation, est-ce que nous voulons nous fier sur les DIM immigrants? Le cas échéant, accordons-nous de la valeur à la diversité et à l’expérience que les DIM immigrants apportent à notre système de santé? Si oui, devrionsnous maintenir les postes de résidence qui ont été créés à l’origine pour les DIM immigrants? Dans cette optique, comment pouvons-nous nous assurer que nous n’épuisons pas l’effectif de médecins des pays en développement et comment nous assurer que chaque médecin immigrant qualifié a une chance équitable de pratiquer la médecine?
Si la solution, pour augmenter la main-d’œuvre en médecine, repose sur les CEE, comment pourrions-nous offrir une chance équitable à tous de pratiquer dans leur pays natal? Devrionsnous leur donner la possibilité de réintégrer plus tôt au niveau des stages cliniques ou leur offrir plus de postes de formation postdoctorale?
Si la solution repose autant sur les DIM immigrants que sur les CEE, nous devrions établir un processus de sélection qui reflète les valeurs de justice et de transparence tout en garantissant des soins de qualité pour la population. Nous devrions alors mettre en œuvre un processus de sélection efficace, fondé sur des données probantes qui reflète tous les rôles CanMEDS. Une recherche rigoureuse s’impose afin d’identifier les prédicateurs de succès.
Conclusion
Le système que nous utilisons actuellement semble fastidieux et injuste. Nous devons chercher une solution afin de l’améliorer pour les étudiants, les DIM immigrants, le système de santé et—surtout— les patients.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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This article is also in English on page 205.
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Intérêts concurrents
Le Dr Monavvari a reçu des allocations du Département de la médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto alors qu’il occupait un poste de coordonnateur de DIM au moment de la rédaction.
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