
Chers collègues,
C’est avec hésitation que j’aborde la situation dans laquelle se retrouvent les médecins de famille dans plusieurs régions du pays. Au Québec, le projet de loi 20 pourrait signifier l’imposition de cibles de prises en charge, un nombre minimal d’heures de travail et le suivi de patients par le même professionnel de la santé sous peine de réductions de la rémunération. En Ontario, la rupture des négociations et le potentiel de baisses salariales ainsi que la mise en veilleuse de projets d’expansion de nouveaux modèles de soins démoralisera sûrement la profession. En C.-B., un projet est en cours liant les privilèges de la pratique à une démonstration rigoureuse de la compétence. Nul ne conteste l’objectif visé; on s’inquiète toutefois du manque de preuve de la démonstration objective de la compétence et les conséquences imprévues de cet exercice, particulièrement dans les régions rurales et éloignées de la province.
Il ne m’appartient pas de porter un jugement sur les approches des gouvernements ou la réaction de la profession. On doit plutôt, dans la mesure du possible, éviter de creuser l’écart entre les parties. C’est aux associations médicales provinciales et aux décideurs gouvernementaux de négocier un règlement. Toutefois, cela ne signifie pas que le Collège et ses sections provinciales doivent garder le silence. L’enjeu est énorme, surtout en ce qui concerne la prestation de soins de grande qualité. Que peut-on apprendre et comment peut-on préciser notre position?
Le Canada compte quelque 40 000 MF— 59 % dispensent des soins complets et continus et 31 % exercent dans un domaine d’intérêt particulier, pour la plupart lié à la médecine familiale. De plus en plus de MF travaillent en groupe ou dans des milieux interprofessionnels (à peine 15 % ont une pratique solo). Leur revenu est souvent diversifié (la rémunération à l’acte étant le mode le plus courant).1 Nous avons bien accueilli l’augmentation du nombre de postes de résidence, ainsi que les innovations dans les soins primaires et dans l’exercice de la médecine familiale (p. ex., les équipes de santé familiale en Ontario).
Avec autant d’investissements pour renouveller le système, pourquoi le Canada se classe-t-il toujours au dernier rang des pays de l’OCDE en matière d’accès le jour même ou d’urgence aux soins primaires, de soins après les heures normales de bureau et de temps d’attente? Certains évoquent la complexité de nos patients; d’autres soutiennent que les données ne tiennent pas compte de notre situation. Peut-être. Mais sommes-nous les seuls MF à traiter des cas complexes? Les données sont-elles erronées ici et exactes ailleurs? Un sondage Ipsos mené pour l’AMC laisse croire que les Canadiens ont moins de respect pour les médecins.2 Matière à réflexion sur le plan individuel, professionnel et des systèmes.
Deux catalyseurs ont démontré qu’ils renforcent les soins primaires lorsqu’ils sont mis en œuvre de manière cohérente : les équipes et les DMÉ.3 Une prestation inter et intraprofessionnelle bien intégrée des soins est avantageuse pour les patients et les fournisseurs. Et même si l’implantation des DMÉ peut parfois être frustrante, peu d’entre nous retourneraient aux dossiers papier; les DMÉ peuvent faciliter les soins interprofessionnels, améliorer la qualité et nous aider à mieux gérer la sécurité des patients.
Deux autres facteurs sont fortement corrélés avec les soins de grande qualité : 1) des objectifs clairs et l’alignement des priorités et des buts des décideurs et des fournisseurs (notamment, une intention délibérée de fournir des soins centrés sur le patient) en matière de soins, et 2) le financement du système de santé et une rémunération qui accorde la priorité aux soins.3
Le concept de Centre de médecine de famille (CMF) pourrait être un autre catalyseur. Plusieurs modèles fondés sur le CMF ont vu le jour et ont donné des résultats immédiats : hausse du taux de satisfaction des patients et des fournisseurs, baisse des visites à l’urgence et après les heures de bureau, meilleure prise en charge des maladies chroniques et adhérence accrue aux plans de traitement.4
De nombreux praticiens s’impliquent désormais dans l’enseignement et la recherche. Il sera important de soutenir l’engagement des superviseurs communautaires et tous les enseignants doivent investir dans leur perfectionnement. Cela dit, ce travail devra être rémunéré et reconnu adéquatement pour maintenir les mandats universitaires, soutenir la recherche et ainsi refléter la maturité de notre discipline.
Un mot sur le volume par rapport à la valeur : les cas complexes peuvent certainement exiger plus de temps. Toutefois, un travail d’équipe devrait permettre de mieux répondre aux besoins des patients tout en habilitant les médecins à dispenser des soins et à rencontrer un nombre raisonnable de patients chaque jour.
Quelles devraient être nos priorités en médecine familiale? Un dialogue sincère et respectueux, et un consensus entre les décideurs et les médecins sont des conditions sine qua non pour parvenir à un accord. Il faudra porter une l’attention particulière à l’accès, à l’établissement de liens avec les MF qui travaillent avec d’autres fournisseurs, à l’amélioration continue de la qualité et à l’implication des patients. Ces priorités aideraient à améliorer la santé et les soins et, en dernière analyse, à réduire les coûts.
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